Dire que Victoria était enthousiaste à l’idée de sortir avec Porter ce soir serait un mensonge. Elle était, comme à chaque fois qu’il s’agissait de lui, dans un complexe mélanges de sentiments contradictoires. Il y avait toujours cette partie d’elle, infime, qui n’arrivait pas à croire que l’ami qu’elle connaissait depuis une bonne dizaine d’années et avec qui elle avait passé d’excellentes soirées bien arrosées était aussi un homme avec du sang sur les mains. Porter n'était pas simplement un type sympa qui aimait trop boire et se droguer. Il était, même si la brune avait parfois du mal à l’imaginer, un gars dangereux capable d’ôter la vie si nécessaire. Avoir appris qu’il travaillait avec Stud et semblait adorer ça n’avait pas aidé.

La brune avait d’abord refusé de sortir, malgré l’insistance de son ami. L’idée de se retrouver seule avec lui n’était plus rassurante. À une époque, Victoria n’aurait jamais craint de passer une soirée avec lui sans son fiancé. Au contraire, elle aurait même pensé qu’avec le tatoué à ses côtés, il ne risquait pas de lui arriver quoique soit. Maintenant, les choses étaient différentes. Elle ne pouvait s’empêcher de se demander à quand remontait le dernier crime du brun, et si il éprouvait la moindre once de remords. Une petite voix lui susurrait à l’oreille que non.

C’était Nadeem, qui finalement avait réussir à lui faire changer d’avis. Ou plutôt, qui avait insisté pour qu’elle le fasse. Il était rare que son fiancé agisse de la sorte, mais lui-même n’avait pas vraiment le choix. Le comportement de Victoria face à Porter n’avait aucune raison d’avoir changé depuis son retour à Edimbourg. Elle n’était pas supposée connaître la nature réelle du tatoué. Elle se devait donc d’agir comme si de rien n’était, comme l’aurait fait une femme ignorant que son petit ami était l’avocat favoris des trafiquants de la ville.

En dehors de toutes ces raisons déjà bien suffisantes, il y avait aussi autre chose qui dérangeait profondément Victoria. La relation que le tatoué avec entretenu avec sa belle-soeur était un sujet sensible qui pouvait facilement se transformer en dispute. La brune n’avait pas compris comment l’histoire avait débuté, mais ne l’avait jamais vu d’un bon oeil. Porter ne serait jamais l’homme fidèle et aimant que pouvait espérer trouver Aizah. La seule fois où elle s’était aventurée à en parler directement avec sa belle-soeur, la discussion avait tourné au vinaigre bien rapidement, ce qui l’avait décidé à ne suivre l’histoire que de loin, voire même plus du tout. Elle ignorait comment s’était soldé la chose (si elle était vraiment finie) et n’avait pas envie de demander à Nadeem ce dont il était au courant. Savoir qu’au milieu de tout cela, Porter avait décidé de ne pas assumer sa paternité n’avait terni que davantage l’image que Victoria pouvait avoir de lui. Depuis son départ d’Edimbourg, Victoria se rendait rapidement compte que les deux bons vieux compères n’avaient plus grands choses en commun, à part leur amour des sorties. Et encore, depuis que Victoria était devenue mère pour la seconde fois, elle avait mis cela de côté. Plus grand chose ne les reliait vraiment, au final.

Pourtant, malgré tout cela, Victoria se retrouvait à marcher dans les rues de la vieille ville, juchée sur dix centimètres de talons, en tentant de ne pas se tordre la cheville avec les pavés au sol. Il fallait bien avouer une chose : revêtir une jolie robe et se préparer à sortir pendant une heure lui avait manqué. En remerciement du sacrifice de sa fiancée, Nadeem s’était occupé des filles afin qu’elle puisse de pomponner. Par chance, Neeli était restée parfaitement sage et Moïra était trop concentrée dans son coloriage pour donner du fil à retordre à son beau-père.

D’un geste de la main, Victoria salua le tatoué tandis que ce dernier lui faisait une holà, ce qui lui arracha tout de même un sourire. Comme à son habitude, Porter semblait en pleine forme, et beaucoup trop prêt à faire la fête. La brune ignorait comment elle allait réussir à rentrer chez elle sans tituber. Elle ne pouvait pas demander à Nadeem de venir la chercher étant donné qu’il était avec les enfants. Au pire des cas, elle pouvait toujours rentrer en Uber, même si l’idée ne lui plaisait pas trop.

« Ai-je vraiment eu le choix ? »

Lança t-elle d’un ton taquin avec un sourire en coin. Porter avait usé de mille ruses pour la traîner jusqu’ici, pour finir par convaincre Nadeem de la faire flancher. Elle jeta un regard à l’enseigne lumineuse et tape à l’oeil au-dessus d’eux. C’était sans doute un nouvel endroit à la mode, dont Porter avait eut vent de l’existence et qu’il avait voulu impérativement tester. Un peu comme la dernière fois qu’ils s’étaient vus.

« Ok, laisse-moi deviner, à l’intérieur c’est rempli de belles nanas et d’alcool ? »

C’était ce qui comptait le plus pour Porter. Les femmes, l’alcool, et un lieu assez chic où il pourrait faire voler les billets à coup de commandes de gin et de bouteilles d’alcools forts.

« Je te préviens, t’y vas doucement ! Je te signale que je sors d’une très longue période d’abstinence d’alcool ! »

Les choses étaient claires comme ça : Victoria acceptait de sortir, mais n’avait pas envie de finir ivre morte au bout d’une demi-heure. En théorie, Porter pouvait accepter ça. Le connaissant, il n’avait pas envie de se traîner un boulet alors que lui-même était encore sobre.

