Je crois que j’ai toujours désespérément attendu que quelque chose ne se passe dans ma vie. J’ai toujours attendu que quelqu’un, ou quelque chose arrive pour bousculer tout ça. C’est ridicule, parce que dans le fond, je sais que je suis le seul à pouvoir vraiment changer les choses. Je suis le seul à pouvoir user de ma voix et à me battre pour ce qui est juste. Les héros de mes romans fantasy n’attendent pas que quelqu’un d’autre le fasse pour eux. Non, ils attrapent leurs affaires, prennent un ami ou deux, s’en font parfois durant leur quête et surtout, ils se hissent au sommet. Ils se battent pour leur avenir. Je suppose que je ne suis pas le héros de mon histoire. Ou alors, que je n’ai pas encore trouvé de quête qui en vaille vraiment la peine. Je ne sais pas. J’ai les yeux rivés sur le plafond de ma chambre, parsemé de moulures trop blanches, toujours très propres. Jamais une araignée n’a le temps de faire sa toile ici, sinon, les domestiques s’empressent de la chasser, avec tout leur matériel. Je peine à sortir du lit : aujourd’hui encore, je vais devoir aller faire semblant d’aimer quelque chose. Enfin … pas vraiment. Ce n’est pas que je n’aime pas le sport automobile, c’est juste que je n’ai pas envie de professionnaliser. J’aimerais simplement ouvrir une librairie, passer des heures au milieu des livres et en faire mon gagne-pain. Mais quand on s’appelle Rosier, on n’a pas ce loisir-là.

On toque à la porte de ma chambre et je me remue dans les draps de satin, grognant légèrement. “Entrez …”, que je soupire, en me redressant dans mon lit bien trop immense pour moi tout seul. C’est le nez moucheté d’éphélides de Millie qui apparaît et je souris un peu plus. Avec elle, je n’ai pas intérêt à discuter. Je sais qu’elle vient déjà me dire que j’ai trop traîné au lit, que je dois prendre ma douche,  aller faire ma leçon de piano, avant d’aller étudier quelques trucs de sciences naturelles, puis que je dois manger un morceau, avant d’aller au club pour le reste de la journée. Je l’écoute me déballer le planning, un peu distraitement, parce que je sais d’avance que je vais devoir faire semblant et ça m’épuise.


“Deaaaan ! Salut ! Ça va ?”, la voix stridente de Chloé m’irrite les tympans. Je ne sais même plus depuis combien d’années je la connais. Trop, sûrement. Trop, parce que Chloé est une véritable glue et que j’ai du mal avec ces gens qui sont si exubérants, qu’ils en éteignent les autres. Elle veut à tout prix qu’on se marie, depuis qu’on est tout petits. Moi, j’aimerais juste qu’elle me fiche la paix. J’enfile mon casque de protection, en hochant la tête. Heureusement, elle ne voit pas que je roule des paupières sous mon immense couvre-chef. Ses bras enroulent l’un des miens et elle me demande d’être prudent, de faire attention, que je suis le meilleur, mais qu’un accident est vite arrivé. Je reprends mon bras, en lui disant : “Tu vas me porter la poisse.”.

C’est à ça que ressemblent mes journées. Le club, Chloé, le club, le piano, une discussion gênante avec ma mère, le club, les leçons de morale de Millie, le club, le club, le club, papa, le club. Heureusement, il y a ces moments où je m’échappe, l’espace de quelques heures, à la librairie. Ces instants où je peux me permettre d’arrêter de faire semblant, d’acheter de quoi rêver quelques heures ou quelques jours. Je suis un passionné de psychologie, de romans fantasy, de poésie. Alors oui, quelques heures, je peux me permettre d’arrêter de faire semblant. Le pire dans tout ça, c’est que je suis excellent et qu’à chaque fois que je vois le regard fier de mon père, je perds toute mon assurance, et toute mon envie de lui dire que je ne veux pas être comme lui. Lui, le grand, le superbe, l’incroyable Thomas Rosier. Pilote de formule 1 pour l'écurie Ferrari, je suis certain que vous avez déjà entendu son nom. Ma mère a un bon palmarès elle aussi, même si elle se fait plus discrète. Elsie Rosier, journaliste spécialisée dans le sport, œuvrant pour l’inclusion des femmes dans tous types de sport. Notamment la formule un.


Je crois qu’elle a été encore plus heureuse que moi quand la première fille de mon club est arrivée. Liam Powell. Une espèce de tête brûlée très très très fascinante. Personne ne l’aime, mais moi, je la trouve vraiment cool. Elle casse les codes, elle montre qu’elle a dans le ventre et je crois bien que ça me plaît. Chloé la déteste. C’en est presque viscéral. Moi, je me retrouve à sourire comme un débile quand je l’entends arriver. En tout cas, j’espère que le voyage au Mans lui plaira. Oui, parce qu’on est un club de futurs pilotes quand même. Mon père nous a tous conviés aux 24h du Mans, en France. Son pays d’origine, d’ailleurs. Vous devriez essayer de prononcer “Bourguignon”.