Il fait nuit et Alex n'est pas là. C’est récurrent en ce moment. Depuis que tu lui as dit que t'aimais pas voir ses plans cul dans ton appart’. Cette relation, tu ne sais pas du tout où ça va te mener. Elle te fait explorer toutes les facettes que tu détestes chez toi. Ta jalousie n’a jamais été aussi exacerbée. Tu deviens parano. C’est infect, t'es plus jamais tranquille et t’as toujours mal au ventre. Il y a un fond de musique, ça sent bon le curry dans l’appartement et t’es assis sur ton lit, penché sur des cours qui ne te passionnent plus depuis longtemps déjà. T’as bien compris que ta place était pas sur les bancs de l'école, mais bien derrière tes platines, à faire danser les gens dans des boîtes de nuit ou dans des festivals. La soirée est calme et t’essaie de chasser Alex et votre dernière dispute de tes pensées. Ta tête dodeline sur un fond de funk des années 80, et ton stylo cogne en rythme contre le papier griffonné. C'est à ça que ressemblent tes soirées quand il n'est pas là. Les cris de vos engueulades laissent place à un silence que tu combles par de la musique. T'aimerais que ça change, revenir à l'évidence de vos débuts. Aux premiers instants, quand tu te sentais fébrile sous ses doigts et que tu rêvais d'un avenir à ses côtés. Maintenant, t'as bien compris que le seul avenir qui vous attend, c'est un truc sombre et indéfini.

T’as un sursaut quand on cogne contre la porte. C'est violent et tu sais sans hésiter que c’est Alex. Tu sais pas dans quel état il est, mais tu sais que ça va être encore une longue, très longue soirée. Tu te lèves, les genoux qui craquent quand tu les déplies - c'est à cause du handball. La porte manque de se défaire de ses gonds et ça te file la trouille une seconde : “Deux secondes, merde !”. Tu t'approches pour la déverrouiller. A la seconde où le verrou claque, la porte s’ouvre et deux hommes s'engouffrent dans ton appartement. Ils ont le visage caché par un foulard et tu ne comprends pas vraiment ce qui est en train de t'arriver. Avant même que tu ne puisses réagir, il y a un coup qui part dans ton visage et un second dans ton estomac : ça te sèche presque immédiatement. Alex n'est pas là et on est en train de t'agresser à ton domicile. T’essaie de te défendre mais tu fais pas le poids face aux deux gorilles qui jettent tes bibelots et retournent ton appart’, à la recherche d’un truc. Sincèrement, tu sais pas ce qu’ils sont venus chercher, t’as pas de fric caché ici, ni même d’objet super cher. T’as une jolie déco, c'est vrai. Mais rien qui mérite un tel déferlement de haine. Tu hurles, mais personne ne bouge dans ton immeuble. Pourtant, tes voisins sont toujours les premiers à débarquer dès que tu mets la musique un peu fort. Tu comprends rien à ce qui est en train de t’arriver, t'aimerais bien que ce soit un simple cambriolage, mais tu vois bien qu’ils se ruent pas sur ton mac ou sur ton écran de télévision. Ils cherchent un truc, mais quoi ? Les vieux bijoux de ta grand-mère sont toujours chez tes parents. Tu te redressés, titube pour sortir de l'appartement, mais l’un des deux hommes ne l'entend pas de cette oreille, il te hurle un truc, avant de te frapper à l'oreille avec une statuette en marbre. Tu t’écroule immédiatement. Et quand tes parents te parlent de cet épisode de ta vie, les yeux de ta mère se remplissent de larmes, quand elle dit : “Tu as failli mourir.”

C’est peut-être une des raisons pour lesquelles, aujourd'hui, tu laisses tout arriver. Tu ne te bats plus contre le monde, c'est le monde qui se bat tout seul. Toi, tu te contente d’exister, de naviguer sur les vagues et les tsunamis qu’on t'envoie dans la gueule. Ça t’as fait du mal d'apprendre qu’Alex avait envoyé ces gars chez toi pour une histoire de drogue. Mais on sait tous que ce qui te fais encore plus de mal, c’est de savoir pertinemment que s’il revenait, tu ne lui en voudrais même pas. Tu comprendrais. Peut-être bien même, que tu remettrais ça ? T’en sais trop rien. T’as jamais été aussi amoureux. Et d'ailleurs, ça te fait peur. Tu tombes assez vite sous le charme des gens. Leur rire, leur sourire. Il ne te faut pas grand chose pour que ton âme de grand romantique ne s’emballe. Mais aujourd'hui, t’essaie de te l'interdire.

