Les bruits notifiant la réception de SMS ne résonnaient plus dans le salon. La discussion avec Nadeem terminée avait ramené un lourd silence dans l’appartement du couple. Le téléphone avait été abandonné sur le canapé, sur lequel Victoria s’était laissée tomber dès le premier message. Sa tentative d’appel au secours s’était transformé en pugilat entre elle et son fiancé et pourtant une partie d’elle se sentait soulagée d’avoir lâché ce qu’elle pensait depuis un bon moment déjà.

Nadeem était un professionnel du déni, quand cela l’arrangeait lui et ses proches. Il n’avait pas tord lorsqu’il avait dit que ça l’avait arrangé, pendant des années. Bien sûr qu’elle avait apprécié ne pas avoir à subir un interrogatoire et devoir continuer à inventer des mensonges, mais elle le regrettait également. Si tout avait été avoué plus tôt, ils n’en seraient pas arrivés à là. Le documentaire de ce soir n’aurait pas eu le même impact psychologique sur elle. Elle se serait tendue et aurait tremblé, mais Nadeem aurait pu intervenir pour couper la télévision et la calmer. La soirée n’aurait pas tourné au drame et Neeli et lui seraient restés avec elle.

Au lieu de cela, elle se retrouvait seule dans une maison vide, hantée par ses propres démons. Le pire avait été quand elle avait distinctement vu son père dans le salon, juste avant l’échange de messages avec son fiancé. Son sang n’avait fait qu’un tour. Perdait-elle la raison pour de bon ? Nadeem n’avait pas compris. Elle non plus à dire vrai, ne saisissait plus grand chose. Médicament ou intensification de ses crises ? Elle ignorait la cause de son hallucination (parce que ça ne pouvait être que ça, non ?), mais avait tremblé pendant plus de vingt minutes sans pouvoir se contrôler.

Dans l’appartement, là où le commun des mortels n’entendait qu’un silence, Victoria, elle, était plongée dans un vacarme assourdissant. Elle avait la sensation de vivre la crise la plus puissante de toute sa vie. Les voix s’entremêlaient entre elles en ne lui laissant pas le moindre répit. Certaines, familières, étaient les plus douloureuses. Entendre celle de Mark intensifiait l’une de ses plus grandes peurs : perdre pour de bon sa santé mentale. Celle de son père, ne faisait que lui rappeler qu’il n’avait cessé de la prévenir à propos de Nadeem. Il n’avait pas les épaules pour cela.

Les hallucinations visuelles avaient cessé mais la hantaient encore. Le corps de Victoria était trempé de sueur froide et tremblait encore légèrement. Son regard, quand il ne scrutait pas le salon avec la crainte de revoir son père debout devant elle, fixait la boîte de comprimés qu’elle tenait dans sa main.  Elle avait déjà pris la dose nécessaire pour une nuit, et même un demi cachet en plus, mais hésitait. Le doute ne dura pas très longtemps. Elle n’était pas inconsciente au point de mettre sa vie en péril. Pourtant en cet instant, elle aurait tout donné pour ne plus entendre les voix lui hurler dessus.

Le vacarme intérieur était tel, qu’elle ne réalisa pas de suite que quelqu’un était entré chez elle. Elle avait pourtant l’habitude de repérer le bruit des clefs dans la serrure qui annonçait généralement le retour de son fiancé à la maison. Elle loupa également le surnom qu’Aizah avait l’habitude de lui donner, quand elles étaient encore proches. Elle sursauta par contre trop violemment quand cette dernière parvint enfin à lui faire remarquer sa présence. La brune se releva brusquement du canapé et se retourna en direction de la porte, fixant Aizah comme si c’était elle qui était complètement folle.

Pourquoi diable venait-elle se mettre au milieu de tout ça ? Elle avait sûrement mieux à faire que de venir prendre de ses nouvelles à la place de son jumeau alors qu’elle était en pleine crise. Lui savait gérer sa fiancé, mais elle non. Dans son oreille, l’éclat de rire puissant de Zachary résonna tellement fort qu’elle lui fit secouer la tête et plaquer une main sur son oreille.

« Aizah, qu’est-ce que tu fais là ?! »

La jolie brune venait pourtant de répondre à cette question, et Victoria lui fit signe de laisser tomber la réponse. Elle savait. Nadeem le lui avait déjà dit avant, mais elle s’était perdue dans le temps et l’espace. Combien de minutes où d’heures s’étaient écoulées depuis le dernier SMS ?

