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The Unknown Boy Portrait.  

Case no. 27

Where : National Portrait Gallery, Edinburgh.

Avec plus de 500 évènements paranormaux répertoriés, Édimbourg est probablement une des villes les plus hantées d'Europe. Combien d'âmes en peine crient encore dans les voûtes, sous nos pieds, en attendant qu'on les libère de cette pestilence qui ont tué leurs proches? Combien y a t-il de femmes englouties au bas du Chateau? Pourquoi certaines tombes sont-elles grillagées?

Aujourd'hui, ce monument d'architecture aux arches gothiques surplombe Queen Street, à la porte même de New Town. Fondé en 1889, la National Portrait Gallery d'Edimbourg accueillle pas moins de 370 000 visiteurs par année. . Mary, Queen of Scots et Robert Burns ne vous lâcheront pas du regard, alors que des milliers de visages défilent devant vous. Ces oeuvres d'art ont-ils gardé une parcelle de l'âme de leur modèle, au fil des siècles? Certains ont-ils cette aura malfaisante que décrit si bien Oscar Wilde? Peut-être.

Mais entre les visages austères du clergé et princiers des aristocrates d'une autre époque. Dans ces recoins que l'on oublie parfois de regarder... Entre des centaines de daguerréotypes trône un portrait sépia, léché par les flammes et fané qui en fait parler plus d'un.

L'enfant inconnu.

Notre histoire commence en 1939.....

**

Un coup, deux coups, trois coups. Houston, we got a problem. Rien à faire, c'est mort. Tu te retiens de lancer à bout de bras ce foutu gadget. Deux cent livres pour cette caméra thermique semblait une vraie aubaine, contrairement au marché où il fallait vendre un rein pour se la procurer.

Encore fallait-il qu'elle fonctionne plus de quinze minutes...

Tu pestes, entre les dents. À l'autre bout de la petite salle, les rares vivants te dévisagent un peu, toi et tes artefacts de science-fiction. Mais ce n'est pas pour eux que tu es là, juste avant la fermeture.

C'est pour le petit garçon inconnu.

Portrait retrouvé dans les décombres d'une maison londonienne en 1939. Associé par erreur au travail d'un célèbre portraitiste écossais de la fin du XIXe siècle, on l'a discrètement accroché ici, dans un coin perdu, entre les daguérrotypes de d'autres badauds plus ou moins connus. Entre les bouilles du notaire Graham Mclean et de son épouse Anna MacFarlane, l'enfant se fait timide, avec ses couleurs délavées et ses bords brûlés. On le remarquerait à peine, ce petit cadre, si ce n'était de l'expression de l'enfant.

Embourbé dans ses habits du dimanche, la main crispée sur le barreau d'une grille de fer, il regarde  l'objectif.

Avec toute la terreur du monde. Comme si la menace était droit devant lui.

Les ragots abondent. Des touristes disent plusieurs fois avoir vu le cadre tomber devant eux, alors qu'ils sont solidement fixés - tu as testé, tout à l'heure.

On a entendu des pleurs d'enfants, dans cette salle, parait-il. Des cris.

Mais un truc, sur Reddit, t'a mis la puce à l'oreille. Un ancien employé tout juste congédié dit avoir vu le gamin, debout devant le tableau.

Combien lui as-tu donné d'herbe pour son témoignage? Un peu trop. Il ne t'avait pas fallu longtemps pour comprendre pourquoi Jason avait été renvoyé.

Mais c'était une bonne histoire.

Encore fallait-il l'étoffer.

Maudite caméra thermique. Rien de spécial, dans cette pièce, rien de lugubre. Pas de baisse de température, pas de clou brisé, pas d'ombres, pas de murmures et encore moins de gamin.

Juste une employée de ton âge, qui attend patiemment que toi et cet étudiant blond à lunettes, partisan ardent de Karl Marx rien qu'à le regarder, quittent la salle, probablement. Vous êtes les derniers. Coup d'oeil vers le gosse. Un peu pâle. Les lèvres sensuelles et l'air mélancholique. Il regarde les autres portraits, comme si tu n'existais pas. Tu hausses les épaules.

