Je suis attentive à ses faits et gestes. J'espère ne pas lui avoir déchiré de muscle en le transportant comme je l'ai fait. Je ne me le pardonnerai pas, s'il s'avère que je lui ai fait plus de mal que de bien. Ma main passe et repasse entre ses mèches, dans un mouvement lent et régulier que j'espère apaisant. De temps à autre, mes lèvres se posent sur son front ou l'arrière de sa tête. Je veux qu'il sache que je suis là. Il a dû se sentir seul, traîné par un fantôme inconscient, sans contrôle sur ce qui lui arrivait.

- Où voulais-tu que je sois, si ce n'était pas à tes côtés ?

Je le dis calmement, pour contrer son inquiétude. Ma main caresse doucement ses cheveux. Je n'ai aucune idée du temps qu'il est ou du nombre d'heures qui se sont écoulées pendant que je le serrais dans mes bras et priais pour son retour. J'y aurais passé la nuit s'il le fallait. Il aurait fallu au moins tout ce temps avant que je n'accepte de devoir trouver une solution plus durable

- Je n'ai pas eu le choix.

Je ne sais pas quoi lui répondre d'autre. Le corps est capable de prouesses quand l'urgence se fait ressentir. Je l'ai tiré de toutes mes forces, tantôt par les poignets, tantôt par les chevilles, jusqu'à ce placard. Ça n'a pas été facile, mais il le devait. Le musée ne peut pas nous trouver impliqués dans un nouvel incident.

Tout ça par la faute d'Arthur. Il semble abasourdi et ose me demander ce qu'il s'est passé. Je refuse qu'il le sache. J'ai besoin de garder ce pouvoir. Dieu merci, il n'insiste pas. J'espère qu'il se sent mal mais Arthur n'a plus la notion du bien et du mal depuis quelques mois. Il est aveuglé par sa frustration. Il ne mérite pas mon temps et je me concentre sur mon ami. Nous allons devoir quitter ce placard dans lequel je nous sens en sécurité. Je n'ai qu'à peine le temps de me redresser qu'il divague. Ces paroles, dans sa bouche, m'inquiètent. Elles n'ont aucun sens. Je cherche sa joue et la caresse avec une douceur infinie

- Qu'est-ce que tu racontes ?

Ma main me permet de le situer. Je m'approche en même temps que je le tire légèrement dans ma direction pour lui embrasser plusieurs fois la joue. Je parle, le front contre sa tempe, les yeux fermés.

- Je suis heureuse. Tu me rends heureuse, Gabriel. Tu ne gâches rien.

Je repense à nos voyages ensemble et à notre intimité de l'époque. Je donnerais cher pour y avoir droit dix minutes supplémentaires. Je lui dirais ce que je ressens vraiment, plutôt que me taire sous prétexte que ce n'est pas réciproque. L'amour n'a pas besoin d'être partagé pour être beau. Au contraire. C'est l'amour altruiste, qui n'attend rien de la personne en face qui a le plus de valeur. C'est celui que je ressens pour Gabriel. Bien sûr qu'être aimée par lui serait le plus beau cadeau que je puisse recevoir, mais ce n'est pas une condition à l'existence de mes sentiments

Je parle, mais n'entends qu'à peine mon propre murmure. Je préfère que mes mots n'appartiennent qu'à mon ancien amant

- Je suis si heureuse de faire partie de ta vie.

Les larmes montent à mes yeux et j'entends un léger tremblement dans ma voix, mais j'imagine que l'obscurité cache les autres stigmates. Ma caresse prend fin. J'ai peur de ce qui nous attend de l'autre côté de la porte. J'ignore comment nous allons quitter le musée.

- Rentrons chez toi. Nous en parlerons là-bas.

Je lui embrasse le bout du nez en me redressant. J'ai eu ce geste sans réfléchir. Mes mains le palpent pour savoir où m'accrocher pour l'aider à se relever. J'attends son feu vert pour ouvrir la porte. Il peut prendre le temps dont il a besoin.