Une fois face à Porter, les légères craintes de Victoria commencèrent à s’estomper. C’était toujours comme ça, son cerveau avait du mal à faire le lien entre « Porter dangereux » et « Porter le copain ». C’était un piège dangereux dans lequel la brune pouvait facilement tomber. Oublier les dangers que pouvait représenter le tatoué était une grave erreur. Sans se départir de son sourire aimable, Victoria se promit intérieurement de ne pas se laisser convaincre par Porter de trop boire pour garder les idées claires, et ne pas faire de gaffe. Elle ignorait cependant que son ami de beuverie lui, avait un tout autre plan en tête.

Comme prévu, l’endroit choisi par Porter était à son image : de l’alcool, et des femmes peu farouches prête à repartir avec un inconnu pour une histoire d’une nuit. Pas vraiment le genre d’endroits que Naria aimait fréquenter. Le couple avait un faible pour les restaurants plus calmes et intimistes, dans lesquels ils pouvaient découvrir de nouvelles saveurs tout en discutant des dernières expositions en ville et de leurs projets futurs. Le style de soirée qui devait ennuyer Porter au plus haut point.

Elle se contenta d’un roulement des yeux en l’air à la réponse de Porter. Bien sûr que ce dernier espérait qu’elle allait abuser sur la boisson, sans prendre en compte que ce n’était pas raisonnable dans sa situation. Rentrer en voiture, ou même en taxi ivre et prendre le risque de réveiller toute la maisonnée en tapant dans les murs n’était pas une bonne idée. Sans compter que dès le lendemain matin, Neeli n’aurait aucun scrupule à lui hurler dans les oreilles, gueule de bois ou non. Encore des choses que Porter ne pouvaient pas imaginer, bien que si l’on regardait de plus près la situation du brun, ce n’était pas forcément vrai. Ce dernier aurait pu savoir ce que c’était que d’être père, si il avait décidé de se montrer responsable. Au lieu de ça, Nicole devait s’occuper seule d’une petite fille, mais Victoria ne pouvait s’empêcher que c’était peut-être mieux ainsi. Porter n’avait jamais été un modèle, en quoique ce soit et les seules choses dans lesquelles il excellait n’étaient certainement pas à apprendre à un bébé.

Tout en se promettant que si la soirée devait être écourtée, elle se servirait du sujet « bébé non désiré » pour agacer Porter et prendre la poudre d’escampette, Victoria s’installa à table, acceptant de jouer le jeu du tatoué qui jouait les gentleman. Si certaines femmes autour semblaient sous le charme, Victoria, elle, avait l’habitude. Elle ne connaissait que trop bien Porter qui aimait frimer pour se faire voir et charmer la gente féminine autour.

« Merci. »

Souffla t-elle en attrapant distraitement la carte des boissons entre ses mains, tout en observant les yeux. Encore une fois, il était parfaitement aux goûts de Porter, et un peu aux siens aussi, après quelques verres dans le nez. À l’heure qu’il était, le lieu était encore relativement calme. Quelques collègues trinquaient à leur after work bien mérité, et d’autres tables étaient encore vides. Victoria se dit qu’il était même un petit peu trop tôt, pour Porter. Lui préférait les lieux plus blindés, rempli demoiselles prête à se faire piéger entre ses griffes.

« Hm … Trois fois rien, un bébé, une nouvelle maison … Et toujours un mariage à préparer ! »

Répondit la brune avec un petit rire. Ce n’était pas « trois fois rien », mais plutôt des changements bouleversants pour le couple. L’arrivée de Neeli n’avait pas été de tout repos, aussi bien pour Nadeem que pour Victoria. La sensibilité de son fiancé était un obstacle qui lui donnait du mal à s’impliquer réellement dans son rôle de père. La moindre grimace ou chouinement de la part de la petite faisait grimacer l’avocat qui s’empressait de quitter la pièce. Victoria n’avait pas d’autre choix que de prendre le relais, même dans les moments où elle ne rêvait que d’une chose : dormir.

La nouvelle maison aussi, était un changement considérable dans la vie du couple. Quitter l’appartement définitivement pour emménager dans une maison immense dans laquelle ils n’avaient pas encore fini de définir quelle chambre serait à qui, était angoissant. L’achat en lui-même était un investissement qui forcerait le couple à se montrer responsable en matière de dépense. Si Nadeem n’était dépensier que pour l’art, Victoria elle l'était pour pratiquement tout. Réfréner ses envies était frustrant, mais l’idée de voir ses filles déambuler dans de longs couloirs et jouer dans le jardin lui rappelait pourquoi elle devait le faire.

« Je reprends petit à petit le travail, mais à la maison. Et comme tu le sais je n’ai pas vraiment le temps de sortir le soir, alors ma présence ici doit être considérée comme un miracle et un honneur. »

Rajouta t-elle avec un petit sourire taquin envers Porter. Elle devait le reconnaître, ce dernier était assez doué pour débarquer pile au moment où la brune avait besoin de relâcher la pression et de sortir. Une soirée sans penser couche culotte et biberon lui ferait sans doute du bien, même si elle avait été réticente. Nadeem avait insisté, en utilisant des arguments assez forts pour la pousser à céder et accepter l’invitation du brun. Lui, resterait à la maison en priant pour que Neeli ne se mette pas à pleurer. Victoria elle, espérait réussir à jouer la comédie de la bonne copine, absolument pas du tout au courant des noirs secrets de son ami.

« Et toi, quoi de neuf ? »

Demanda t-elle distraitement en parcourant la carte des boissons des yeux. Son choix se fit rapidement.

« Je vais prendre un Hendrick’s, et toi ? »

Un gin tonic, voilà de quoi ne pas faire grimacer Porter.

La réaction de Porter aux dernières nouvelles de la vie de Victoria n’était pas véritablement une surprise. L’homme n’était pas du genre à s’intéresser aux enfants, et encore moins au mariage, pas même par amitié pour quelqu’un. Il suffisait de voir comment il avait laissé tomber son propre enfant pour comprendre que ce n’était pas ceux de la brune qui allaient l’intéresser.