Cinq minutes passent. L'étudiant ne bouge pas, sans doute perdu dans ses pensées. Toi... toi, on attend que tu déguerpisses. Raclement de gorge, sourire enjôleur de Casanova. La caméra disparait entre les plis de ton sac pour faire place à un bon vieux stylo et à son calepin.

"Excusez-moi. Vous travaillez ici, pas vrai?"

Petit rire, tu pointes sa carte d'accès avec un air désolé.

"C'est votre section? Vous connaissez ce tableau?"

Un autre sourire. Tu jouerais presque l'hétéro, pour un peu plus d'infos.

"Oh! J'oublie de me présenter! David, du Student. Vous savez, le journal de l'Asso' étudiante? J'ai un pote en arts qui fait des recherches sur Alexander Bassano. Ce portrait lui est attribué, non?  Vous en savez plus, sur cette oeuvre?"

Parfois, tu te demande quel genre de mec tu aurais pu être, si les choses avaient été différentes. Si tes parents avaient divorcés, à ta naissance. Si tu avait passé ton adolescence dans ce petit village du sud du Pays de Galles au lieu de te retrouver sur Parlee Beach, ce fameux soir-là. Si tu n'avais pas échoué tes auditions.

Si tu avais été un mec hétéro.

Si tu avais été un putain de petit bourgeois go-gauche.

Ton sourire s'élargit de plus belle pour cacher ton envie de grincer des dents. Un peu plus et tu lèverais les yeux au ciel avec un weesht, wee glaikit! bien senti. Ou plus probablement, son équivalent en bon vieux gallois. Sois beau et tais-toi. De ces lèvres que tu trouvais si sensuelles, tout à l'heure, il en sort un de ces accents parisiens qui te hérisse le poil. Ah! Ces étudiants snobs! Ils prétendent défendre les droits du prolétariat! Mais que savent-ils, de tout ça, au travers de leurs révolutions? S'est-il seulement sali un jour les mains, le gamin? Connait-il les cris que l'on entend, dans un abattoir? Sait-il ce que c'est, de sortir du boulot avec un tablier taché de sang de boeuf? S'est-il déjà fait engueuler par un client? La bile te monte à la gorge. Pour ces gens-là, tu n'es qu'un fils de boucher sans diplômes.

Tu fais un pas vers la fille. Juste un. Tu as bien vu comment elle était réservée. Tu l'as vu, le walkie-talkie. Tu sais qu'elle a sans doute hâte de s'en aller. Et la seule explication possible à la flânerie de Trotsky, derrière est assez simple, somme toute. Très simple.

C'est son petit ami.

Quel genre d'hétéro aurais-tu été, Dave? Tu ne veux pas y penser. Pourrais-tu seulement te comporter comme ça? À réduire l'être aimé comme un inférieur? Il n'y a qu'à regarder comment ton père et Siarl ont chacun traité leur conjointe respective pour te donner le haut-de-coeur.  Et ce français derrière? À peine la demoiselle ose prononcer une phrase que Môssieur l'interrompt avec son mansplaining.

En français, s'il-vous-plait. Comme si tu n'étais pas dans la même pièce qu'eux.

Râclement de gorge. Dès la première intervention du parisien, ton sourire se pince.  Tu l'ignores. Tu tentes de trouver le regard de l'employée, garder contact avec elle. Clignes deux fois les yeux et je te sors d'ici.

"Oui, oui, c'est bien le Student! Écoutez, on nous donne des codes numériques en guise de email, à l'université. Une poisse à mémoriser.  Si vous voulez, je passe au musée dans trois jours? À l'heure que vous voulez! Même le plus petit indice serait le bienvenu! Il n'y a pas grand chose, sur ce tableau, hormis des racontars et des rumeurs..."

Petit coup d'oeil derrière.

"J'ai besoin de faits. Pour raconter son histoire. Même la plus petite info peut mener quelque part, avec un peu de recherche!"