« C’est pas une bonne idée ! »

Grogna t-elle en poussant un long soupir et en passant une main sur son visage. Ses traits tirés et ses yeux rougis montraient qu’elle était à bout de force. Elle ne se sentait pas capable de maîtriser sa crise, même pour ne pas heurter la sensibilité d’Aizah. Quand sa belle-soeur précisa qu’elle avait vu l’émission, le visage de la brune se décomposa en une fraction de seconde. Elle savait. Son image n’était déjà pas très bonne aux yeux d’Aizah, là elle ne ferait qu’empirer. La précision de cette dernière quant au fait qu’elle était de son côté lui fit plisser les yeux de doute. Comment pouvait-elle bien être de son côté alors qu’elle venait d’apprendre que Victoria avait menti pendant autant de temps à son frère.

« Visiblement, tu n’as pas vu assez du reportage pour te faire une idée, Aizah. »

Soupira t-elle avec regret. Une alliée, c’était bien ce dont elle avait besoin ce soir. Intérieurement, elle avait même espéré pour que Nadeem soit cette personne.

« Qu’est-ce qu’il t’a dit ? Pourquoi est-ce qu’il t’envoie ? »

Demanda t-elle en croisant les bras contre sa poitrine et en plissant de nouveau les yeux, suspicieuse. Elle espérait que son fiancé ait au moins été prudent en ne racontant pas ce qu’elle lui avait dit par messages. Passer pour une folle auprès de lui passait encore, mais pas auprès d’Aizah. Victoria était peut-être en plein délire, mais elle ne voulait pas que tout le monde s’en rende compte. Encore moins sa belle-soeur.

Les oreilles de Victoria bourdonnaient. Elle n’était même pas certaine que ce soit bien Aizah en face d’elle, et non pas l’une de ses hallucinations. Non, elle espérait ne pas être si déconnectée de la réalité de ça. La voix de sa belle-soeur était réelle, vivante. Les autres qui l’atteignaient semblaient provenir d’une vieille radio mal réglée. La brune était complètement perdue et ne savait pas comment réagir. La colère prit instantanément le pas sur toutes les autres émotions en constatant que c’était Aizah qui était là, et non pas son frère jumeau. Il lui avait laissé faire le sale boulot, alors que la pauvre femme n’avait jamais été témoin de la moindre crise. Il l’abandonnait une nouvelle fois, sans même être revenu.

Il y avait pourtant encore une part de conscience en Victoria qui lui répétait qu’elle était devant sa belle-sœur et ne pouvait pas se permettre de faire mauvaise figure. Nadeem était habitué à la voir au plus bas, voire même parfois un peu incohérente, mais elle ne voulait pas qu’Aizah se mette à penser que la fiancé de son jumeau perdait la tête, ou pire encore : qu’elle pouvait être dangereuse pour sa nièce.

La gentillesse soudaine d’Aizah l’ébranlait également. Elle n’était plus habituée à tant de bienveillance de la part de sa belle-soeur. Cette dernière n’était pas méchante avec elle ces derniers temps, elle ne l’avait d’ailleurs pas été tout court, mais leur relation n’avait plus la même intensité qu’avant. En toute franchise, Aizah était la dernière personne que Victoria s’était imaginé voir débarquer ce soir pour l’aider. Et pourtant, elle était là. Elle était là quand Nadeem lui-même ne l’était pas. Ce constat rendait la situation encore pire.

Un léger ricanement sarcastique s’échappa de la gorge de la brune qui tentait d’arrêter de gesticuler comme une droguée en manque. Bien sûr qu’elle allait en vouloir à Nadeem. C’était d’ailleurs déjà le cas. Elle lui en voulait de ne pas être là pour elle, et d’envoyer sa jumelle se taper le sale boulot pendant que lui s’occupait de Neeli qui avait du se calmer depuis le temps. Bon sang. Il était seul avec Neeli sans sa soeur à ses côtés pour prendre le relais si jamais la petite se mettait à pleurer pour une quelconque raison. Le coeur de Victoria s’emballa tandis qu’elle priait intérieurement pour que la petite soit endormie.

« Je lui en veux déjà. »

Souffla la brune en poussant un long soupir agacé. Bien sûr que si, elle était en colère ! Bien sûr qu’elle lui en voulait ! Et le sentiment ne fit que grandir quand Aizah lui avoua qu’il l’avait laissée regarder leur conversation par SMS, mais aussi écouter leur discussion. Victoria se sentait bafouée et trahie par sa moitié, pour qui l’intimité de leur couple était pourtant importante. Les discussions entre eux étaient comme des secrets dans lequel les autres - et même Aizah - n’avaient pas le droit de mettre leurs nez. Ils vivaient dans leur cocon et leurs disputes également. Victoria s’était-elle donc trompée à penser que son fiancé voyait les choses de la même manière qu’elle ?

« Génial ! La prochaine fois il n’a qu’à t’inviter pendant qu’on s’engueule, comme ça tu seras aux premières loges ! »

La brune n’avait jamais eu aucun problème avec le lien reliant les jumeaux. Ils étaient fusionnés et n’avaient pas de secret l’un pour l’autre. Si Victoria se doutait que Nadeem devait se confier à sa soeur à propos de leur couple lors de certaines disputes, elle aurait pourtant apprécié qu’il ait conscience que cette fois-ci, la chose était bien trop délicate et personnelle pour sa future femme pour être partagée aussi rapidement avec sa jumelle.

