Je suis né au Mexique à l'été 1977, peu après le mariage de mes parents, tous deux journalistes de renom. Leur métier les avait mené dans ce pays d'Amérique centrale afin de couvrir les divers évènements politiques qui s'y tramaient à l'époque. L'endroit leur avait tellement plu qu'ils décidèrent de s'y installer, et nous y résidâmes jusqu'a ce que j'atteigne l'âge de trois ans. Ainsi, déja tout petit, en plus de la langue anglaise, langue maternelle de mes parents, j'appris également quelques mots d'espagnol, bien que cela ne me servit pas outre mesure, puisque nous revînmes aux Etats-Unis rapidement. Je grandissais alors dans une belle maison de la côte Ouest, pas loin de Los Angeles.

Mes parents, surtout mon père, étaient très peu présents. C'était la soeur de ma mère qui s'occupa de moi lorsqu'ils étaient tous les deux absents, et je nouais une très forte relation avec elle, ainsi qu'avec mes cousins et cousines puisque, étant fils unique, je ne connaissais pas le bonheur d'avoir des frères et soeurs. Néanmoins, lorsqu'ils étaient là, je redevenais leur enfant chéri. Je me souviens des longues après-midi ou nous regardions les albums photos de la famille. Je dois beaucoup à mes parents, car ce sont eux qui m'ont ouvert au monde, et qui m'initièrent plus tard à la photographie. En effet, dès que je fus plus grand, nous avions pris l'habitude de faire de longues balades dans la nature, ou nous immortalisions le moindre paysage avant de faire développer les images. Je me pris de passion rapidement pour cet art et, à l'âge de quatorze ans, je possédais mon propre appareil, un vieux Kodak des années 90 mais que je garde fidèlement toujours aujourd'hui, bien qu'il ne soit plus réellement opérationnel.

A l'adolescence, le choix des études se fit alors sans problème, ce serait une école de journalisme. Cependant, je changeais vite d'avis en découvrant que, ce qui m'intéressait vraiment, c'était prendre des photos, et non pas écrire des articles ou de devenir reporter de guerre. Ainsi, à vingt ans, j'entrais à la California Insitute of the Arts en études de photographie. Les jaloux auraient pu arguer que je n'y avais été admis que grâce à la fortune de mes parents, mais je savais déja à l'époque que j'avais un certain talent. J'y suivi le cursus avant d'en ressortir avec mon diplôme en poche, en 1999. Je m'installais dans un local en plein centre ville de Los Angeles, tout en commençant à distribuer des cartes de visite un peu partout. Grâce à mon bon parcours, et ensuite au bouche à oreille, je commençais à décrocher mes premiers contrats. Rien de bien fou au demeurant, mais petit à petit, les missions devinrent plus importantes, et je fus contacté par de plus grandes boites. En parallèle, je développais un blog sur Internet ou je postais une grande quantité de mon travail.

La consécration arriva cinq ans plus tard, en 2004, pour la soixante seizième cérémonie des Oscars, quand je fus dépêché pour couvrir l'évènement, le plus gros auquel je n'ai jamais assisté. Le talent surement un peu, mais aussi beaucoup de chance, ainsi que la confiance que m'accordait l'entreprise qui m'avait embauché m'avait propulsé jusque là. Fini les missions en mode "paparazzi caché derrière les voitures", j'allais enfin pouvoir aller sur le devant de la scène !

C'est à ce moment là que je rencontrais ma future femme et mère de mes enfants. Elle n'était pas photographe, comme moi, mais journaliste, comme mes parents. J'étais bien loin alors de m'intéresser à Sean Penn ou Charlize Theron, respectivement meilleurs acteurs et actrices, parce que je ne n'avais d'yeux que pour elle. Je pris rapidement contact avec elle, et nous nous donnâmes rendez-vous le soir même de notre première rencontre. Nous n'avions pas beaucoup de temps pour nous connaitre parce que, une fois l'évènement fini, elle repartirait en Ecosse, là ou habitait l'ensemble de sa famille. En effet, elle n'était pas américaine, mais elle voyageait beaucoup grâce à son travail. Nous prîmes alors un verre au bar de notre hôtel, et à partir de là, une entreprîmes une liaison par correspondance. J'avais eu le coup de foudre pour elle, et je savais qu'a terme, je voulais la rejoindre, peu importe ou elle irait. D'ailleurs, tout se déroula très vite entre nous. Ainsi, deux ans plus tard, nous étions mariés, trois et le 9 août 2007 un enfant venait agrandir notre foyer, Aspen, tel un cadeau inespéré pour mes trente ans. Nous vîmes nous installer dans le pays de naissance de ma femme, laissant le territoire américain à mes parents, pour venir habiter dans une villa achetée en commun, dans un des meilleurs quartiers de la ville d’Edimbourg, Stockbridge.