Deuxième intervention de l'intrus. Ça bouille, à l'intérieur. La comédie a assez duré.

"Thanks. Mais c'était à ton amie que je parlais, dude. J'ai vu ça un' fois sur Reddit, avant que le post soit removed. Tu vois, c'est ça que je cherche. Des faits. Personne ne nous prendra au sérieux si on raconte des ghost stories dans l'vent. Et ce tableau-là, y va se faire oublier pour de bon. Si on trouve un' copie avant l'incendie. Là, on en parlera. Mais il faut des proofs de t'ça, tu comprends?*"

Geste d'excuse envers l'employée. Tu recherche son prénom, sur le passe-droit. Prudence. Elle s'appelle Prudence.

"Prudence, c'est ça? Vous savez qui est Kenneth? Qui est Lexie? Vous... vous n'avez rien vu de bizarre, dans cette pièce?"

*En français, dans le texte

C'était impoli de ma part, excusez-moi.

Est-ce parce que tu es né pour être acteur? Tu te donnes trop de crédit, parfois. Beaucoup trop de crédit. L'effet de surprise, sur les deux visages te gonfle peut-être un peu trop l'égo. Toi, tu es simplement heureux d'avoir bluffé le bobo.

Pour une fois que tu gagnes un combat de coqs!

Signe de main dans le vague. Un de tes beaux sourires pour calmer le jeu. Tu n'es pas rancunier, Dave. L'insulte est déjà oubliée. Il s'est excusé, tu existes enfin à ses yeux, tout va bien.

De toute façon, c'est sa petite amie qui t'intéresse. C'est elle qui détient les clefs de ce mystérieux portrait. Enfin, c'est elle qui pourra te guider vers le chemin tortueux des archives. Elle semble si nerveuse... Tu aimerais la rassurer et lui donner une porte de sortie, si tes requêtes lui causent trop d'ennuis.

"Trois jours! C'est parfait vraiment! En matinée, vous dîtes?'Vous êtes certaine que â ne vous cause pas de problèmes? Je veux dire... Je fais le même job que vous... je travaille à la billetterie du château. Les touristes avec leurs demandes farfelues, parfois...."

Coup d'oeil vers le français. Hésitations.

"Enfin... entre les semestres, bien sûr.Je suis sûr qu'on peut s'entraider! "

Sourires. Parfois, tu t'emmêles dans tes propres histoires. Avoue-le. La monotonie de ton job à la forteresse te monte à la gorge. Pas assez d'ancienneté. On t'a emmuré dans le kiosque de bienvenue, en attendant qu'un poste officiel de guide se libère. C'est ennuyant, répétitif à souhait, sans parler de cette foutue musique de flûte* qui te donne des migraines et qu'on met à répétition toute la journée. Mais ce taff est bien plus stable que tes ghosts tours... Comment fait-elle pour voir ces mêmes portraits jour après jour, cette Prudence? Serais-tu capable de travailler ici?

En tout cas, tu aurais un ou deux collègues avec qui échanger durant les pauses. Lexie et Kenneth, c'est ça? Tu notes leurs noms, mentalement. Tu fais un peu la moue, en entendant parler de folklore. Tu as bien fait de lui inventer cette histoire de journalisme. Qui te prend réellement au sérieux, avec tout ça? Le Student, c'est juste parfait. Un petit journal étudiant que personne ne lit vraiment. Tu as eu du bol que l'université aies oublié les accès informatiques de ce fameux D. Lloyd...

"Vous savez ce que je crois? C'est que tout ce folklore cache des histoires réelles dont on ne parle pas assez. Et c'est pour ça qu'il faut fouiller et chercher la vérité derrière. Pour faire entendre une voix que l'on a fait taire une fois de trop."

C'est l'introduction de ton blog. Ton mantra, ton let motiv. Faire entendre ceux qu'on a pas écouté. Crois-tu vraiment aux fantômes? Après trois ans de recherches assidues pour tes rares abonnés, tu as davantage vu de hoax et de montages que n'importe quoi d'autres. Mais parfois... parfois il y a des trucs touchants. Et si ce n'est que du folklore, il y a derrière des histoires de deuils et de résillience vibrantes. Et humaines, surtout.