« Excuse-moi, ce n’est pas à toi que j’en veux. »

Se rattrapa aussitôt la brune en décroisant les bras et en se dirigeant vers le canapé pour s’y laisser tomber. Elle s’en prenait à Aizah parce qu’elle ne pouvait pas le faire avec Nadeem. Parce que elle était là, mais pas lui. Et le pire dans tout cela, c’était que sa belle-soeur semblait bien plus capable que lui de gérer la chose, finalement. Au lieu de s’en prendre à elle, elle lui proposait de discuter et lui laisser une occasion de parler, et de raconter sa propre histoire. Aizah ne se contentait pas de ce qu’elle avait vu à la télévision, elle préférait tirer ses informations à la source. Elle faisait ce que Victoria espérait de son âme-soeur, et cette pensée serra le coeur de la brune.

« Pas de thé. Je suis déjà un peu trop sur les nerfs. »

La brune tentait de contrôler sa voix et de la rendre moins dure. Aizah devait comprendre qu’elle n’avait rien à lui reprocher, bien au contraire. Elle était reconnaissante d’avoir pour la première fois de sa vie, quelqu’un qui ne se braquait pas subitement contre elle en apprenant son passé. Assise sur le canapé, elle posa ses coudes sur ses genoux et plongea sa tête entre ses mains. Elle devait se ressaisir et tenter de faire taire les bourdonnements de voix dans ses oreilles. S’encrer dans la réalité que représentait Aizah. C’était beaucoup plus simple quand Nadeem la serrait contre lui et lui parlait de photographie pendant des heures. L’exercice était plus simple quand elle devait se contenter d’écouter. Aizah lui demandait de parler, mais Victoria ignorait par où commencer. Elle n’avait jamais été capable de raconter son histoire. Quant à Nadeem, il n’avait jamais cherché à la connaître. Les incohérences évidente dans les discours de Victoria au fil des années avaient été ignorées, mais le résultait semblait pire que si elles ne l’avaient pas été. Crever l’abcès plus tôt aurait sans doute épargné au couple une nouvelle dispute grave.

« Bien sûr que je veux bien parler avec toi. »

Murmura Victoria en se sentant coupable d’avoir été brusque avec sa belle-soeur, alors que cette dernière était venue pour la soutenir. Afin de lui prouver qu’elle ne recommencerait pas, elle sortir le visage de ses mains pour venir tapoter sur le coussin du canapé et l’inviter à la rejoindre.

« Fais comme chez toi, prends un thé si tu veux. »

Aizah connaissait l’appartement par coeur, et était chez elle. Victoria ne se sentait pas la force de jouer l’hôte modèle et de lui préparer un thé. Elle sentait que sa belle-soeur ne s’offusquerait pas de cela. Elle attendit que la brune décide, Victoria patiente en silence. Ce n’est qu’une fois Aizah à ses côtés, qu’elle rouvre la bouche.

« Je t’avoue que je ne sais pas par où commencer. Le reportage devait être peu élogieux sur ma famille … »

Elle se demanda jusqu’où le documentaire était allé. Dans la logique des choses, il exposait les faits, l’enquête et les conséquences. Elle devait donc avoir entendu le récit des dizaines de victimes et vu les images de la chasse aux sorcières menée contre sa famille, du moins, si elle avait été aussi loin.

« Je t’assure que ma mère et moi n’étions pas au courant de ce que faisait mon père. »

Les bourdonnements dans la tête de Victoria lui donnait l’impression d’avoir la migraine, ou la gueule de bois. Assise sur le canapé du salon, elle tentait de garder un air normal. Elle ne voulait pas effrayer sa belle-soeur, qui ne l’avait jamais vue dans un tel état. Elle glissa l’une de ses main contre sa tempe droite, comme pour tenir sa tête. Ses doigts s’entrelaçaient autour de quelques mèches de ses cheveux, qu’elle se retenait de s’arracher tant elle n’en pouvait plus. Elle ressemblait à une migraineuse en pleine crise, c’était beaucoup mieux qu’à une folle au bord de la crise d’hystérie. La brune refusa également la proposition de thé. Elle sentait qu’elle avait l’estomac au bord des lèvres et n’avait pas envie d’être prise de nausées incontrôlables.

