Lilly Aubry Dawson

« T’as menti, c’est une fille et t’avais dis que ce s’rait un garçon ! »

Ça, c’est les premiers mots que j’ai prononcé en voyant ma petite sœur, à la maternité. Maman me le rabâche sans cesse, un demi-rire dans la voix. Chaque fois, ça me fait lever les yeux au ciel. J’en profite, puisqu’elle ne me voit pas. C’est rare, les instants où je vais les voir. A vrai dire, je suis trop occupée à courir partout, pour ma chaîne et celle de Raj, que j’en oublie parfois même de lever le pied et d’aller passer un instant en famille. Je suis née à Londres, en mille neuf cent quatre vingt dix sept. La première fois que j’ai prit un coup de vieux, c’est quand le caissier a prit ma carte d’identité et qu’il me l’a rendue immédiatement, en me disant que puisque ça commençait par un et neuf, j’étais forcément assez vieille pour acheter cette bouteille de vodka. Oui, vous avez bien lu « assez vieille ».

J’ai une petite sœur, de deux ans plus jeune que moi, avec qui j’ai fais les quatre cent coups quand j’habitais encore chez mes parents. Nous étions très proches, et personne n’osait vraiment lui chercher des noises dans les petites classes, parce que je frappais tous ceux qui osaient s’en prendre à ma sœur. Il n’y a pas eu de grands drames dans ma vie, en fait j’ai eu une enfance vraiment cool, une adolescence de rêve et ma vie d’adulte … et bien, j’ai l’impression qu’elle n’a pas encore commencée. Je vis toujours comme quand j’avais seize ans, je me couche tard, je me lève tôt, je fais ce que je veux, quand je veux. Je rencontre pleins de gens, et surtout, je crapahute partout où il est possible de crapahuter. Et si en prime, je peux être accompagnée de mes deux meilleurs amis, Eliott et Vergil, alors ça, c’est la vie de rêve.

J’ai rencontré Eliott à l’université, et Vergil un peu avant. Quand on s’est retrouvé tous les trois, il s’est passé un truc dans l’air, une sorte d’alchimie qui nous a tous connectés les uns et autres ! En tout cas, ça nous a assez connecté pour que nous montions une chaîne Youtube sur le paranormal. Raj (Vergil) et moi, c’est un peu ça qui nous a rapproché. Cette passion commune pour tous ces trucs inexpliqués et inexplicables, l’envie de capturer un moment qu’on ne comprendrait pas, ou qui nous ferait bien flipper, c’est ça qui nous anime. Et c’est aussi ce qui nous a amené tous les trois ici, à Edimbourg. On a prit nos valises, dit au revoir à nos proches et on s’est retrouvés ici, à courir après des fantômes, sans vraiment avoir la certitude qu’ils existent réellement. Enfin, moi j’en suis sûre, j’en ai juste jamais vu.

Bon, j’avoue que je survole juste un peu ma vie et que je ne rentre pas dans les détails. Ça me met mal à l’aise, je sais pas pourquoi. À côté de la chaîne qu’on a tous les trois, j’ai la mienne, qui a explosé il y a deux ans. Oui, ça en a mit du temps, mais voilà, c’est là, ma chaîne de musique marche bien. Je reprends pas mal de chansons, j’en compose parfois. Ce qui marche le mieux c’est les covers. Oui, ça va, je vais finir par rentrer dans les détails … laissez-moi juste repousser un peu ce moment. On y vient.

Quand je disais qu’il n’y avait pas eu de grand drame dans ma vie, j’ai menti. Ce n’est pas un gros mensonge, mais quand même, s’en est un. En réalité, j’ai perdu une personne très chère à mon cœur. Nana, ma grand-mère. Nana, elle était toujours toujours toujours la première au courant de tout ! Je l’aie perdu quand j’avais dix ans, et même si à dix ans on est assez grands pour comprendre le concept de la mort, je n’étais pas préparée à la vague d’émotions qui m’ont submergée juste après ça. Déjà, j’ai vu mon père pleurer, et ça, c’est vraiment le truc qui n’arrive jamais. Et puis après, ce trou béant dans la poitrine. Ce grand vide, qui ne part jamais vraiment. J’ai prit l’habitude de lui parler, persuadée que la vie ne s’arrêtait pas après la mort et je pense que c’est en partie pour ça que j’ai tant envie de prouver l’existence des phénomènes paranormaux. Je veux me prouver à moi-même que où qu’elle soit, elle m’entend lui raconter mes journées, lui dire mes peines et mes joies.

En parlant de peine, il y en a bien une. Encore. C’est un garçon, qui m’a brisé le cœur, un peu avant que je parte pour Edimbourg. On était ensemble depuis bientôt un an, et un soir en rentrant « chez nous », il y en avait une autre. Une autre, toute blottie contre lui, dans un canapé hors de prix qu’il avait absolument voulu qu’on achète. Sur le coup, j’ai pas su quoi dire, j’ai pas su quoi faire. J’ai appelé Eliott et Vergil, j’avais besoin de prendre l’air et d’oublier ce que je venais de voir. C’est là que je me suis rendue compte j’étais vraiment amoureuse de cet abruti. J’ai supprimé absolument tout ce qui pouvait me faire penser à lui dans ma vie et je n’en parle jamais. Parce que je déteste me plaindre et que je ne veux surtout pas risquer de pourrir l’ambiance. Je suis focus à fond sur mon travail, à fond sur mes amis, et un jour, on prouvera que les fantômes existent. Eliott est bien partit pour, il dit qu’il les voit, qu’il les sent. La chance. Ou pas. Tout est une question de point de vue, finalement.