Et ça... Ça, tu y crois.

Tu reprends tes beaux airs et lui fait une grimace gênée.

"Je m'emporte, désolé."

Comment fait-on pour trouver son chemin dans toute cette paperasseries? Tu te souviens de tes nuits blanches. Des bibliothécaires pincés qui t'évinçaient de leurs rayons d'un regard sévère. Des agents de sécurité qui t'accompagnaient gentilment à l'entrée, toi et tes récits accaparants.

Hésitation.

"D'abord, il faut savoir exactement ce qu'on cherche. Les concepts, les mots-clés, l'équation de recherche, tout ça. Ici, par exemple, on peut chercher des trucs sur le net sur le fonds d'archives d'où provient le tableau. L'année, l'artiste présumé. Et ensuite, c'est plus facile de demander à l'archiviste de vous sortir la bonne boîte. Et ça fait plus sérieux. Parfois, on a même pas besoin de passer par les archives... avec quelques clics, on peut trouver les éditions de vieilles publications dans les diverses bases de données. Après, on complémente de quelques coups de fil et de quelques bouquins? C'est fou l'info qu'on y trouve quand on s'y met réellement."

Tes yeux brillent. Tu as les joues roses d'excitation. Tu pourrais en parler des heures et des heures... Mais, le musée va fermer... Et Prudence et son amoureux ont sans doute hâte de se débarrasser de toi.

"Bon, évidemment, ici... Je n'ai rien trouvé à part le nom du fonds d'archives et quelques infos par-ci, par-là. Ce portrait est vraiment un mystère. Je peux vous noter les infos que j'ai trouvé. Trois jours, c'est ça?"

*Le Château d'Édimbourg est supposé hanté par un joueur de flûte qu'on a envoyé dans les souterrains et qui n'en est jamais ressorti.

Ignorer ce commentaire. C'est la meilleure chose à faire. Ton beau sourire de Casanova se tort, l'espace d'un instant. On t'a dit exactement la même chose, quelques semaines plus tôt. Tu t'en souviens? Les yeux bleus du type assis en face de toi, au bar, remplis de rage et de résignation.

Demandez donc aux fantômes ! Peut-être qu’ils apprécient pas que vous racontiez ce qu’ils font en cachette ? Si ça se trouve, un jour ils vous le feront payer, non ?

Cachette, secrets, silence. Toute vérité n'est pas bonne à dire. Toutes les voix ne veulent pas être entendues. Il y a quelque chose dans l'air de cette ville, tu le sens. Un goût d'amertume. Une angoisse. Comme si parler à voix haute allait ouvrir toutes  les portes de l'enfer. Plus tu les écoutes, plus tu crois qu'Adamson avait en partie raison, sur les habitants d'Édimbourg. Il y a quelque chose dans cette ville les isole avec leurs propres démons, dans leur propre silence. Dans une prison où chacun se croit seul.

Il n'est pas nécéssaire de rétorquer, tu le sais. Pourquoi les cadres tombent, alors?Pourquoi les portes claquent? Pourquoi les escaliers grincent et pourquoi les pas sont si lourds, derrière soi? Parce que les fantômes - ou peu importe ce qu'ils sont - ont besoin d'être entendus. Et là, dans cette salle froide où des dizaines de visages te fixent... tu sais. C'est ta mission de les faire entendre.

Enfin, pas aujourd'hui. Même les héros ont besoin de patienter et tu ne pourra pas écrire sur ce mystérieux gamin sans accéder aux archives du tableau. La jeune femme semble un peu coincée - Bienvenue au 21e siècle, camarade! Tu as le droit de dire à ton copain de ne pas t'interrompre! Mansplaining! Le féminisme, tu connais ? - mais pas méchante. Inutile de la faire chier avec tes beaux discours. Tu te remets à sourire de plus belle et dévie sur un terrain d'entente commun : le job et la recherche.