De ses yeux bleus, elle fixa la brune en face d’elle intensément. Elle se concentra pour tenter de faire passer la voix de sa belle-soeur au-dessus des autres qui lui susurraient à l’oreille. La méthode était la même qu’elle utilisait lorsque Nadeem tentait de calmer l’une de ses crises nocturnes. Avec le temps, ils étaient tous les deux rodés. Dès que Victoria commençait à s’agiter et gémir, son fiancé venait aussitôt l’encercler de ses bras pour la rassurer. Il passait ensuite de longues minutes (qui se transformaient parfois en heures) à lui parler des dernières expositions auxquelles il avait assisté sans elle, ou de ses oeuvres favorites. Il les lui décrivait en détail et lui expliquait consciencieusement ce qu’il y voyait et ce qu’il interprétait de l’oeuvre. Dans ces moments là, Victoria faisait comme maintenant : elle centrait son attention sur la voix de son fiancé, pour n’entendre plus que lui. Là, l’exercice était pourtant un peu plus complexe : Victoria devait répondre à sa belle-soeur. D’habitude, elle se laissait simplement porter jusqu’à ce que les voix disparaissent complètement.

Les lèvres de la brune se plissèrent, quand Aizah la sermonna d’avoir oublié que les jumeaux se disaient tout. L’humeur massacrante de Victoria lui donna subitement envie de répondre que ce n’était pas totalement vrai et que sa belle-soeur s’était tout de même bien retenue de parler de sa liaison avec Porter à son frère. Elle se retint, par respect pour celle qui débarquait chez elle pour la défendre et lui venir en aide, et parce qu’elle n’avait nullement envie de gâcher la relation qu’elles reconstruisaient à leur rythme.

« Il ne se vantait pas, non. Ma mère et moi on ignorait absolument tout. Il était professeur de philo, c’était un père et un mari modèle. »

La brune commença par ce qui lui semblait le plus logique. Elle posa les bases pour qu’Aizah puisse s’y retrouver. Personne n’avait jamais soupçonné Zachary, parce que c’était aux yeux de tous un citoyen modèle et un professeur adoré. Un bon chrétien, qui allait à l’église le dimanche matin quand il le pouvait.

« J’avais environs quinze/seize ans quand il a été arrêté. T’as du l’entendre dans le reportage, il s’en est pris à une quinzaine de jeunes filles. Certaines étaient ses élèves. »

Elle ferma un instant ses yeux qui se crispèrent de douleur. Se souvenir avec autant de précision des faits était douloureux. Elle revoyait parfaitement son père revenir d’une « session de cours privé » destiné à « aider » certaines élèves en difficulté. Elle se souvenait de Rose, lui sortant son assiette du four et le servir à table, le coeur débordant de fierté devant cet homme qui n’hésitait pas à rentrer plus tard à la maison pour aider ses élèves.

Victoria rouvrit brusquement les yeux et posa sa main libre contre sa poitrine. Y repenser lui donnait la nausée. Rose et elle avaient été si facilement dupées par l’homme, que se souvenir de l’amour et de l’admiration qu’elles éprouvaient pour lui lui faisait l’effet d’une lame glacée poignardant son coeur. Elle continua son récit, en fixant le sol devant elle.

« Un matin, la police a débarqué pour l’arrêter et il est parti en prison. »

« FICHUE GAMINE ! Si elle ne s’était pas échappée …»

Victoria remonta brusquement la main de sa poitrine à son oreille libre, comme si on venait de lui hurler dessus. La colère de son père résonnait violemment en elle. Zachary aurait sans douté fait quelques victimes de plus, si la dernière agressée ne l’avait pas dénoncé. Elle avait eut le courage de le faire directement, permettant ainsi de rassembler les preuves contre son agresseur.

« Depuis son arrestation, toute la ville savait qui on était, parce qu’on était passées aux infos On avait la télé devant la porte de chez nous, et des photographes aussi. Ma mère et moi on était devenu les parias de la ville. Il n’a pas eu de procès. Il s’est suicidé avant. Ça n’a calmé personne.»  

Conclut la brune en relevant enfin son regard bleu humide en direction de sa belle-soeur. La mort de son père n’avait pas adoucit les coeurs des habitants de la ville qui n’avaient cessé de les traiter comme si elle et Rose avaient commis elles-mêmes les crimes. Tout le monde avait oublié que pendant qu’ils célébraient la disparition d’un pédophile, une femme pleurait son mari et l’autre son père.

La brune marqua un long temps de pause durant lequel elle fixa un point invisible derrière le visage de sa belle-soeur. Elle se perdit un instant dans de vieux souvenirs auxquels elle n’avait pas repensé depuis des années. Malgré le temps, elle sentait encore parfaitement l’odeur de terre mouillée qui lui avait envahie les narines pendant l’enterrement de son père. Elle se souvenait de sa mère, qui n’avait pas osé exprimer son chagrin publiquement, de peur d’être considérée comme sans compassion pour les victimes de son mari.