Le temps passa, et une deuxième fille naquit de notre union en 2009, Farah. En même temps, la propriété étant trop grande pour qu'elle puisse s'en occuper seule, nous engageâmes un jardinier, une cuisinière et une femme de ménage pour l'épauler. Quant à moi, je continuais mon ascension, les sous gagnés lors des précédents festivals me permettant d'acheter un local photo en centre-ville. J'étais devenu indépendant. Plus les enfants grandissaient plus je devenais passionné par ce que je faisais. Je passais beaucoup de temps dans mon atelier, à faire et développer mes photos, rentrant tard le soir, souvent alors que mes filles étaient déjà couchées. Dans une des chambres d'ami, je m'étais installé un bureau, ou je m'amusais parfois à monter et démonter des appareils, à comparer les différents modèles sur Internet ou à compléter et peaufiner mon site de photos. Malgré tout, je restais profondément attaché à ma famille, à mes filles et à ma femme que j'aimais plus que tout.

Un jour, alors que mes trois protégées étaient de sortie et que je m’ennuyais en attente de contrats, j’eu la simple idée de jeter un oeil par la fenêtre de l’étage. De là, j’aperçus le jardin et le jardinier s’occupant des fleurs. Brandissant l’appareil je pris plusieurs photos. Enchanté devant le résultat, je continuais ainsi jusqu’a ce que le soleil commence à tomber. A partir de là, je commençais à prendre des photos du reste du personnel. Je continuais par la cuisinière, mais fut vite chassé, parce que je lui tournais trop autour dans la cuisine et que cela la dérangeait dans son travail. Je me consacrais donc à un nouveau modèle. Elle était jeune et jolie pour une femme de ménage. Ma femme n'était pas jalouse, elle savait que, même si elle était mignonne, je ne tenterai rien avec une employée, et l'avait donc embauchée sans problèmes. Je ne tentais d'ailleurs jamais rien. Ce n'était que des photos. La concernée se prit également au jeu, et, tout en respectant et faisant respecter les distances entre nous, je me permis de la fixer à travers l'objectif quelques minutes par jour.

Petit à petit cependant, je sentis que quelque chose commençait à tourner, mais je n'arrivais pas à m'en préoccuper, tant mon métier m'accaparait. Les filles grandissaient, et s'absentaient de plus en plus de la maison, tandis que moi je me repliais dans mon bureau. En effet, j'avais décroché peu de temps avant un contrat via une agence de star, en vue de réaliser les bookings d'étoiles montantes du mannequinat. Je ne pouvais pas tout faire foirer après avoir monté tous ses étages à la force de ma volonté. Je prenais de plus en plus les repas seul, et il m'arrivait parfois de m'assoupir sans crier garde sur ma chaise de l'atelier en plein milieu de la nuit. Lorsque ma femme me le reprochait, j'avais la tendance malheureuse d'arguer du fait que j'avais la lourde tâche de nourrir la famille, ce qui la mettait plus en colère encore. Toutefois je lui expliquais, encore et toujours, puis la rassurait en la prenant dans mes bras, en la couvrant de baisers, jusqu'à ce qu'elle se mette à rire et m'embrasse à son tour. Je ne pouvais pas lui promettre que j'allais lever le pied, parce que j'aurais été incapable de tenir ma promesse. Par contre, j'essayais de me rendre disponible chaque fois que je pouvais. J'avais également recommencé à parler d'elle à mes contacts, histoire qu'elle relie avec le monde du travail, maintenant que les enfants étaient un peu plus grandes et pouvaient apprendre à se débrouiller seules.

