C'était de ces vies où il n'avait pas le contrôle. Le libre-arbitre n'existait pas pour lui. Pourtant, il avait toutes les preuves du monde de penser que... T'es chanceux, Tu ne te rends pas compte, Regarde, tout le monde rêverait d'être à ta place. Des phrases par milliers qui faisaient écho dans la grotte de ses pensées, enfoui au plus profond de sa tête. La direction assistée avait commencé avec son professeur de littérature. Scott, tu as un don Il écrivait sur son temps libre, avait rejoint des forums rpgs. Après les cours, il rentrait et pianotait, répondant avec ses comparses d'internet. Et il s'était essayé à l'écriture d'histoires, de contes, participant au concours de nouvelles de son lycée. Il gagna haut la main.
Archibald, tu as un don

Cela ne se refusait pas. La fille, l'une des plus riches, une beauté qui en attirait plus d'un était curieuse, impressionnée, fascinée. Et elle aimait lire ces histoires, elle aimait en rêver. Alors, il lui avait écrit un poème et sans crier garde, ils étaient sortis ensemble. Alors, il voulait laisser sa patte comme dans toutes les légendes d'amour. Il se pliait aux codes, répondant de manière mécanique parce que de son jeune âge, il ne savait pas ce qu'était l'amour. Période étudiante troublée, pas les mêmes universités, mais sa plume, en correspondance, ne cessait de charmer la belle au loin. Et puis comme dans toutes les histoires d'amour, il y eut une demande de fiançailles. De mariage même, et pour un voyage de noces, ils n'eurent qu'à traverser un pays pour arriver en Italie. Le sable chaud, la canicule, la chaleur des corps qui résonnait comme un puissant aphrodisiaque. Et c'est là qu'il le vit. Elle, endormie sur le sable, lui marchant sur la plage, au bord de l'eau. Un regard, un geste, quelques paroles et au beau milieu de l'après-midi, ce fut des lèvres échangées, des draps froissés avec un homme. La terreur, panique qui le gagna avant de fuir auprès de son épouse. Mais le lendemain, le péché se reproduisit. L'évidence et la révélation le paralysaient néanmoins dans une vie qui n'était pas la sienne et il n'eut plus de nouvelles de cet inconnu.

Tournée britannique de son troisième livre à succès. Le dernier tome d'une trilogie mêlant horreur et thriller. Entre les flash, les photos, les mots et cadeaux de fans. Les autographes signés à la pelle. Les questions sur un potentiel nouveau livre. Le dernier avait été fastidieux à écrire, subissant la pression éditoriale. S'il aimait écrire, force de constater qu'il n'avait plus l'inspiration pour une histoire. Après une soirée à diner avec sa maison d'édition, dans un relent de nostalgie, il s'était perdu sur tumblr, consultant les forums d'écriture. Ce n'était plus de son âge ? La vie, c'était comme c'était. Et le lendemain, il signa à nouveau jusqu'à ce que son regard croise celui de l'inconnu. Quatre ans après l'Italie.

Mr. Ferguson ?
Et l'évidence se révéla. Femme partie en vacances pour deux semaines. La coïncidence était trop belle. Vous y croyez vous ? Les lunes qui rétrogradent en mercure, l'alignement des astres, la putain de coïncidence. Et dans un hôtel, à l'abri des regards, il se laissait aller. Cela dura quatre jours où ils discutèrent de tout et de rien. Et le cinquième jour, l'autre disparut tel un mirage. Avait-il rêvé ? Rien, pas de coordonnées, pas de portable, rien.

Je veux un enfant. La voix de sa femme était ferme. Pourtant, il pensait l'avoir mal entendue. Elle était arrivée en Grande-Bretagne à ses quinze ans, père muté pour le boulot. C'est le bon moment ? . Il déglutit. Tu m'aimes ? Oui, autant qu'il puisse l'aimer. Et dix mois après, Scott, surnommé Scotty, vint au monde. Un bonheur éphémère se créa pendant trois ans. Et un jour, elle prononça les mots douloureux. Le divorce. Parce qu'il ne l'aimait pas, parce qu'il était un minable, bon à rien, incapable d'écrire quoique ce soit depuis qu'ils étaient parents. Ses projets de manuscrit n'aboutirent à rien et il se retrouva à prendre un autre tournant dans sa vie d'écrivain.

Pour la première fois de sa vie, il hurla, il éclata en sanglots alors que les chaines d'une ancienne vie donnaient l'impression de le libérer de tout. Il se mit à rire en pleurs, à se confondre dans les émotions.

Des mois plus tard, dans les rues d'Edimbourg, il le retrouva à nouveau. Lui. A travers la fenêtre, postré à un café. Et s'il pensait vivre une joie immense, il éclata de colère sans s'en rendre compte, perdu dans ce qu'il ressentait. Heureux de le revoir, mais en colère contre lui-même d'avoir gaché son temps, contre l'autre de l'avoir abandonné. Mais abandonné de quoi ? Alors, il ouvre la porte et il s'assied face à lui.

Sept ans maintenant. C'était l'âge de Scotty en ce début d'année 2024. « T’sais, Papa a décidé d’emménager avec son amoureux. » Le garçonnet le regarda à la fois avec des yeux noirs, triste et colérique. « Pourquoi tu veux pas retourner avec Maman ? » Il baissa le regard, attristé, ne sachant pas quoi lui dire alors qu'un sourire se dessina sur son visage. « M'man, elle t'aime encore ! Et moi, j'veux que vous soyez ensemble. » Il hocha la tête à la négative, il savait que ce n'était pas le cas. Lui, il aimait Aspen, elle, elle flirtait avec un gars. Et ce n'était pas grave, c'était ça, la vie aussi. Un garçon à la garde partagée. « Tu vas voir, ça va être super. T'auras deux papas pour le prix d'un. » Mais emporté dans sa crise, le garçon déclara plus solennellement : « Moi, j'sais que tu mourras à cause de l'amour, c'est les morts qui me le disent. » Le choc, la blessure, la colère montèrent en lui face à l'impertinence. Et alors qu'il crut éclater de colère, il avait cette joie qui l'emportait : « Mais arrête de dire des bêtises. »