« C’est pour ça que j’ai préféré mentir à Nadeem. Et à tout le monde. J’ai voulu dire la vérité à ton frère de nombreuses fois, mais je n’y arrivais pas. Il avait compris qu’il ne fallait pas trop parler de mon père et ça m’allait très bien. » 





























Parler de son passé est une épreuve que Victoria n’aurait jamais pensé réussir à surmonter un jour. Et pourtant, la voilà assise sur son canapé, bien loin d’être détendue, mais bel et bien en train de raconter le récit de sa vie. Elle n’aurait jamais cru qu’Aizah serait la première à qui elle parlerait en détails, ça aussi, c’était étonnant. Elle s’était souvent imaginé finir par craquer un soir, seule avec Nadeem, les yeux embués d’émotion et les mains tremblantes. Sur ça aussi, elle s’était bien trompée.

« C’est vrai. Et pourtant c’est plus simple de penser qu’une femme ayant épousé un monstre en est un également. »

C’est ce qui avait été dit de Rose, pendant plusieurs semaines après l’arrestation de Zachary. La Victoria adolescente de l’époque avait été outrée et ravagée par la colère chaque fois qu’elle entendait ce monstre utilisé pour qualifier sa mère. Pour ceux qui la connaissaient réellement, Rose était une sainte. Une femme brave avec le coeur sur la main, dont les croyances l’empêchaient de faire du mal. Elle était de ces femmes qui s’en voulaient si elles écrasaient une fourmis.

« Dis ça à ton frère… »

Soupira t-elle quand sa belle-soeur lui dit qu’elle n’avait rien à se reprocher. La colère avait été la première réponse de Nadeem, avant que ce dernier ne décrète qu’il ne pouvait pas rester à la maison, sous prétexte de ne pas vouloir perturber Neeli. La brune se demandait encore si c’était véritablement la seule raison à cette fuite. Son fiancé n’avait pas cherché à se mettre un seul instant à sa place, et c’était ce qui avait blessé le plus Victoria. Il était pourtant le mieux placé pour pouvoir le faire. Il connaissait par coeur sa future femme et de plus, il était plutôt à l’aise avec les secrets. Malgré le temps écoulé, Victoria n’oubliait pas qu’il lui avait dissimulé pendant longtemps la vérité à propos de son métier.

« C’est n’est pas son fort, et encore moins le mien. »

Malgré tout, elle ne voulait pas uniquement blâmer l’avocat. Il avait fait l’aveugle devant toutes les évidences qu’il avait devant les yeux et qui auraient du l’alerter à propos du passé d sa petite ami, mais elle ne l’avait pas non plus aidé. Chaque fois qu’il avait tenté de parler de son père, la brune s’était aussitôt braquée, juste assez pour lui passer l’envie d’essayer de nouveau.

Si Victoria semblait se détendre, les tourments en elle ne faisaient que gagner en intensité. Les voix étaient toujours présentes, mais s’entremêlaient assez pour lui permettre de ne pas trop être perturbées. Quand la brune ne comprenait pas les mots, il était étrangement plus facile pour elle de les ignorer. L’illusion de la détente ne dura qu’un temps. Dès lors qu’Aizah proposa à sa belle-soeur de continuer à se confier en parlant du comportement étrange qu’elle avait eu ce soir et que son frère lui avait visiblement rapporté, Victoria se referma aussitôt. Ses muscles se contractèrent et raidirent son corps, comme si elle se préparait à se battre.

« Non. »

Le refus fut balancé d’un ton glacial, et la brune s’en voulu aussitôt. Le courage éprouvé précédemment avait totalement disparu. Aizah elle même ne semblait pas réussir à poser des mots sur le comportement de Victoria, alors pourquoi s’imaginait-elle qu’elle, elle en serait capable ? Avec es années, la brune s’était rendue à l’évidence : la médecine moderne n’avait pas réussi à régler son problème. Au mieux, elle était parvenue à en réduire les symptômes à coups de médicaments et de somnifères. Elle aussi, avait eu plusieurs preuves que les voix qu’elle entendait ne pouvaient pas provenir que d’elle. Certains détails dans les récits qu’elle ignorait, lui étaient décrits avec précision, alors qu’il était impossible pour elle de les deviner.

« Je suis juste épuisée, et j’ai un peu craqué ce soir. C’est tout. »

La fatigue ne datait pas de ce soir, mais de plusieurs mois cumulés où elle s’était occupée des deux filles à temps quasi-plein. Quand elle ne le faisait pas, elle se posait sur l’ordinateur pour tenter de filer une main à distance à Arthur, malgré son congé maternité. Si Nadeem avait raconté précisément ce à quoi correspondait le « craquage » de sa fiancé à sa soeur, alors cette dernière savait qu’il ne s’agissait pas que de ça, et que Victoria mentait pour ne pas parler. Pour illustrer la fatigue évoquée, Victoria recroquevilla ses jambes contre elle et laissa le haut de son corps s’appuyer contre le dossier du canapé. Dans cette position, avec un plaid et d’autres circonstances, elle se serait aussitôt endormie.

