[T.W : Parents contrôlants, exploitation infantile.]
C'était gratifiant, au départ, d'être le centre de l'attention, d'être mise en avant, de recevoir tous ces compliments de la part de ma famille, des autres élèves à l'école et des équipes avec lesquelles je travaillais. J'aimais bien être la poupée que tout le monde s'amusait à coiffer et habiller. C'était doux et chaleureux comme monde. Plein de paillettes et de couleurs aussi. J'avais accès aux derniers jouets à la mode et j'en faisais profiter les nombreux "amis" que j'avais. Mes fêtes d'anniversaires étaient à chaque fois plus belles et plus grandes et ça me plaisait. Jusqu'au point où ce qui importait était d'avoir le plus d'activités différentes, de grands buffets et le plus d'invités possibles, et non plus ce que moi, j'aimais. J'étais oubliée, noyée, au milieu de tout ça parce que ces journées, mes journées, ne me concernaient plus. Mais au milieu de toute la foule, il y avait toujours mon oncle.

Lui, il s'en fichait de tout ça. Il ne venait pas pour étendre son réseau d'influence ni pour profiter d'excellents buffets. Il ne venait pas non plus pour se vanter auprès des autres de notre lien de parenté. Non, il était là pour moi même si je ne pouvais pas passer mon temps avec lui. Il restait du début à la fin alors qu'on avait à peine dix minutes ensemble parce qu'on devait me voir en train de m'amuser sous l'œil froid de la caméra et les regards envieux des autres. Je ne réalisais pas, à l'époque, je ne le remarquais même pas, à vrai dire. J'étais persuadée que tout cet amour était réel, que j'étais bien la fille de mes parents et non pas leur poupée qu'ils plaçaient là où ils le souhaitaient. Mais mon inconscient, lui, le savait. Il avait compris que tout était faux. Les fêtes, les sourires, les amis, les familles. Tout était acheté ou avait pour but de l'être. Tout sauf mon oncle. Et c'est pour cela qu'en grandissant, c'est son cœur que je me suis mise à entendre.

Il a mis du temps à s'installer parce que parfois, je retombais dans toutes ces illusions pailletées. Mais petit à petit, il m'a ouvert les yeux alors que l'on se voyait de plus en plus rarement. Mes parents me disaient qu'on n'avait plus le temps d'aller assister à ses courses et à chaque fois qu'il nous invitait, j'avais quelque chose de prévu à droite ou à gauche. Mais ces dix minutes à mon anniversaire et à Noël, elles suffisaient pour faire la différence. Maintenant, je saurais expliquer que je ressentais l'authenticité de sa chaleur et de ses mots mais avant, je ne comprenais pas pourquoi je préférais tant sa compagnie à celle de mes parents, pourquoi c'était son cœur que j'entendais et plus le leur.

Mais c'était simple, avec lui. Il ne me parlait pas de chiffres, il ne me demandait pas de sourire ou de me tenir droite, de surveiller mon attitude. Il me racontait les courses auxquelles je ne pouvais plus assister, tant celles qu'il avait gagnées que celles où il avait été dépassé par quelqu'un d'autre. Il me décrivait les sensations d'être sur sa moto, l'adrénaline qui parcourait ses veines lorsqu'il se penchait pour prendre un virage serré. Ça me donnait de plus en plus en plus envie, me faisait rêver, espérer. Et à chaque fois, il me parlait de cette liberté, me souhaitant de la trouver sous les regards courroucés de mes parents qui venaient me récupérer...

Mais ça fait maintenant trois ans que je n'ai plus entendu tous ces récits mais que je me les répète pendant dix minutes à mon anniversaire et à Noël. Ça fait moins de trois ans que j'ai oublié sa voix.

[T.W : Accident grave de moto, état végétatif.
Bou-boum bou-boum bou-boum bou-boum bou-boum. Je souriais naturellement, sachant pertinemment ce que ce rythme effréné voulait dire. Mon oncle courait. J'avais entendu son cœur accélérer à l'approche de la course et le voilà en plein dedans. Je souriais parce que je savais qu'il me la raconterait la prochaine fois. J'étais heureuse parce que lui l'était. Il était libre, épanoui. Je ne me forçais pas, parce que je le visualisais très bien concentré mais heureux sur sa moto.

Bou-boum bou-boum bou-boum bou-boum bou-boum. Un flash d'appareil photo. Boum. Boum.. Boum... Boum. Et puis plus rien. Le silence dans mon esprit. J’étais hébétée, sous le choc. Les claquements de doigts ne me ramenaient pas à moi ni mon prénom. Ça ne m'était jamais arrivé alors je ne compris pas tout de suite. J'attendais que ça recommence, qu’il reprenne. Je cherchais les battements, je me concentrais mais rien. Rien. Rien. Rien. Je n’avais pas le temps de me demander pourquoi que la réponse s’est imposée dans mon esprit.

Alors je me suis effondrée et personne ne compris. Personne ne bougea, au départ, et puis la maquilleuse et l'accessoiriste finirent par s’approcher et tentèrent d'attirer mon attention, d'assécher ces larmes qui ne cessaient de couler, d'apaiser mes sanglots en posant une main sur mon épaule. Ma mère gardait les sourcils froncés tout en me questionnant, mais j’étais totalement hermétique. Je continuais de chercher parce qu’il devait forcément être là, quelque part.

Et puis il finit par revenir après quelques minutes. Doucement, faiblement. Ça ne me rassura pour autant parce que je pensais avoir compris ce que ça voulait dire. Ma mère reçut un appel qui confirma mes doutes : mon oncle avait eu un grave accident et après avoir été réanimé, était transféré à l’hôpital le plus proche.

Trois ans que mon oncle est dans un état végétatif, maintenu et monitoré par des machines. Trois ans que son rythme me donne des frayeurs ou des espoirs. Trois ans que je profite de mes sorties shopping ou des blogs pour aller le voir, le cœur bondissant lorsque son corps réagit seul, croyant qu’il est sur le point de se réveiller. Trois ans que j’essaie, parfois, de m’échapper sans réellement y arriver, que je sors en cachette ou dévie de mes trajectoires, que je cache un téléphone portable pour entretenir des discussions personnelles. Tout ne s’est pas fait d’un coup mais progressivement et encore maintenant, je tente de nouvelles choses.