Je ne m'étais pas rendu compte de la gravité de la situation, si bien qu'un soir, elle s'immisça dans l'atelier avec la ferme intention de discuter avec moi. J'étais à ce moment même en train de travailler sur les photos de la femme de ménage prises ce même jour. Son regard s'était attardé sur l'écran de mon ordinateur un quart de seconde, puis elle avait explosé. Je restais immobile, figé sous la violence de ses cris. Dans sa bouche, le mot divorce explosa à mes oreilles. Je voulus la prendre contre moi, comprendre comment elle avait pu en arriver là mais elle me repoussa sans ménagement. Certains auraient pu dire que je l'avais bien cherché, que je ne méritais que ce qui m'arrivait, mais une chose en moi demeurait une évidence : j'aimais mon épouse plus que tout. Ce soir là je la suppliais, allant jusqu'à me mettre à genoux pour lui demander pardon, et je lui répétais encore et encore que je ne désirais qu'elle, que je ne voulais que d'elle dans ma vie, mais elle ne se laissa pas attendrir. Le jour suivant, elle partait s'installer chez une amie, me laissant seul avec les enfants, dans cette grande maison si froide maintenant que sa présence avait disparu. Pendant plusieurs mois je me mis à travailler sans relâche pour éviter de penser trop à elle, mais cela n'arrangea en rien la situation. En décembre 2020, je recevais les papiers de l'avocat pour le divorce. A partir de là, toute ma motivation s'envola en fumée. Je ne travaillais plus, ne mangeait presque plus. Je ne tenais que pour Aspen et Farah, mais si je ne les avais pas eu, je me serai laisser aller sur le lit conjugal, une bouteille à la main. Je ne pouvais plus rentrer dans mon bureau. Le téléphone sonnait sans relâche, pour me rappeler mes contrats en cours, mais je ne décrochais plus. Surement avertis par leurs petites-filles, mes parents débarquèrent un jour des Etats-Unis en prétextant un voyage (mais officiellement avec l'envie de me faire remonter la pente). Grâce à eux, je sentis que je reprenais pied peu à peu. Je passais plus de temps avec mes filles, et je résolus de me battre pour leur garde. J'embauchais un bon avocat, cher mais j'espérais efficace, pour pouvoir m'assister lors de la procédure qui allait suivre.

Hélas, mon avocat avait beau être bon, celui de ma femme également. Ce fut eux qui obtinrent gain de cause. Finalement cela ne leur fut pas difficile, ils avaient toutes les preuves nécessaires montrant que je ne m'occupais que partiellement de Farah et Aspen, leur préférant mon travail et la photographie. Ils avaient même pu auditionner les filles qui avaient parlé de ma dépression post-rupture, tout comme ils avaient les témoignages des voisins qui avaient aperçu les volets fermés en pleine journée. Ainsi, janvier 2021, obtenais-je un droit de visite et d'hébergement pour mes enfants, en même temps que la procédure s'achevait. Pas si longue que ça pour un divorce conflictuel, mais j'avais perdu beaucoup de mes moyens au fur et à mesure du temps. Mon ex-épouse m'avait laissé la maison, ainsi que tous ses occupants. Je payais une gracieuse pension alimentaire, et mes économies commencèrent à fondre comme neige au soleil. D'autant que, en parallèle, en un an, j'avais perdu un très grand nombre de contrats puisque j'avais cessé de répondre à leurs relances. Ma réputation en avait pris un sérieux coup. J'étais maintenant réduit à de petites missions locales, intervenant par exemple dans les écoles pour les photos de classe annuelles. Je continuais à alimenter mon blog, mais sa popularité décroissait elle aussi petit à petit. Je dus me résoudre à me séparer du personnel de la maison, et je fus bientôt seul dans cette grande demeure. J’hésitais un moment avant de lancer la procédure de vente, mais me rendit compte que c’était bien mieux comme ça puisque je ne pouvais assumer toutes les charges. De plus, je ne pensais à aucun moment à retourner dans mon pays, parce que cela aurai conduit à ce que j’abandonne le droit de voir mes enfants. J’y vis donc encore, le temps de trouver des acheteurs, et, de manière plus générale, de retomber sur mes pattes.

Récemment, un vieil homme est venu me voir pour que je corresponde avec sa défunte épouse, Rose. Il avait trouvé mon blog grâce à ces petits enfants qui le lui avaient montré et était persuadé que je pourrai lui apprendre comment elle vivait depuis l'au delà et si elle avait changé. J'ai bien évidemment refusé parce que j'étais dans l'incapacité de répondre à sa demande, mais il m'a promis une coquette somme d'argent si je la prenais en photo et que je la lui donnais. il m'a indiqué l'endroit ou il aurait le plus propice de la voir, à savoir une salle de spectacle qu'elle fréquentait assidument depuis qu'elle n'avait plus la possibilité de passer sur scène. J'y suis allé et j'ai mitraillé sous couvert de couvrir le spectacle qui se déroulait un soir, et j'ai réussi à prendre la forme de l'esprit de la vieille femme parmi les danseuses. Lorsque je l'ai remis à cet homme, il a été subjugué, et m'en a demandé plus. Alors j'ai continué, soir après soir, jusqu'a sa mort à lui, peu de temps après.

Peut être qu'il en avait parlé autour de lui avant son décès mais quoi qu'il en soit, les choses ont commencé à s'enchainer depuis. Aujourd'hui, même si je suis loin d'être revenu à ma splendeur d'antan, le commerce de photos mortuaires commence à prendre de l'envol.