T’es né à Wroughton, dans le comté de Wiltshire. C'était la campagne, et t’as conservé l'accent que les gens ont là-bas, un accent “so British”, mais moins classe qu'à Londres. Vous aviez une grande maison, en pleine campagne et tous les matins, dès que tu ouvrais tes volets, tu avais la joie de voir les vaches de votre voisins paître dans le champ en face. T'as grandis dans la boue, sur le tracteur de ton grand-père, entouré des tartes aux myrtilles de ta grand-mère. T’adorais Wroughton. C'est là-bas que tu es devenu grand frère, d'abord une première fois avec Sunny et une seconde, avec River. Ouais, vos parents se sont tapé un délire avec vos prénoms, mais vous les portez fièrement tous les trois. T’avais plein d’amis, deux petites sœurs casse pied mais adorables, ta famille juste à côté, les champs et la forêt pour terrain de jeu. T'étais le roi du monde et tu voulais que rien ne change.

Mais ton père a eu une opportunité professionnelle qu’il ne pouvait pas louper et l'année de tes douze ans, t’as dû dire au revoir à tous tes copains. Même à celui avec qui t’avais échangé ton tout premier bisou, caché derrière la vieille grange. Tu as beaucoup pleuré, surtout en arrivant à Édimbourg. La beauté de tes champs avait été remplacée par d’immenses bâtisses de pierres. Tes copines les vaches ont été remplacées par des voisins indélicats. Et t’as pas du tout aimé qu’on se moque de ton accent, alors que personne ici ne se comprend. Ça t’a attiré quelques histoires a l'école, mais c'était histoire des quelques premiers mois. Parce qu'après ça, t’es vite devenu ami avec Sasha Fergusson, alors qu’il se moquait constamment de toi à ton arrivée.

T’as fais ton petit bonhomme de chemin, a Édimbourg. L’enfant de la campagne est devenu rapidement un ado de la ville, et a bien y réfléchir, tu l’aimes bien ta ville et ses pierres. Même si tu aimes la quitter pour voyager, tu te sens en sécurité quand tu y reviens. Les voyages tiens, parlons-en ! Avec le nouveau travail de ton père et celui qu’a trouvé ta mère en arrivant ici, votre train de vie a changé. Financièrement, vous avez escaladé quelques échelons et sans être extrêmement riches non plus, vous êtes devenus assez bourgeois pour faire des voyages en famille tous les étés. Tu te souviens de vos premières vacances, aux Maldives. T’es tombé amoureux de l’eau turquoise et de la bouffe là-bas. Et pas que. T’as rencontré Nicholas, dit Nick, qui avait trois ans de plus que toi. Il s'est rien passé entre vous, mais bon sang ce que tu aurais aimais qu’il s'intéresse à toi, comme tu t'intéressais a lui. C'est pas faute de lui avoir fait des appels de phares, mais t'avais seulement 15 ans, lui déjà 18. T'étais un espèce de pote de vacances un peu chelou, qui s'imaginait trop de choses. Pourtant t’as gardé longtemps le bracelet qu’il t’a offert avant de repartir pour sa vie normale.

Tu t'es vite intéressé à la musique et à l'univers de la nuit. T'aimais et t'aime toujours les boîtes de nuit, te rendre sourd de musique, ça, c'est ce que t’aimes le plus. Alors quand ta petite chaîne youtube de remix a commencé à faire du bruit au sein du lycée, et que les boîtes de nuit de la ville t'ont proposé d’aller faire des mini sets chez eux, t'as sûrement pas refusé. Tes parents, pourtant très ouverts d'esprit, n’ont pas vu ça de la même manière que toi et pendant des années vous vous êtes battus avant d'arriver à cette conclusion : une fois ton diplôme en poche, tu pourras te consacrer à la musique. Ils veulent que tu aies une ceinture de sécurité et avec du recul, tu les comprends.

T'as une vie normale. La seule chose anormale, c'est le nombre d'histoires d'amour foireuses qui t'ont conduite à ce détachement total. Alex, c’est qu’un parmi d’autres. Et peut-être qu’un jour, t'auras la force et l'envie de parler de tout ça à quelqu'un. Pour l'instant, tu te contentes d'écouter les histoires des autres et tu te consoles avec ça. Tu te contente de vivre les trucs que t'as à vivre et si ça tourne mal, c'est que ça devait se passer comme ça. T'es plus du genre a chercher une raison à tout ce qui t'arrive. T’as l'impression de mieux gérer comme ça, mais en vérité, c'est juste une manière plus stylée de faire l'autruche.