« Navrée, c’est sans doute parce que les miens j’ai décidé de les assumer. »

La brune lança la pique accompagné d’un regard rempli de reproches. Le tatoué ne pouvait pas se leurrer : c’était un fait qu’elle ne pourrait jamais cautionné. Nicole s’était retrouvée seule, trompée, et en plus, avec un enfant à assumer sans père. La seule bonne chose à retirer de tout cela était qu’au moins, cet enfant ne serait pas élevé par un assassin.

« J’en sais rien, tu comptes débarquer un jour sur le pas de ma porte complètement ivre ? »

Rétorqua t-elle sans véritablement attendre de réponse. Ce ne serait pas la première fois que le brun finirait dans cet état, me^me si ce n’était pas arrivé depuis un bon bout de temps maintenant. Peut-être que même dans un état d’ivresse des plus avancés, son cerveau lui rappelait qu’il y avait désormais deux enfants dans la maison de ses amis, et qu’il n’avait pas du tout envie de devoir les supporter en même temps que sa gueule de bois.

Sans que Victoria ne s’en rende véritablement compte, le tatoué avait fait dérivé le sujet sur Nadeem et son métier. Intérieurement, la brune se tendit, tandis qu’extérieurement, elle tentait de faire comme si de rien n’était. Par chance, elle n’avait pas encore bu une seule goutte d’alcool, donc absolument rien ne pouvait la faire gaffer. Son esprit avait ancré bien profondément en elle l’idée que Porter ne devait rien savoir à propos de ce que elle savait. C’était une question de vie ou de mort. Nadeem avait accepté de cracher le morceau à propos de ses activités par peur de la perdre elle, tout en sachant que cela signifiait prendre le risque de l’exposer elle aussi. Il ne restait que deux êtres qui devaient être protégés de ce monde sombre : Neeli et Moïra. Deux excellentes raisons de faire l’idiote et d’éviter de dire quoique ce soit laissant entendre à Porter qu’elle était au courant des activités illégales de son fiancé.

« Il travaille trop depuis notre première rencontre, mais tu sais si c’était quelque chose qui me dérangeait profondément, je n’aurais sans doute pas accepté d’épouser un avocat. »

La brune haussa les épaules à la fin de sa réponse. C’était simplement la vérité. Nadeem avait toujours travaillé beaucoup trop et jusque très tard. Même à l’époque de leur rencontre, quand il n’était pas encore à son compte. C’était une chose que Victoria admirait chez lui, bien que c’était aussi une source d’inquiétude pour elle. Elle n’aimait pas le voir les yeux cernés et en manque de sommeil à cause d’une affaire qui lui prenait trop de temps et d’énergie, même si elle savait qu’il ne pouvait pas faire autrement.

Elle haussa un sourcil intrigué, en entendant son ami continuer sur le sujet. Un instant, elle se demanda si Porter venait d’apprendre que son ami était avocat pénaliste, ou si il éprouvait pour une fois une réelle compassion vis-à-vis de lui. Peut-être s’était-il finalement rendu compte qu’avoir Nadeem à ses côtés était une bonne chose pour lui, si jamais il se faisait un jour attrapé et qu’il devait se trouver un bon avocat pour le sortir du pétrin.

« Qu’il n’en parle pas ? Mais bien sûr que si voyons Porter, tous les soirs je lui demande de sortir les photos les plus dégueulasses de ses affaires et de les étaler pour que je puisse bien les regarder. Ça lui donne un côté bad-boy héroïque très sexy. »

L’ironie dans le ton de la voix de la brune et ses yeux roulants au ciel suffisaient à faire comprendre qu’elle n’était pas du tout sérieuse. SI il arrivait parfois que le couple se retrouve dans la même pièce pour travailler et qu’ils aimaient tous les deux s’étaler, ce n’était pas pour autant que Victoria essayait de glisser un oeil curieux en direction des dossiers de son fiancé. Déjà, parce qu’elle respectait justement le secret professionnel, mais également parce qu’elle n’avait justement pas envie de tomber sur des photos glauques. Ces derniers temps, avec Neeli qui commençait à faire ses premiers pas et Moïra qui était beaucoup trop curieuse pour son âge, Nadeem prenait garde à ne plus trop laisser traîner ses dossiers, afin d’éviter de traumatiser les deux pauvres innocentes.
Heureusement, Porter changea de nouveau rapidement de sujet afin de recentrer la discussion sur ce qui l’intéressait le plus : lui-même. Il annonça avoir déménagé et ceci ne surprit pas véritablement la brune. Après sa séparation avec Nicole, il avait été un peu obligé de se retrouver un nid bien à lui. Ou plutôt une garçonnière, où il pourrait ramener toutes ses conquêtes.

« Félicitation pour ce nouvel appartement. Si je viens le visiter, je ne serai que la cinquantième nana à y rentrer depuis que tu y es, c’est ça ? »

Elle le taquina légèrement, tandis que leurs boissons arrivaient enfin. Elle attrapa son verre et le lever en direction de celui de Porter pour pouvoir trinquer avec lui.

« Je suis certaine que tu vas te trouver une décoratrice d’intérieur qui te fera un super travail et acceptera sans doute de se faire payer en nature. »

Elle le taquina une nouvelle fois et lui sourit, même si intérieurement, quelque chose lui disait que c’était sans doute déjà une idée que le brun avait eu.

« Dois-je en déduire que ton aventure avec Aizah est définitivement terminée et que tu as trouvé une cinquantaine de nanas avec qui te consoler depuis ? »

La question n’était pas véritablement désintéressée. Une part d’elle avait envie de savoir si ce chapitre était terminé pour de bon, ou si le couple Zaman/Morgan devait s’attendre à de nouveaux rebondissements. Si elle était capable de les supporter, elle n’était pas sûre que Nadeem lui l’était. Sa relation avec sa soeur avait déjà été bien abîmée par la relation que sa jumelle avait eu avec son ami.

