Il n'était pas gêné mais d'un autre côté, se retrouver au centre des attentions comme ça, à entendre parler de lui tandis qu'il était là, juste à côté d'elles, de lui et de ses films dont il se vantait assez peu au regard du contenu des trois quarts d'entre eux, il n'était pas forcément à son aise non plus. C'était un sentiment particulier qui faisait se conjuguaient la gêne, oui, tout de même, un peu, et la joie de se voir ainsi reconnaître. Il ricanait alors un peu nerveusement, se grattant l'arrière du crâne dans sa broussaille de cheveux sombres, mais affichait en même temps un sourire cristallin.

« J'aurais pu oui ! Répondit-il, au sujet du masque.
- Il aurait dû. » Renchérit Desmond dont la silhouette fantômatique se dessinait comme si une main invisible traçait au feutre dans l'air devenu tangible les contours de son corps immatériel.

Là encore, il aurait bien aimé interrompre sa conversation avec les deux charmantes demoiselles pour intimer à son frère l'ordre de se taire. Cependant, il rumina mentalement, plissant légèrement sa lèvre inférieure dans un coin de sa bouche et tint solidement ses pensées en les étouffant autour de sa langue qui refusait de céder aux caprices de son esprit.

Des deux jeunes femmes, c'était Dorcas, l'espagnole qui se faisait encore fusiller du regard par Tina, juste retour des choses étant donné que ses ancêtres avaient sans doute mis au peloton d'exécution certains des siens, qui était la plus loquace. Visiblement, elle le connaissait assez bien, oui. Même si elle remettait en grande partie la faute sur sa belle-soeur, s'il avait bien compris, du nom de Nora.

« Ahah. C'est flatteur ... » Il ne savait pas trop en vérité. Les fans portaient bien leurs noms. Fanatiques. Ce n'était, originellement, pas une dénomination méliorative. Les fanatiques religieux, c'était ceux qui, par une dévotion démesurée, prenait pour vérité acquise la moindre ligne de leur livre sacré et étaient prêts à jeter aux flammes tous les impies qui se permettraient de remettre en cause ce qu'ils estimaient être la parole divine. Il n'y avait qu'à espérer que la Nora en question soit plutôt du genre "fanatique" à acheter tous ses DVD, et c'est tout. « C'est grâce à ces fans là qu'on aime ce qu'on fait, nous, les acteurs. » Il étira ses lèvres en un large sourire. Assez sincère, malgré les interrogations qui trottaient dans son crâne.

Même s'il croquait encore la vie à pleines dents et savourait avec délice les bienfaits de sa vie de célébrité, il avait appris aussi que certaines personnes pouvaient être envahissantes et il craignait simplement pour son intimité de savoir qu'il y avait des personnes qui connaissaient sur le bout des doigts la moindre réplique de ses films où des dauphins affrontaient des loups robots. D'ailleurs, lorsqu'il fut question de masque, Dorcas lui fit bien comprendre qu'elle avait connaissance des grandes lignes de la saga en jouant volontairement sur le double-sens du mot "loup".

« C'est qu'elle se pense drôle en plus, celle-là. » Grogna encore la madre qui aurait adoré pouvoir, elle aussi, prendre possession du corps de son neveu afin de lui vomir toute sa haine qui gonflait dans son ventre à mesure qu'elle la regardait.

Avec la sensation d'avoir une bombe à retardement en guise de spectre de compagnie, Ash' sentait des sueurs froides glisser dans son dos. Hayley, enfin, reprit la parole et glissa l'information selon laquelle elle était d'origine galloise.

« Oh, je n'ai jamais été aux Pays-de-Galles ! C'est beau là-bas, non ? »

De ces contrées, il ne connaissait que les cartes postales et les fonds d'écran Windows proposant une végétation sauvage qui tutoyait les blanches roches qui germaient çà-et-là et s'étendaient parfois jusqu'au-delà la mer pour former un cap majestueux qui défiait les flots rageurs qui, jaloux de sa suprême grandeur, venaient rageusement lui sauter à la gorge sans que jamais il ne fléchisse.

Puisqu'il n'avait autrefois jamais quitté son Amérique natale, il n'avait à l'heure actuelle vu que trop peu des décors britanniques dont ses ancêtres lui vantaient pourtant la beauté. En découvrant Edimbourg, il avait pu renouer avec ses racines et confirmer les propos tenus par ses aïeux, notamment Wyatt et Phelan, pour qui leur Irlande natale était une idylle qu'ils souhaitaient partager à leurs deux descendants, Ashton et Desmond.

L'intérêt de la galloise revint ensuite sur le tournage qu'avait évoqué Ash' afin de répondre à leurs questions. Il était légitime, en tant que néophytes, qu'elles s'intéressent à son métier qui était, il est vrai, assez peu connu bien que chacun ait une admiration certaine pour ce monde qui voyait naître les grandes stars de leurs écrans.

« Pas vraiment, non. » Dit-il alors en dodelinant un peu de la tête. Certains, pour dire vrai, pouvaient l'être. Cependant, c'était souvent Ash' qui, profitant de son statut, faisait quelques caprices de star pour ramener à ses côtés certains de ses amis afin qu'ils profitent du spectacle. « Mais quand on connait les bonnes personnes ... » Et là, amusé, il leur fit un clin d'oeil avant de ricaner un peu.