— Je veillais sur toi, je n'avais pas le temps de m'ennuyer.

Je ponctue ma phrase d'un baiser sur la tempe. J'étais trop inquiète pour penser à autre chose qu'à prier pour lui et rassurer son corps autant que je le pouvais. Je pose mon visage contre ses cheveux et fais un léger non de la tête. Je ne suis pas forte. Je n'ai pas le choix. Jamais je ne le laisserai dans une position de vulnérabilité. Nous partageons notre secret, nous devons nous protéger. Gabriel ne comprend pas car il n'a jamais été entouré. Y penser me rend systématiquement triste.

Je ne sais pas s'il n'est pas trop tôt pour quitter le placard. Gabriel a besoin de reprendre des forces, j'ai besoin de me remettre de mes émotions. Ce n'est pas parce que les bruits du couloir viennent de s'arrêter que la voie est libre. J'aimerais que nous nous attardions un peu plus longtemps. La conversation que mon ami débute me fait changer d'avis. Je n'ai pas envie de rester enfermée à l'écouter parler de mon couple. Je préférerais le faire ailleurs, dans un cadre plus privé que notre lieu de travail, mais il insiste légèrement.

Je me referme à la mention de mon ex. Gabriel n'a rien gâché. Il n'a jamais demandé à être dans le coma. C'était déjà Arthur qui n'en avait fait qu'à sa tête. Mais même lui, je n'arrive pas à le blâmer entièrement pour ce qu'il s'est passé. L'incident n'a fait que révéler des soucis pré-existants, des problèmes insolubles qui nous auraient séparés un jour ou l'autre. J'ai toujours su qu'Aaron était un petit ami trop attentif pour mes amis et moi, sans parler du fait que mon entourage aurait pu laisser échapper quelque chose par accident. Ma relation avec Simon est très différente, plus distante. J'embrasse le nez de Gabriel, je pense que c'est une façon de l'inviter à passer à autre chose. N'en parlons plus. À peine debout, il fait déjà le fort et prétend ne pas avoir besoin de mon aide. Je l'ignore et continue de l'aider à marcher. Je pose mes deux mains sur son bras, sans exercer de pression. Simplement pour pouvoir le rattraper s'il trébuche. De l'extérieur, nous n'avons pas l'air suspect. Du moins, je l'espère. Nous avançons simplement un peu plus lentement qu'un duo normal le ferait. Au bout du couloir, j'entends la voix de Victor et Kimi. Il me semble que ce dernier pleure mais je suis soulagée qu'il ne soit pas seul. Je prendrais soin de lui parler plus tard. Pour l'instant, je le laisse à mon fantôme et m'occupe de mon ami. De la sorte, ils sont tous les deux pris en charge.

— Tu n'es un frein à rien du tout.

Gabriel est borné. Je ne sais pas pourquoi il donne autant de crédit à un homme qui ignore nos secrets. Simon ne peut pas comprendre. Il tapera toujours un peu à côté mais contrairement à Aaron, il ne s'en formalise pas. Il me laisse avoir mon jardin secret et trouve ça normal, voire même sain, que nous ne soyons pas constamment collés ou dépendant de l'autre. Hier, il n'a pas compris mais ne s'est pas emporté et n'a pas commencé à parler de m'interdire de voir Gabriel. Je n'aurais pas supporté.

— Sors-toi ça de la tête. J'ignore ce que Simon t'a dit, mais n'y pense plus. Je suis heureuse dans mon couple et dans notre amitié. Maintenant, laisse-moi au moins te raccompagner.

Si mes mots sont doux, mon ton est ferme. Aucune négociation ne sera acceptée. Il est hors de question que je l'abandonne sur le parking du musée. Je compte rester avec lui jusqu'à ce qu'il soit chez lui, changé et dans une tenue confortable et qu'il m'ait laissée lui commander un repas réconfortant. Seulement après ça, j'accepterai de le laisser tranquille et irai retrouver mon petit ami si c'est ce que Gabriel souhaite.