« Exact. »

Fut la seule chose par laquelle conclut Victoria au sujet de la balle perdue que venait de se prendre Porter à propos du sujet des enfants. Il était clair et net que sans l’implication de Porter dans les affaires de Nadeem, il n’y aurait eu aucun monde dans lequel la brune aurait pu rester amie avec le tatoué. Elle ne connaissait pas forcément les détails précis des échanges ayant eu lieu entre Nicole et lui à propos de leur enfant, mais la finalité des choses suffisait à la convaincre qu’elle n’aurait pas pu continuer à fréquenter un homme comme lui. Le voir être aussi peu sensible au sort de la petite alors qu’il partageait son sang lui donnait envie de retourner la table et de lui hurler dessus. Ses principes et son éducation ne lui permettait pas de concevoir que l’on puisse abandonner de la sorte son propre sang.

Elle dut faire un gros effort pour se retenir de lui crier dessus que son comportement était inhumain, et qu’il allait sans doute être la cause des futurs traumatismes d’une innocente qui n’avait rien demandé. Avoir Porter comme père était un motif totalement valable pour développer des problèmes psychologiques. La brune se retint également de lui cracher au visage combien elle le trouvait égoïste, à profiter de la vie comme si de rien n’était alors que Nicole se débattait dans son nouveau rôle de mère. La pauvre femme devait être au bout du rouleau, pour avoir fini par craquer et contacté Victoria afin de lui demander conseil alors que les deux femmes ne se parlaient plus depuis plus d’un an et que leur dernier échange avait été des plus houleux.

Néanmoins, en essayant de garder le visage le plus neutre possible, Victoria ravala sa colère vis-à-vis du tatoué. Elle savait que déballer ce qu’elle avait sur le coeur ne changerait rien, et encore moins la personnalité de Porter. Le brun ne changerait jamais, et, aux yeux de la brune, la meilleure chose à faire pour l’enfant était de ne jamais lui dévoiler l’identité de son père. La petite serait sans doute bien mieux dans un monde où Porter Wilks n’existait pas.

Finalement, avoir un gin tonic entre les doigts était une très bonne chose. La brune leva le coude pour en avaler une gorgée, grimaçant légèrement en sentant l’alcool. Depuis la naissance de Neeli, elle ne touchait plus trop à l’alcool. Il lui arrivait parfois, en début de soirée quand la maison était enfin calme de s’autoriser une bière ou un verre de vin rouge, mais jamais rien de plus. Le reste de la bouteille finissait généralement par traîner sur le plan de travail jusqu’à ce qu’elle ne finisse par le vider dans l’évier à défaut de l’avoir bu.

« Je laisse les mauvaises influences comme toi sur le pas de la porte généralement …. Mais qui sait je pourrais faire une exception ? J’espère que tu aimes regarder les Disney par contre. »

Un sourire en coin s’étira sur le visage de la brune. Elle savait qu’en évoquant ses deux filles, elle ferait aussitôt fuir la plus tenace envie de Porter de mettre un pied dans leur nouvelle maison.
Voir Porter battre en retraite assez rapidement sur le sujet du travail de Nadeem rassura la brune. Au moins, elle n’aurait pas à faire attention à ce qu’elle pouvait dire ou ne pas dire en face du tatoué. En vérité, la chose n’était pas si simple que cela. Certes il lui suffisait d’éviter de gaffer en disant qu’elle savait par exemple que Porter était capable de tuer de sang froid, mais il s’agissait également d’éviter de sous-entendre que le couple avait déjà envisagé que Nadeem prenne sa « retraite ». L’avocat était bien trop jeune pour arrêter son activité et seule la charge mentale causée par les activités illégales et les horreurs qu’il avait vécut pouvait lui donner une vraie raison de tout arrêter. Ça, et sa passion pour la photographie, mais ses amis les plus proches savaient que si il n’avait pas eu le courage de tout envoyer en l’air pour vivre de ce plaisir vingt ans auparavant, il n’allait pas le faire sur un coup de tête et changer de carrière du jour au lendemain.

« Ouais, et puis il y a quand même ce truc assez important qu’il doit respecter tu sais ? Le secret professionnel. »

Elle s’était penchée en avant vers lui, parlant plus bas comme si elle-même était en train de lui confier un énorme secret dont il ignorait l’existence. Porter n’était pas vraiment connu pour respecter les lois ou l’éthique en règle générale, mais il devait tout de même savoir que Nadeem ne pouvait pas se permettre de rentrer d’une journée de travail et se permettre de tout dévoiler de ses affaires en cours.

« Pourquoi pas ? »

Elle haussa les épaules en reprenant une gorgée de gin. Visiter l’appartement de Porter et lui donner des conseils en matière de décoration, c’était ça que faisaient les amis, aussi. Victoria n’était pas une experte en décoration, mais elle avait tout de même quelques bases.

« Par contre, je te préviens : si tu comptes te faire une chambre spéciale comme dans cinquante nuances de Grey, tu m’épargnes la visite de cette pièce ! »

Un sourire amusé montrait que la brune plaisantait et ne pensait pas sérieusement qu’il en était au point de se créer une pièce consacrée uniquement au sexe, même si elle le voyait tout de même bien avoir un coin dans l’une de ses armoires consacré à des accessoires/costumes destinée à la gente féminine visitant ses draps.

« Tant mieux. »

Répondit-elle simplement quand la réponse qu’elle eut du brun lui apporte satisfaction. Savoir que son aventure avec Aizah était belle et bien terminée était un réel soulagement. Son amitié avec sa belle-soeur commençait à peine à reprendre et elle n’avait aucune envie de risquer de la perdre à cause de cette histoire. La seule fois où les deux femmes avaient abordé le sujet ensemble ne s’était pas bien passée, et Victoria ne voulait pas réitérer la chose. Sans compter que savoir que sa belle-soeur couchait avec un assassin lui foutait la chair de poule.

Officiellement, Porter Wilks était comptable. Une version que personne ne remettait trop en cause même si le métier semblait bien trop ennuyant comme un personnage comme lui. Néanmoins, cela expliquait que les revenus du jeune homme étaient confortables. Une très bonne couverture à laquelle tout le monde croyait. Personne n’imaginait le tatoué comme l’homme dangereux et le trafiquant qu’il était réellement. Tout le monde avait été berné, et Victoria n’avait pas fait exception.