« Tu n’aurais pas du être mêlée à tout ça. Je suis désolée. »

Aux yeux de la brune, l’histoire ne concernait que son couple. Elle détestait l’idée d’y avoir introduit une autre personne, aussi proche pouvait-elle être.

« J’aurais aimé que ton frère soit resté. »

Avoua t-elle d’une voix soudainement faible, en baissant les yeux en direction de ses jambes. Elle se sentait terriblement abandonnée et fragile, quand l’avocat n’était pas à ses côtés et qu’elle était en pleine crise. Ses mots, son parfum et sa présence étaient le meilleur remède à tout.

Voir que petit à petit la discussion s’orientait sur autre chose que le documentaire à propos de son père ou les problèmes mentaux qu’elle pouvait avoir commençait à calmer Victoria petit à petit. Comme lorsque Nadeem se mettait à parler de photographie pour l’aider à contrôler les crises, elle avait l’impression que de s’obliger à se concentrer sur un autre sujet l’aidait à ne plus se laisser avaler par les chuchotements et les voix qui l’attaquaient. Certes, Victoria prenait un risque en ouvrant le sujet sensible de sa rupture avec Nadeem, mais la chose était assez intense et importante pour que son cerveau ne reste concentré que là-dessus.

Ce n’était pas la première fois que la brune se demandait si sa belle-soeur connaissait toute la vérité à propos de la rupture du couple, où si elle n’avait eu qu’une version arrangée de Nadeem, où elle avait eu le rôle de la méchante. En connaissant par coeur son fiancé et en voyant comment Aizah était rancunière vis-à-vis d’elle, la réponse n’était pas très compliquée à deviner. Elle n’en voulait pas à son fiancé d’avoir modifié légèrement la vérité. À sa place, sans doute qu’elle aussi aurait transformé la vérité sous l’effet de la colère et de la tristesse, pour tirer définitivement un trait sur le passé, ou du moins, essayer.

Le problème était qu’en ignorant ce qu’il s’était réellement passé, Aizah ne pouvait avoir une réaction juste. Si Victoria savait qu’elle aurait été du côté de son frère dans tous les cas, elle n’ignorait pas tout de même que la brune savait se rendre compte quand son jumeau avait des réactions stupides et exagérée. Les deux femmes étaient obligatoirement amenées à se revoir et à se côtoyer, étant donné qu’elles faisaient désormais parti de la même famille, depuis la naissance de Neeli. Victoria se montrait assez réaliste au sujet de leur relation : elle n’était pas idéale, mais si Aizah devait lui en vouloir, alors elle désirait que cette dernière lui en veuille en connaissant tous les détails de l’histoire.

Un maigre sourire assez ironique se dessina sur les lèvres de la brune. Cette dernière changea de position et déplia ses jambes serrées contre son corps pour venir s’asseoir à l’indienne. Vu de l’extérieur, on aurait pu croire que les deux femmes s’apprêtaient à passer une soirée pyjama agréable.

Elle resta silencieuse quand sa belle-soeur lui dit qu’elle ne pensait pas que son frère lui ait caché quoique ce soit ou menti. Victoria elle, n’en était pas véritablement certaine. Elle attendit patiemment que la brune lui raconte la version des faits qu’elle avait, avant de dire quoique ce soit. Sans surprise, elle remarqua que l’épisode de Nadeem avouant son infidélité factice avait été balayée sous le tapis. C’était pourtant l’élément que changeait tous les rôles de victime et de coupable de l’histoire.

« C’est vrai, je l’ai accusé de me tromper avec Sarah. Il était très distant, je le voyais souvent tagué sur des photos avec elle où ils étaient très proches, et je n’arrivais quasi-jamais à lui parler parce qu’il était toujours en soirée. »

Expliqua la brune avec un léger haussement d’épaules. Elle se souvenait des heures passées dans le canapé de son ancien appartement, à fixer chaque photo sur l’écran de son téléphone avec colère. Leur couple restait récent et il n’en avait pas fallut plus pour titiller sa jalousie. La distance et l’absence de réponse et de paroles réconfortantes de la part de son fiancé n’avaient fait qu’empirer les choses.

« Il repoussait toujours ses retours, sans jamais me donner de véritables raisons. Il me disait qu’il avait des rendez-vous de dernières minutes, mais ce que je voyais moi, c’était qu’il avait demandé à ne plus être tagué sur des photos de lui en soirée avec Sarah et Ronnie. Rien de bien rassurant. »

Victoria posa son coude contre son genou, afin de pouvoir soutenir sa tête en calant sa main sous son menton. Le silence n’était pas encore complètement présent, mais les voix s’atténuaient tandis qu’elle replongeait dans ses vieux souvenirs. Avec le temps, ils n’étaient plus douloureux ou du moins, plus pour les mêmes raisons. Elle se disait surtout que Nadeem et elle avaient été bien idiots, et qu’avec quelques efforts de communication, la rupture aurait pu être facilement évitée.