Les acteurs, par essence, aimaient être vus. Assurément. C'était une qualité, ou un défaut pour certains, recquis pour être accepté dans la profession. Il y avait nécessairement une forme de narcissisme qui se développait car, sans cela, comment justifier le fait de passer ses journées à se faire maquiller, à se pavaner devant une caméra avant de regarder ses rushs pour tenter d'améliorer la prise ? Seuls les plus grands narcissiques, par ailleurs, réussissaient. Ceux qui, plus qu'aucun autre, s'estimaient et avaient une foi sans faille tournée vers leurs capacités, un amour débordant pour eux-mêmes. Ash' avait toujours pensé qu'il était bon simplement parce que ça l'amusait. Faute est de constater qu'en définitive, cela ne suffit pas. Sans quoi, nombre d'acteurs auraient fleuri aux quatre coins du globe car, en fin de compte, qui n'aime pas s'amuser ? Alors, oui, en effet, Hayley avait sûrement raison, l'absence de loup était peut-être un « acte manqué », une façon inconsciente pour lui de se faire remarquer, de dire à voix basse tandis qu'il cheminait entre les invités : « Regardez-moi, vous me connaissez » sans avoir pour autant à le crier et à être catalogué d'arrogant.

« Ahah. Peut-être bien, oui ... » Dorcas ne partageait qu'à moitié cet avis, louant plutôt sa modestie puisqu'en réalité, il n'avait pas cherché explicitement à se faire reconnaître et, si son masque s'était fendu, c'était en grande partie parce que la blonde était une spectatrice assidue de ses films projetés dans les salles obscures. « Ahah, merci !
- Elle te connaît mais seulement par rapport aux films. Commenta avec malice Desmond, dans son dos, un sourire amusé coincé en bordure de lèvres. Elle ne t'a encore jamais vu te pavaner avec une grande robe flashie, surexcité, bondissant partout. »

Aujourd'hui, s'il avait cherché à se faire discret, c'était surtout pour éviter un bain de foule et pour profiter discrètement de la soirée. L'espagnole, cependant, avait fait péricliter son projet. Mais contrairement à Tina, il ne lui en voulait pas plus que cela. Le fait qu'elle le connaisse avait permis de briser la glace plus rapidement, et lui avait évité de devoir répondre plus longtemps de son manque d'assurance dans son intervention de tout à l'heure pour épargner à Hayley un rapprochement inopportun avec un inconnu bien trop entreprenant.

Leur trio étant assez dynamique, les sujets glissaient sans mal et il fut bientôt question des Pays-de-Galles, contrée qui avait vu naître Hayley. Même si ses ancêtres avaient vécu dans de nombreuses zones géographiques, notamment britanniques, aucun - à sa connaissance - n'avait élu domicile par le passé du côté de Cardiff. Hayley, elle, avait vécu dans une petite ville située en périphérie de la capitale et partagea volontiers son expérience et ses connaissances relatives à ce pays principalement connu pour sa végétation florissante et ses paysages somptueux. Enfant d'Internet, Ash' n'avait jamais la patience de se poser plus de quelques minutes au même endroit afin de profiter des caresses du vent, des cadeaux de la Nature, du ciel qui débordait sur la terre et semblait inonder de son bleu azur les océans verdoyants. Lui, ce qu'il aimait, c'était l'effervescence des grandes villes, l'électricité ambiante qui lézardait les grands câbles noires qui surplombaient la plèbe, la célérité des corps, les chants mécaniques des taureaux aux carrosseries multicolores. Alors, un peu en retrait, le grand brun écoutait la conversation des deux femmes à laquelle il ne pouvait participer. Lui venait des Etats-Unis. A eux trois, ils représentaient assez bien le système mondialisé pro-occident mis en lumière par nombre de productions filmiques actuelles. Cependant, à l'inverse d'elles, il n'aurait qu'assez peu de choses à leur apprendre de son pays dont le soft power avait déjà fait l'étalage de toute leur culture ; des dinner aux spectacles de Monster Truck en passant par les Wall Mart et la scientologie.

Alors, à défaut de pouvoir leur présenter son Amérique natale, il fut plutôt tenté par Hayley, laquelle ramenait dans la conversation la belle-soeur de Dorcas, Nora, au centre de leurs attentions comme un prétexte pour qu'il ait la clémence de leur partager les secrets des studios. Car oui, même si l'Amérique avait été décortiquée entièrement, tant et si bien qu'on la connaissait du blanc jusqu'aux abats, et qu'on allait même jusqu'à en cuisiner la carcasse, il restait encore et toujours la magie d'Hollywood. Même si beaucoup de films évoquaient déjà l'envers du décor, la magie n'était pas la même quand on mettait les pieds sur un tournage. Actuellement, il ne tournait pas aux Etats-Unis et était donc très loin de la Californie cependant, pour des néophytes fans de ses productions habituelles, une simple visite d'un tournage en terres britanniques leur suffirait sans doute amplement.

« Je ferai tout mon possible pour alors ! » Promit-il en accordant un clin d'oeil aux deux blondes. « Alors, dit-il en se tournant finalement vers Dorcas, tu ferais sans doute mieux de la prévenir au dernier moment pour profiter encore un peu de ton ouïe ! »

Desmond, qui avait bien entendu tout entendu et suivi de la conversation, haussa un sourcil suite à la promesse que son frère venait de faire aux deux jeunes femmes.

« A ta place, j'aurais au moins attendu d'en discuter avec le réalisateur. Ce n'est pas Ehvenbach. Tu l'as bien vu, non ? Son plateau, on n'y fait pas tout ce qu'on veut. »

Il est vrai que contrairement à leur réalisateur habituel, celui-ci était un poil plus retors et avait le mérite d'être, contrairement à Kyle Ehvenbach, zélé. En réalité, il était même moins que ça : il était un réalisateur comme un autre, qui respectait les conditions de travail de chacun et qui savait chapeauter un projet ; tout l'inverse de leur précédent maître à jouer.