« ACTEUR ! »

La brune s’était exclamée un peu trop fort, si bien que certains clients attablés autour d’eux s’étaient retournés vers elle en se demandant quelle mouche l’avait piquée. Victoria plaqua sa main sur sa bouche en riant avant ce s’excuser de la main auprès des autres clients. Il lui avait fallut moins d’une seconde de réflexion pour trouver le métier dans lequel elle imaginait parfaitement son ami. La carrière d’acteur lui semblait absolument parfaite pour lui ! Il était déjà assez bon comédien dans la vie de tous les jours et en plus, il était certain qu’avoir des fans prennent à tout pour un sourire de sa part était quelque chose qui lui plairait énormément.

« Ça ou …. Rockstar ! T’as déjà une vie rock’n’roll et des groupies ! »

Cette fois-ci, la brune ne put s’empêcher de partir dans un rire incontrôlé. Elle se moquait avec tendresse du brun, qui ne pouvait pas dire qu’elle avait tord.

« Qu’est-ce que t’en penses ? »

Porter marquait un point. Son ami avocat ne ressortait jamais véritablement indemne de ses affaires, qu’elles soient légales ou non. Certains soirs, quand il rentrait à la maison après sa journée au bureau, Victoria avait l’impression qu’il avait pris dix ans de plus tant les émotions de certains clients le mettaient à bout. Que ce soit le désespoir d’une prostituée ou la peine d’une femme victime de viol, Nadeem se prenait des torrents de sentiments qui le noyaient. La brune n’était pas dupe, elle savait que la sensibilité de son fiancé dans un tel milieu était un handicap. Elle reconnaissait d’un simple coup d’oeil lorsqu’il passait le pas de la porte l’épuisement caractéristique peint sur sa face après une journée plus lourde que les autres.

« Il faut un mental d’acier pour supporter certaines affaires. Je m’étonne parfois qu’il n’ait pas craqué. »

Avoua t-elle en portant son gin tonic à ses lèvres pour en boire une longue gorgée. Si elle avait eu quelques verres en plus dans le nez, sans doute se serait-elle épanchée un peu plus sur le sujet, mais sa sobriété lui rappelait de se montrer prudente. Les affaires les plus impactantes étaient celles reliées au réseau et à Porter. Quant à son état mental, il s’était surtout complètement dégradé le jour où il avait été forcé d’assassiner un homme pour sauver sa propre peau.

« Je voyais parfois des horreurs quand j’étais assistante sociale, mais ça n’a rien à voir avec ce que lui doit affronter. »

La brune ne pouvait pas non plus faire croire que Nadeem ne lui parlait absolument jamais de ses cas, parce que personne ne la croirait. Depuis qu’ils s’étaient rencontrés, ils avaient eu l’habitude parfois de travailler dans la même pièce, à même le sol, parce qu’ils n’avaient aucune envie d’être séparés. Le couple avait pris l’habitude d’évoquer certaines affaires sur lesquelles ils travaillaient, parfois pour s’entraider, mais aussi parfois par besoin de confier le malaise provoqué par certains cas. Il était même arrivé parfois que Nadeem demande de manière officielle à la Victoria l’expertise d’une assistante sociale.


La discussion glissa naturellement vers des sujets plus légers, ce qui n’était pas pour déplaire à Victoria. Un sourire en coin s’afficha sur ses lèvres quand le tatoué confirma ce qu’elle pensait : pour sa pièce « spéciale », il ne manquerait jamais d’imagination. La brune elle, préférait nettement la conception que son couple avait d’une pièce réservée uniquement aux adultes, constituée d’une simple mais immense cabane de couvertures, remplie de coussins moelleux et de cochonnerie à grignoter. Rien à voir avec la vision de Porter.

Visiblement, l’idée de reconversion professionnelle qu’elle avait eu pour Porter plaisait à ce dernier. Acteur, cela lui collait parfaitement à la peau, surtout quand on connaissait la vérité à propos de l’homme qu’il pouvait être.

« Parfaitement ! Tu maîtrises particulièrement le rôle de Don Juan par exemple ! »

Plaisanta t-elle en levant son verre pour l’inviter à trinquer avec elle. La légèreté de la discussion lui rappelait à quel point il était plaisant de passer du temps avec Porter, sans jamais avoir à se prendre la tête. Elle enviait parfois au brun cette capacité qu’il avait d’être au-dessus de tout, et surtout des problèmes, quand les autres se laissaient engloutir et pourrir la vie.

« Ok pour être ta manager et caméraman, mais par contre je prends une commission pour avoir eu l’idée de lancer ta carrière ! »

Victoria jouait le jeu de son ami, en acceptant d’imaginer un instant que cette reconversion soit sérieuse. Elle ignorait si Porter savait chanter, mais avec les technologies modernes et l’auto-tune, n’importe quelle casserole pouvait devenir une rockstar. Avec son charme et quelques contacts, Porter pourrait réellement avoir ses chances.

« Par contre, tu me laisseras gérer tous les scandales que tu vas créer, surtout quand les tabloïds prendront des photos de toi dans des clubs de strip-tease et de la coke quand t’es censé bosser ! »

Elle se stoppa net durant une fraction de seconde, prise d’un doute. L’espace d’un instant, elle remit en question ce qu’elle savait de base et ce qu’elle ne devait pas savoir. Son cerveau se mit rapidement en branle pour lui apporter une réponse rassurante. Bien sûr que oui, la passion pour les club de strip-tease de Porter était connue de tous. Elle avait failli quitter Nadeem lors d’une de ces soirées là, quand le tatoué s’était amusé à lui envoyer une photo de son fiancé avec une danseuse sur les cuisses, juste pour le faire chier. Elle n’avait pas gaffé, mais avait eu chaud. Une seconde suffisante pour lui donner un coup de chaud et rougir légèrement ses joues.