« Je n’ai appris qu’à mon retour à Edimbourg, quand on s’est remis ensemble qu’en fait, il était distant et secret parce qu’il se préparait à me demander en mariage. »

Un sourire tristement amusé s’étira sur les lèvres de la brune. Encore une fois, leur bêtise avait fait de beaux dégâts. La demande en mariage s’était transformée en une rupture définitive qui les avait séparé pendant sept années.

« Quand il est revenu, on s’était déjà disputé et j’avais été récupéré mes affaires. J’étais persuadée qu’il m’avait trompée. »

La brune plissa ses lèvres, comme si elle craignait de continuer l’histoire. La seule chose qui lui donnait la force de le faire, était qu’Aizah elle, avait le droit aussi de connaître la vérité. Cette fois-ci, Victoria se montrerait honnête, afin de lui permettre de se faire sa propre idée de l’histoire.

« Jusque-là, Nadeem t’as dit la vérité. Il a simplement oublié de te dire que durant notre dispute chez moi, il a fini par me dire que oui, il m’avait trompé avec Sarah, durant tout le mois où il était à Londres. »

Dès la fin de sa phrase, Victoria leva la paume de sa main en direction d’Aizah, pour lui signifier de ne pas réagir de suite et tirer de mauvaises conclusions trop rapidement. Elle ne voulait pas que sa belle-soeur se mette en tête que finalement, son jumeau avait été réellement infidèle.

« Je n’ai su que quelques mois après mon retour à Edimbourg, quand on s’est remis ensemble, que c’était faux. J’étais même persuadée qu’il était encore en couple avec elle quand un soir, ton frère m’avait appelé quand j’étais enceinte. »

Victoria ponctua son histoire par un léger haussement d’épaules et un sourire résigné. Il n’y avait rien de plus à dire. La conclusion la plus logique à se faire sur cette histoire au final était qu’ils avaient tous les deux été très stupides. Le manque de communication de l’époque de leur couple et leur manie de se disputer tout le temps en utilisant les faiblesses de l’autre pour blesser avait fini par les avoir à l’usure.

Pour la première fois depuis son retour en ville, Victoria eu la sensation de réussir à mettre le doigt sur ce qui déconnait véritablement entre elle et sa belle-soeur. Elles avaient beau jouer la comédie entre elles et devant les autres, elles étaient devenues presque deux étrangères. Quelque chose entre les deux filles avaient besoin d’éclater. La vérité sans doute, à propos d’une rancoeur injuste.

Victoria n’avait pas véritablement l’impression de trahir son fiancé (l’était-il encore d’ailleurs ?) en venant raconter à Aizah sa version de l’histoire. Quelque chose lui disait que Nadeem à l’époque ne s’était pas privé pour dépeindre une réalité de leur dispute tout autre, qui ne mettait pas forcément en valeur son ex copine. Elle l’imaginait parfaitement raconter avec amertume à sa jumelle qu’elle avait rapidement tourné la page sur leur histoire en se mettant en couple et en tombant enceinte d’un autres en l’espace de quelques mois à peine alors que lui se retrouvait seul à broyer encore du noir à cause de leur histoire. Il avait simplement du omettre de préciser à sa soeur ce qui avait poussé son ex à tirer un trait définitif sur leur relation sans même tenter de réparer les dégâts comme ils le faisaient d’habitude.

Ce soir, ou plutôt, quelques minutes avant, la brune avait décidé de tout dire, mais elle ne s’était pas attendue à apprendre elle aussi des révélations fracassantes à propos de la famille de son fiancé. Elle se sentit soudainement gênée et eut l’impression de ne pas du tout être à sa place quand sa belle-soeur lui avoua l’infidélité d’Anwar. Elle eut un air confus durant plusieurs secondes, le temps que son cerveau n’assimile l’information. Elle n’imaginait pas son beau-père, cet homme discret et taciturne, capable de volontairement séduire (ou se faire séduire) par une autre femme et tromper la sienne. Victoria cligna des yeux rapidement d’incrédulité.

« Je l’ignorais totalement … »

Avoua t-elle à voix basse, encore étonnée. Nadeem ne lui en avait pas parlé mais ça, ça l’étonnait beaucoup moins. Elle comprenait beaucoup mieux la relation que l’avocat entretenait avec sa mère et la raison de son emportement lors de leur visite à Londres. Elle resta silencieuse sur ce sujet, et préféra d’ailleurs ne pas revenir dessus. Une voix désagréable dans sa tête lui chuchotait que si Nadeem n’avait pas eu envie de lui dire lui-même à propos de l’adultère de son père, c’était peut-être parce qu’il ne comptait pas le lui dire tout court.