Trois jours! Tu ne pouvais pas espérer mieux! Tu ignores avec superbe les chuchotements en allemand. Tout ce que tu sais de cette langue c'est Guten Dag, pour saluer les touristes et Ich bin schwul pour les jolis blonds perdus en boîte. Patience et son petit ami ont leurs petits secrets, semble-t-il.

Mais ce n'était pas comme si tu étais tout à fait honnête toi-même.

Ils se rendront compte tôt ou tard que tu n'es pas vraiment journaliste.

***

La jaquette en plastique se chiffonne, entre tes mains. Serais-tu un peu nerveux? Toi? Peut-être. Tu repères la jeune femme, droite comme un balai, à l'accueil et lève le bras avec un grand élan, pour la saluer. Ton sourire est professionnel, ton col de chemise boutonné jusqu'au bout et tes mèches rebelles sont sagement disciplinées sous le gel. Remarquera-t-elle ton petit manège?

Glisser ton curriculum vitae à l'accueil sans trop la mettre aux aguets. Tel sera ton défi, aujourd'hui. Candidature spontanée. Tu en as marre du Château d'Édimbourg, marre de sa billetterie, où on t'a enfermé pour l'été, pour te punir de tacher la réputation de l'équipe. Le piratage a eu son petit effet. On t'a fait venir au bureau des ressources humaines avec les copies du dit blog. La prostitution était illégale. Où trouvais-tu tes "clients'? Parmi la clientèle du Château? Tu avais haussé les épaules. Ce n'était pas des passes. Aucune compensation en argent. Juste du bon temps entre adultes consentants. On ne pouvait pas te virer pour ce motif, bien sûr. Alors on t'avait mis entre quatre murs, le temps que les rumeurs de ce piratage disparaisse.

C'en avait été assez pour te faire mourir d'ennui. Et toi, quand tu commençais à t'ennuyer... c'était la dégringolade assurée.

"Bonjour Prudence!"

Le ton est-il trop joyeux? Bref coup d'oeil à l'hôtesse qui papote. Pas de petit ami en vue. À qui devrais-tu donner ce CV? Le donner maintenant serait une grossière erreur. Mieux vaut attendre.

"Dix minutes?"

Tu hésites. Il faut faire bonne figure, si tu veux un vrai job de guide. Un autre sourire gracieux aux futures collègues. Et puis, c'est l'occasion de causer et de se faire des contacts, non?

et de voir l'état de la cafétéria. Et le contenu des machines distributrices. Pourvu qu'il y ait du chocolat.

Tes mains se crispent sur ton dossier.

"Pour vous, Prudence, j'ai tout le temps du monde! Je vous suis!"

Cafétéria. Coup d'oeil aux machines. Coup d'oeil appuyé à la cafetière pour lui suggérer, subtilement, de t'en offrir un. Tu n'as d'yeux que pour le dossier qu'elle a dans les mains.

"Dîtes-moi! Qu'avez-vous trouvé? On a l'identité du gamin?"

Toutes les cafétérias de bureau se ressemblent. C'est une de tes profondes convictions, dans la vie. Ce n'est qu'un espace commun et sans âme que le règlement oblige les patrons d'offrir.  Les mêmes murs beiges - peu importe la couleur, pour toi, ils seront toujours beiges. Les mêmes tables blafardes, les mêmes chaises en plastique, le même sentiment de solitude, d'enfermement. Les potins s'équivalent, d'une cafetière à l'autre et c'est avec le sourire poli que tu laisses Prudence te servir un café dont tu connais tout déjà du goût un peu dilué.

Coup d'oeil aux machines distributrices. Sugar is sugar. Tu as déjà oublié que le Scottish National Portrait Gallery était pas mal moins prisé des américains? Tu n'y retrouves pas tes grands classiques et ton hôtesse ne s'y intéresse  pas du tout. Pas de Smarties, donc. Petite panique de junkie, la petite monnaie tombe de tes doigts agités. Petit signe d'excuse. Tu rejoins à grandes enjambées la place que Patience t'as assigné en face d'elle avec pour prix de consolation un paquet Mrs Tilly's. Tu trempes enfin les lèvres dans le breuvage offert.