« Je comprends que Nadeem t’ai dit ça ! »

Répondit-elle rapidement, en espérant que sa crispation précédente n’était plus détectable et qu’elle parvenait à donner le change. Elle enchaîna aussitôt, comme pour ne pas donner le temps à Porter de réfléchir à la question.

« Tu causerais ta propre ruine en vidant la cave à alcool, tes clients n’auraient rien à boire ! »

Elle rit à cette idée. La seule chose qui pouvait sauver cette idée, soit que Porter achète un bar, mais le fasse gérer par quelqu’un de responsable. Assez pour éviter que le tatoué ne vide les stocks.
La question suivante de son ami la fit sourire un peu plus tristement. Stopper le droit pénal et aller s’installer ailleurs était un sujet que le couple abordait parfois, surtout dans les moments de crise où les activités illégales de l’avocat mettait en péril leur famille, ou leurs vies. Et les risques étaient réels.

« Dans un monde idéal, je rêverai que Nadeem arrête totalement le droit et ouvrir la galerie d’Art qu’il a toujours rêvé d’avoir. »

Elle ne précisa pas que c’était une chose dont le couple avait sérieusement parlé, tout en sachant que le projet prendrait du temps à être mis en place. Nadeem ne pouvait pas quitter sa place en posant une simple démission. Stud n’était pas le genre de « patron » à accepter que l’un de ses hommes quitte le navire à l’amiable. Il fallait un remplaçant, qui conviendrait à tout le monde. La tâche n’était pas aisée.

« Mais pour l’instant, on vient à peine d’acheter une maison. C’est pas dans nos projets. »

Elle plissa les lèvres, déçue de constater que leur envie de quitter Edimbourg ne serait pas réalisable prochainement. À défaut de réaliser leur rêve, ils avaient trouvé une maison parfaite qui comblait toutes leurs attentes, et même d’autres qu’ils n’avaient pas eu. Elle porta de nouveau son verre à la bouche, constatant qu’il était bientôt terminé. Elle ne s’était pas rendue compte qu’elle avait bu si vite, mais la présence de Porter avait sans doute cette aura magique, qui incitait les gens à boire plus rapidement qu’à leur habitude. Pour ne pas risquer de finir ivre rapidement, elle se prépara un morceau de pain avec de la charcuterie, croqua dedans, mâcha et avala, avant de reprendre la parole.

« C’est vrai Porter ? Tu en as marre de ton métier de comptable ? »

Sa curiosité était réelle. Si Porter se lassait de son métier, alors il y avait peut-être un peu d’espoir.

La conversation se fit plus légère, surtout quand Victoria évita de rétorquer à la phrase de son ami à propos de Nadeem. Oui, il était mieux de faire croire au tatoué que son fiancé ne craquait jamais devant elle, plutôt que de le contredire en lui affirmant que si, et qu’elle savait parfaitement pour quelle raison il avait parfois envie de tout envoyer en l’air. Elle esquiva le sujet en buvant une nouvelle gorgée de son verre, terminant au passage la boisson. Elle le reposa sur la table, en décidant de temporiser avant d’en commander un autre. Porter prendrait sans doute rapidement les choses en main à ce niveau-là : il n’était pas du genre à laisser les gens avec un verre vide à la main.

Imaginer une nouvelle vie à Porter était un sujet assez amusant. Une chose était certaine : le nouveau métier imaginaire de ce dernier devait principalement l’aider à être mis en avant. Hors de question que ce dernier ne finisse dans l’ombre, alors qu’il avait l’étoffe d’une star. Victoria ne doutait pas là-dessus : son ami attirait et hypnotisait assez facilement les foules, surtout quand ces dernières étaient composées de femmes. Avec le talent nécessaire, il aurait été une parfaite rockstar. Ou un Don juan, parce qu’il était tout aussi bon là-dedans. Et pourquoi pas les deux ?

“ Oh loin de moi l’idée de te vexer, Don Juan !”

La brune décida que ce surnom deviendrait celui de son ami, pendant au moins le reste de la soirée. A voir si elle déciderait de continuer de l’embêter un petit peu plus longtemps. Elle eut un petit sourire amusé en se disant qu’après tout, s'il ne jouait pas un rôle, il pouvait bien en assumer le surnom.

“Je préfèrerai une rockstar Don Juan. Tu garderai le côté plus classe sans éviter de finir en star déchue ridée qui finit par crever d’une overdose trop jeune.”

Cette image loin était beaucoup moins glamour, mais c’était aussi une réalité qui pendait au nez du tatoué. Il consommait de la drogue comme d’autres se gavaient de bonbons. L’avertir à propos des risques de ces substances ne servaient à rien, étant donné qu’il pensait tout contrôler à la perfection. C’était peut-être le cas jusqu’à maintenant, ou bien tout simplement un énorme coup de chance qui le suivait. Néanmoins, la chose inquiétait réellement Victoria. Elle n’était pas l’amie que Porter voyait le plus, mais elle faisait parti de ses proches et de son cercle le plus intime. Même si lui l’ignorait, elle connaissait même ses plus sombres secrets. Une fois ces derniers mis de côté, la jeune femme éprouvait réellement de l’affection pour son ami et n’avait pas du tout envie de recevoir un coup de téléphone lui annonçant son décès suite à une consommation excessive de drogue.

Quant à l’idée d’ouvrir un bar, elle n’était pas si mauvaise que ça. Elle imaginait parfaitement le tatoué s’amuser à servir des verres à de très jolies demoiselles qui ne parviendraient pas à résister à son charme. Il aurait sans aucun doute sa petite cours personnelle constituée d’habituées venant plus pour le barman que pour le lieu en lui-même. Porter affirma pouvoir se contrôler, mais Victoria ne pu s’empêcher d’avoir un doute. Sans l’imaginer finir ivre chaque soir non plus, elle se demandait si il pourrait réellement avoir le sérieux requis demandé à un patron de bar quand sa clientèle lui donnait plutôt envie de laisser tomber son torchon pour des activités bien plus frivoles.

