À l'aube de mes dix ans en ce monde, j'ai hérité d'un cadeau, offert par Joey, mon grand frère. Cette estafilade, qui me barre le visage et que j'ai toujours du mal à accepter après une dizaine d'années à la revêtir comme une sorte de seconde peau. Or, ce n'est pas la seule cicatrice qui orne mon corps. J'en ai plusieurs. Glanées d'un peu partout, parce que je suis et resterais un casse-cou. Et ... que les chutes du grand chêne de la maison familiale, elles ont été monnaie courante durant mon adolescence.


J'ai une relation singulière avec mes parents. Avec mon père, c'est difficile d'en avoir une, tant il ne me regarde pas. Malgré tous les efforts que je fais. Ma mère, c'est tout l'inverse. Elle se déplace même pour m'apporter à l'Université mon déjeuner. C'est ce qui s'est passé à la rentrée et qui a causé quelques moqueries de la part de mes camarades. Et de Joey, quand il a su. Il n'a pas arrêté de me souffler à chaque repas pendant une semaine entière : "Joshi, le petit fils à sa môman." J'étais, franchement, à deux doigts de lui planter ma fourchette dans sa cuisse. À. Deux. Doigts.


Où il y a encore un sujet de pure discorde dans cette famille, c'est en matière d'habillement. Le mien. J'adore tout ce qui est vintage et ce qui peut être récupéré dans des friperies. Alors, qu'on a largement les moyens et que je n'ai pas à me plaindre. Mais, j'apprécie ce qui sort de l'ordinaire. Et, je peux pas m'empêcher de toujours sortir avec un veston noir au liseré rouge, une chemise blanche et une cravate. Tout ça, assortis d'un jean sombre et d'une paire de mes converses. Avec mes écouteurs sur les oreilles. Le plus souvent possible. Et la même musique, aussi. Pourquoi, écouter des tubes de maintenant alors que les standards d'avant, c'est mieux ? Beaucoup mieux.


J'ai commencé à fumer à mes quatorze ans. Tout ça, à cause d'un satané pari. Que j'ai accepté, pour faire le fier et montrer aux autres (Joey et sa bande de connards, notamment), que je n'étais pas un sale dégonflé, comme il le disait si souvent quand Maman avait le dos tourné. Depuis ce jour, j'ai bien du mal à arrêter ma consommation de nicotine. Surtout, qu'elle me calme quand je suis en période de grand stress et que je n'ai pas vraiment faim. Ça m'arrive de fumer clope sur clope, sans me stopper pour autant. Alors que celle que j'ai de coincée entre mes lèvres, je ne l'ai pas encore finie. J'en conviens que c'est une sale addiction. Et que j'ai un mal fou à m'en défaire. Et en plus, je dois trouver des stratagèmes différents à chaque fois, pour que ma mère et mon père ne le découvrent pas.


Le dessin, je m'y suis intéressé très jeune. Avant même de savoir véritablement écrire, même. J'avoue ne pas avoir une écriture calligraphiée comme maman ou vive comme papa. La mienne, elle est désordonnée. Parce qu'elle n'arrive pas à retranscrire ce que mon cerveau veut dire sur le papier. C'est pour ça, que j'ai dessiné avant de savoir écrire. Et que ... malgré de bons résultats dans toutes les matières et durant toute ma scolarité, je ne pouvais pas m'empêcher de griffonner toute une pléthore d'histoires (inventées) dans les marges de mes cahiers. Et, c'est comme ça que je me lie aux 'autres'. En dessinant.


Quand je me regarde dans le grand miroir de la salle de bain de l'étage, j'ai du mal à entrevoir une ressemblance avec mes parents. Mes deux autres frères, ils leur ressemblent. Mais moi, c'est comme si je n'étais pas fait dans le même moule et que ça, ça emmerdait mon père. Et que ça le rendait vachement froid avec moi. Malgré que maman me répète sans cesse, que je suis la prunelle de leurs yeux, surtout depuis l'accident causé par Joey, il y a cette idée qui me trotte dans la tête. Que je ne suis pas assez bien pour eux. Pour cette famille. Que là encore, mes différences ne sont pas aimées comme il le faudrait. Que Joey, a peut-être voulu bien faire en me démarquant encore d'eux avec sa blessure sur mon visage ? Cette plaie, je la dois à un jour de Novembre pluvieux, où je l'ai énervé. Et qu'il a voulu me montrer qui était le chef entre nous deux. Mais ... j'ai toujours menti. Toujours.