Froissement d'emballage.

"Un peu... compliqué?"

Un carré de glucose pure disparaît entre tes lippes. Devrais-tu lui en offrir un? Tu poses délicatement le sac entre vous deux, par politesse. Prudence t'explique la teneur du dossier posé sous ses mains, avec ses différents intervenants et théories. Toi, tu sens déjà l'(im)patience te gagner. Les histoires qui semblent t'intéresser... Tu lui soupirerais presqu'au nez. Le paranormal, les légendes urbaines, c'est ce qui apporte les clics gratuits. L'hameçon. Mais va-t-on finir par comprendre ce qu'il y a derrière tout ça??

"Lowden...?

"Tu fais mine de t'intéresser à ce mystérieux collègue mais la référence te passe bien six pieds par-dessus la tête. Tu sais déjà tout ce qu'il va te répéter, ce Lowden. Les mêmes conneries qu'on entend d'un faux témoin à l'autre. Les chutes du cadres, les apparitions... ça ne t'intéresse pas, ça. Enfin pas vraiment. Tu te promets tout de même de vérifier s'il ne fait pas partie des abonnés de ton blog ni à trop t'emballer sur tes vraies motivations.

Ce serait un peu gênant, non? Après tout... N'es-tu pas supposé être le fidèle scribe d'un journal étudiant?

Elle te tend enfin le dossier. Sourire gêné, tu avales un peu trop vite le reste de ton troisième carré de fudge avant de t'essuyer les doigts sur une serviette en papier abandonnée.

Tu tournes les pages du porte-document. Des photocopies bien triées, classées et annotées, des citations judicieusement retranscrites. Il faudra songer à proposer Prudence comme adjointe, lorsque tu auras ton propre show à la BBC. Ça aussi, tu t'en fait la promesse.

Tu t'arrête sur un article et plisse les yeux. Tu regrettes de ne pas avoir opté pour tes lunettes.

"Hey!!! Mais ça date d'avant la guerre, ça!"

Une maison d'encan londonienne. Une des plus vieilles. Une des plus prestigieuses.

"Madame....."

Relecture des notes.

"Madame Wilks ne peut vraiment pas confirmer que le tableau faisait partie de l'enchère? Ils ont peut-être des vieilles photos de l'encan de l'époque... Et des items. D'autres photos de famille quitte à faire des liens entre les portraits. Peut-être qu'un ou deux objets se sont perdus... Mon dieu, ce serait trop génial. Vous voyez ici? C'est presqu'illisible mais on dirait le nom du failli... J. Ou I. Hawkins? Il me semble avoir déjà vu ce nom quelque part. Ils ont surement des archives... Imaginez... On pourrait peut-être voir à quoi ressemblait le portrait avant..."

Raclement de gorge. Tu es là pour les origines du tableau, remember?

"Je vais leur téléphoner demain. Il y a moyen d'avoir accès à leur basse de données via l'intranet. Ça vaudrait même le coup d'aller voir sur place, je crois!"

Gasp. Tu te vois déjà devant Ash Pryce, le fondateur d'Edinburgh Skeptics. Là, on te prendrait, au sérieux. Là....

As-tu d'autres questions sur ce tableau? Ou sur d'autres tableaux en général?

Tu ouvres la bouche pour poser les questions générales d'usage. Le genre de truc qu'on pose à la fin d'une interview réussie pour montrer son intérêt pour le poste convoité. Tu penses à ton curriculum vitae dans l'enveloppe, sous ton sac de friandise. Pourvu que le tout ne laisse pas de taches de sucre...

Trouver le moyen de le remettre à la personne en charge sans qu'il ne passe entre les mains de Patience. Trouver le moyen....

Et tu remarques qu'un autre porte-document est apparu sur la table.

"Oh! Vous... vous avez trouvé autre chose?"