“Donc tu serai comptable le jour, patron de bar le soir et Don Juan durant la nuit ?”

Le taquina t-elle en préférant ne même pas imaginer par quel moyen il pourrait tenir le rythme, en sachant que la réponse ne lui plairait évidemment pas. Elle n’avait pas non plus évoqué les autres activités de Porter lui prenant du temps, pour des raisons assez évidentes.

La question suivante déstabilisa légèrement la brune qui fronça les sourcils le temps de réfléchir. Porter lui donnait l’impression de jouer les fouines, alors qu’en soi, il ne faisait que s’intéresser véritablement à ce qui empêchait son ami de réaliser ses rêves. Du moins, il le faisait parfaitement croire. Lui répondre que les activités illégales de Nadeem au sein du réseau l’empêchait de partir s’acheter sa galerie d’Art n’était évidemment pas la bonne réponse. Un instant, la brune se demanda d’ailleurs si toutes les questions de Porter n’étaient pas justement faite pour lui faire faire un faux pas. Pourtant, Nadeem savait jouer son rôle et rester en dehors de tout soupçon.

“Oh Porter non, t’auras plus d’argent après avoir acheté ton bar !”

Répondit-elle pour tenter de gagner du temps. Son sourire s’élargit mais resta quelque peu crispé. Effectivement, il suffirait au couple de revendre leur immense nouvelle maison pour récupérer leur trésorerie et mettre le cap sur leurs rêves, et Porter le savait très bien.

“A cause des enfants.”

Lâcha t-elle alors en retenant une grimace face à cette excuse injuste, mais qu’elle savait justifiable.

“Tu nous vois ouvrir une galerie d’Art avec deux gosses dans les pattes ? Sans compter que Moïra a été assez trimballée à gauche et à droite ces derniers temps, on essaie de lui apporter de la stabilité.”

Ajouta t-elle pour ponctuer sa justification par un élément auquel Porter n’aurait sans doute pas apporté la moindre importance, vu sa répugnance à être père. Les raisons que lui apportaient Victoria étaient sans doute pour lui la preuve qu’il valait mieux ne jamais avoir d’enfant.

En entendant Porter affirmer qu’il aimait ce qu’il faisait dans la vie, Victoria ne put retenir un frisson d’épouvante lui parcourir l’échine. Celui qu’elle considérait comme un ami (malgré tout) commettait les pires crimes passant du meurtre à la prostitution de mineures et lui affirmait aimer ça. Les principes moraux de Victoria se heurtaient avec force à une telle affirmation et elle eut soudainement la nausée. Pour cacher son malaise, elle porta sa main à la bouche et fit mine de tousser, jusqu’à ce que son envie désagréable ne lui passe.

“Tu veux reboire quelque chose ?”

Demanda t-elle alors soudainement pour tenter de dissimuler son malaise. L’alcool, c’était simple et efficace pour attirer l’attention de Porter et elle-même sentait qu’elle en aurait besoin d’une bonne dose pour oublier ce qu’elle venait d’entendre.

“Oh vraiment ?”

Répondit Victoria avec ironie. Porter et elle se connaissaient depuis bien des années, et elle imaginait mal que son ami puisse avoir du mal à lui trouver un rôle. Ce soir, elle tentait en tout cas de jouer celui de la femme ignorante, du genre de celles qui éaient naïves et ne soupçonnaient pas un seul instant que son fiancé travaillait pour des gens peu recommandable.

“J’aime l’idée d’avoir le rôle de la femme mystérieuse que l’on arrive pas vraiment à cerner !”

Pour dire la vérité, c’était tout l’inverse de Victoria. Elle n’était pas du genre difficile à cerner quand on la rencontrait, parce qu’elle ne jouait aucun rôle avec personne. À part quand elle venait à aborder son passé, bien entendu. En dehors de ça, il était difficile de croire que Victoria était capable d’avoir une autre personnalité que celle qu’elle montrait aux autres. Encore une fois, exception était faite quand il s’agissait des secrets de son mari.

“En tout cas je suis certaine que tu serais capable d’essayer de tenir le rythme !”

Pour ça, la brune n’avait aucun doute. Elle eut un petit sourire tendre envers Porter. Quand elle oubliait ce à quoi il était mêlé, elle s’étonnait à ressentir énormément d’affection pour le tatoué et à vouloir le protéger. Il n’avait absolument pas besoin d’elle pour cela, mais c’était plus fort qu’elle. L’avantage avec un homme comme lui, c’était que c’était facile. Porter n’était jamais déprimé, et n’avait jamais besoin d’une oreille attentive pour l’écouter parler de ses problèmes de coeur, car il n’en avait jamais. Il était aussi peu probable que les choses viennent à changer.

“Tu seras toujours jeune à mes yeux. Même avec une canne !”

Elle rit en imaginant Porter le playboy ridé, avec ses cheveux blancs et une canne mais toujours habillé dans un costard impeccable avec deux femmes à ses côtés, comme une sorte de successeur officiel de Hugh Hefner.

Au bout de quelques secondes, Victoria parvint à se reprendre et sembler moins décontenancée. Porter posait des questions qu’il ne posait généralement pas. Lors de leurs entrevues, il préférait plus souvent parler de ses conquêtes, des derniers lieux à la mode où il devrait impérativement amener son amie, plutôt que d’aborder des sujets plus sérieux comme l’avenir et les raisons pour lesquelles les rêves des deux amoureux ne pouvaient pas se réaliser. Tout cela ressemblait à un interrogatoire mais restait cependant assez basique. Seul le fait que Porter pose de telles questions était étranges, mais ces dernières étaient en elles-mêmes assez banales dans une conversation entre eux amis de longue date.