Un mince sourire s’étala sur les lèvres de la brune tandis qu’elle se forçait à se propulser dans le passé pour imaginer la Victoria d’avant débarquer chez sa belle-soeur se plaindre de son petit ami et finir par décider que la meilleure des choses à faire était de partir le rejoindre à Londres pour voir ce qui clochait avec lui. Peut-être qu’effectivement, cela aurait été la meilleure des choses à faire.

« On aurait été drôles toutes les deux à partir sur un coup de tête. »

La brune s’imaginait en voiture, musique à fond sur l’autoroute tandis qu’elle ressassait mentalement toutes les raisons pour lesquelles elle avait décidé de débarquer sur un coup de tête accompagnée d’Aizah. Elle parvenait aussi à imaginer la surprise sur le visage de son petit ami quand ce dernier se serait retrouvé devant les deux femmes de sa vie sans s’y attendre. Encore une fois, Victoria était prête à mettre sa main au feu que le dénouement final de l’histoire aurait été bien différent.

L’amusement provoqué par son imaginaire disparut rapidement, quand la brune décida de donner à Aizah les quelques détails manquants à sa belle-soeur pour comprendre son propre point de vue sur l’histoire et ses propres réactions, souvent jugées à tord comme excessives et sans coeur.  Elle s’était attendue à ce que la brune soit étonnée, voire même en colère en apprenant la vérité, mais elle n’imaginait pas que sa réaction serait aussi virulente.

« Attends Aizah … »

Souffla t-elle doucement, mais la femme était déjà en train de tapoter avec rage sur l’écran de son téléphone portable. Autant dire que Victoria imaginait parfaitement que son fiancé était en train de s’en prendre plein la tête. Ce n’était sans doute pas le moment de se prendre la tête avec lui à propos d’une histoire d’il y a dix ans, surtout pas un soir où il s’était disputé avec sa fiancée, mais il était trop tard pour le faire réaliser à Aizah. La différence entre les deux femmes était simple : pour Vic, il s’agissait d’un détail important que sa belle-soeur devait connaître, mais pour la brune, c’était la révélation d’un secret dissimulé depuis presque dix ans par son propre frère. Victoria comprenait parfaitement qu’Aizah se sente trahie et prise pour une idiote.

« Je t’avoue que j’ai mis du temps à comprendre qu’il te n’avait rien dit. Je pensais au début que ton silence venait du fait que tu respectais le choix de ton frère. Que peut-être même t’étais d’accord avec lui. Ensuite, quand j’ai su la vérité j’ai compris que c’était parce qu’il ne t'avait pas parlé de ça. »

Si Aizah n’était pas du genre à s’immiscer dans la vie du couple, à l’époque Victoria avait été étonnée de voir que sa belle-soeur n’avait pas tenté de l’appeler pour tirer les choses aux claires et voir si tout était foutu pour le couple ou si il y avait possibilité de réparer les dégâts. Automatiquement, la brune avait conclut que l’absence de réaction de sa belle-soeur venait du fait que cette dernière avait fini par accepter que Sarah était celle que son frère voulait réellement. Le manque de confiance en soi de l’époque de Victoria avait suffit à faire taire la petite voix lui disant que tout ça ne tenait pas debout et que jamais Aizah aurait accepté de tirer un trait sur elle du jour au lendemain pour une autre.

Victoria regarda sa belle-soeur en lui envoyant un petit sourire désolé. Elle n’avait nullement envie de mettre le bazar dans sa relation avec son jumeau, mais n’avait pas non plus envie de rester éternellement celle qui était partie sans le moindre remord refaire sa vie avec un autre. Elle l’observa reposer le téléphone portable contre la table avec colère, en ne pouvant qu’espérer que la dispute n’avait pas été trop loin. Elle ne s’inquiétait même pas pour elle et le fait que Nadeem trouverait un moyen de lui reprocher le fait de s’être pris la tête avec sa jumelle.

« Il ne l’a jamais été. Et moi non plus d’ailleurs. On s’est juste séparés à cause de cette connerie et j’ai refais ma vie. En aucun cas je me suis enfuie avec le premier mec que j’ai trouvé. »

Elle pencha la tête légèrement sur le côté, un léger sourire au coin des lèvres. Il lui était étrange de parler de Mark, même indirectement avec Aizah. C’était toléré, mais cela restait gênant. C’était d’autant plus délicat pour la brune quand en plus de cela, elle sentait son coeur se pincer à chaque mention de son prénom. Il n’était plus là, et jamais Victoria ne nierait le fait que son absence était douloureuse, malgré tout.

« On peut en parler longtemps, ça ne changera rien au fait que on ne pourra rien changer et qu’on a tous perdu du temps. Nadeem et moi, surtout. Si je t’en ai parlé ce soir c’était parce que je ne comprenais pas pourquoi je ressentais toujours ta rancoeur vis-à-vis de moi. »