L’évocation de la fortune personnelle de Porter n’étonna pas Victoria. Depuis qu’elle le connaissait, elle le voyait vivre à cent à l’heure sans jamais se préoccuper de l’argent. Il ne se refusait rien, et vivait la grande vie. Si elle ne s’était jamais véritablement penchée sur la question, elle ne doutait cependant pas qu’en bossant avec des réseaux de trafic, Porter avait effectivement pas mal d’argent. Il rajouta un détail de plus : l’héritage qui l’attendait. Ce n’était pas quelque chose d’inconnu, mais encore une fois, cela ne faisait pas parti des sujets que les deux amis abordaient habituellement.

“Je te souhaite quand même qu’il arrive le plus tardivement possible …”

Peu importait à la brune la relation entre le père et le fils, elle ne serait jamais capable de souhaiter la mort de quelqu’un pour espérer que son ami (même le plus proche) puisse toucher l’argent d’un héritage. Elle haussa donc les épaules, un peu gênée de ne pas trop savoir quoi rajouter. Elle était heureuse de savoir que son ami ne manquerait jamais d’argent, et c’était tout. Quant à s’inquiéter du fait qu’une croqueuse de diamant tente de séduire Porter pour lui subtiliser de l’argent, c’était inutile. L’homme n’était pas stupide et n’était pas du genre à se faire berner de la sorte.



La réponse apportée par Victoria ne sembla pas convaincre le tatoué. La brune retint une grimace de déception, pour ne pas montrer que même si ce n’était pas un mensonge, l’excuse des enfants n’étaient pas la raison principale pour laquelle le couple ne partait pas dans un autre pays ouvrir une galerie d’Art. Porter devait parfaitement savoir que pour le moment, Nadeem était pieds et poings liés par le réseau et qu’il lui était impossible de tout plaquer du jour au lendemain. Porter savait, mais voulait titiller Victoria là-dessus, comme s'il voulait la voir commettre un faux pas. De nouveau, la brune retint un mouvement de son visage. Froncer les sourcils montrerait à son ami qu’elle était en pleine réflexion, maintenant qu’elle n’était plus sur le point d’avoir la nausée.

Elle espéra que changer de sujet en proposant à Porter un nouveau verre fonctionnerait, mais ce ne fut pas le cas. Avec horreur, la brune observa son ami prendre un air mystérieusement sérieux et lancer une phrase qui lui arracha un frisson visible. Elle eut l’impression qu’elle venait de tomber dans un lac d’eau froide et que son sang venait de geler instantanément. Elle pensa même un instant qu’elle allait faire une attaque cardiaque tant son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine.

Il savait. Porter savait tout. Porter savait-il vraiment tout ? Si Nadeem avait eu le moindre doute sérieux sur le fait que son partenaire soit suspicieux, il en aurait fait part à la brune et ne l’aurait pas laissée partir se jeter dans la gueule du loup.

“Porter je ...”

Elle s’arrêta. Elle n’avait pas assez réfléchi pour ouvrir si rapidement la bouche. Elle se contenta d’observer son ami en clignant des yeux, complètement terrorisée parce qu’il pourrait se passer par la suite. Elle le regarda se lever pour se diriger vers le bar sans oser bouger d’un millimètre. Son instinct premier lui souffla de prendre son téléphone et d’envoyer un sms d’urgence à son fiancé, mais elle retint son mouvement en se disant que même du bar, si Porter la soupçonnait réellement d’être au courant de leurs activités illégales, son ami devait l’observer du coin de l’œil en attendant de voir si justement elle allait appeler à l’aide. Elle était complètement seule, et devait le rester.

Visée sur sa chaise, Victoria réfléchissait à toute vitesse. L’idée de partir en courant du bar lui avait bien entendu traversé l’esprit, mais cela ne ferait que confirmer à son ami les doutes qu’il pouvait avoir. Elle n’avait d’autre choix que de l’affronter, mais cela ouvrait sur des possibilités peu réjouissantes. Elle n’imaginait pas que supplier Porter de ne rien dire puisse fonctionner. Nier alors qu’elle avait commencé à parler ne serait que la preuve de son mensonge.

La brune savait qu’elle n’avait que très peu de temps, mais se permit de fermer les yeux quelques secondes pour tenter de se remettre dans son rôle. Elle devait être Victoria qui ignorait absolument tout, mais qui était au courant d’un secret que Nadeem lui avait dit alors qu’il n’était pas censé le faire. Elle était persuadée de pouvoir trouver quelque chose, sans réussir à mettre le doigt dessus. Il y avait énormément de choses que son fiancé lui avait confié sur Porter et qu’elle devait éviter de répéter, et mit encore quelques secondes avant de trouver le souvenir qu’elle cherchait.



C’était quitte ou double, mais elle devait le tenter. Si elle jouait le jeu jusqu’au bout, peut-être que Porter finirait par laisser tomber et se dire qu’elle ne savait finalement rien, même si la terreur qui avait pu se lire sur son visage pouvait laisser planer le doute. Quoique, peut-être penserait-il qu’elle était finalement bien une ingénue plutôt qu’une intrigante ?

Elle pencha sa tête de gauche à droite pour détendre sa nuque, tandis que son ami revenait avec les boissons. Elle eut subitement envie de se jeter sur son verre et de le finir d’un trait pour se donner du courage, mais se retint. Ses yeux bleus mirent du temps mais parvinrent à revenir se fixer dans ceux du tatoué face à elle.

“Ok. On en parle.”

Son ton sérieux copiait le précédent qu’avait employé Porter. Pour ne pas laisser ses mains libres et risquer de paraître nerveuse, elle croisa ses bras contre sa poitrine, l’air presque fâchée.

“Nadeem m’a bien raconté la fois où tu l’as embrassé langoureusement devant deux nanas.”

L’anecdote remontait à l’époque d’après leur rupture, et était bien un secret que Nadeem lui avait demandé de garder. Il avait également précisé de ne pas le répéter à Porter, et elle avait tenu parole jusqu’à maintenant. Intérieurement, Victoria croisait les doigts en espérant que cela pourrait l’aider à se sortir du pétrin, sans quoi, elle serait vraiment très mal.