Cette vie, c’est un éternel recommencement. Une ronde continue d’événements qui se répètent. J’ai toujours eu l’impression d’être celle qui compte le moins pour les gens qui m'entourent. La dernière des préoccupations de tout le monde. A Portland, ma mère, ma soeur et moi vivions dans une petite maison merdique qui appartenait à ma vieille tante, décédée quelques années plus tôt et ma mère en avait hérité, va savoir comment. Elle a toujours été fourrée dans des magouilles, ma mère. Jamais véritablement capable de travailler, son truc à elle , c’était de se trouver des mecs blindés à qui elle cachait qu’elle avait deux gamines. Ouais, j’ai déjà passé des soirées cachée dans un placard pendant que ma mère faisait ses petites affaires avec ses mecs. Ouais, j’ai déjà eu des périodes où on avait si peu de fric que la maison se vidait de mes jouets, mes fringues, la télé et tout ce qui pouvait avoir de la valeur chez le préteur sur gage. J’ai déjà vu des huissiers m’arracher mes affaires des mains pour les mettre dans des grands cartons. Ils laissaient que mon lit et le nécessaire pour vivre et généralement, ma mère rentrait deux semaines plus tard avec un sac à main de marque et un chèque pour se racheter des meubles qu’elle perdait inlassablement quelques mois plus tard. C’était toujours la course pour avoir de quoi manger. De quoi vivre.

Parce qu'on avait un rythme de vie bizarre, ma sœur s'est mise à sortir tôt et à sortir souvent. Dès ses quinze ans, elle disparaissait chez des amis des semaines entières. Et c'est devenu pire quand elle a eu son premier boulot à seize ans. Elle bossait dans un five guys pour 6 dollars de l'heure. C'était pas la grande vie mais ça lui finançait l'essence et la weed. Elle partait en vadrouille avec tout un tas de gens différents. Elle se faisait des amis partout où elle passait, c'était un peu le cliché de la princesse qui fait même chanter les oiseaux.  Elle revenait généralement une fois par semaine pour donner des sous à ma mère et pour me sortir un peu. On allait faire les magasins ou alors elle m'emmenait à la salle de jeux faire un billard avec les grands.

Et puis un jour, elle n'est pas revenue. C'est bête, dis comme ça.  Ma mère refusait d'appeler les flics, elle disait que Viola finirait par revenir, qu'elle avait dû se trouver un nouveau mec et qu'elle vivait le grand amour avec lui. Et moi, j'étais trop petite pour aller déclarer la disparition de ma sœur toute seule. Du haut de mes douze ans.
Après trois semaines sans nouvelles, maman s'est décidée à faire quelque chose. Elle a appelé la police, mais comme Viola était majeure, on a pas eu le droit à une alerte amber ou un truc dans le genre. Ils ont dit qu'ils chercheraient sa voiture. Et qu'ils nous tiendraient au courant. Ils ont interrogé les amis de ma sœur, son boulot. Sans que personne ne sache où elle est allée ou ce qu'elle avait prévu. C'est comme si personne ne s'inquiétait vraiment.

Après quelques mois, la police annonçait qu'ils ne recherchaient plus ma sœur vivante. Sa voiture à été retrouvée à 30 km de Seattle, carbonisée en plein milieu du parc national de North cascade. Des randonneurs ont signalé qu'une voiture avait été abandonnée là, encore fumante. Et puis c'est tout.

Pendant 6 ans, ça a été tout. Ma sœur n'avait pas franchement le profil de la victime idéale selon les forces de l'ordre. Elle avait un petit casier judiciaire parce qu'elle avait volé une ou deux fois à l'étalage, le profil d'une fêtarde au rythme de vie douteux. Des petits amis. Bien-sûr, il y a eu une récompense, des appels à témoins et quelques affiches en grand. Mais, ça n'a jamais rien donné.
Et moi, j'ai grandi en me demandant ce qui avait bien pu lui arriver. Je suis passé par tous les stades de questionnement. Et une bonne partie de déni aussi. J'essayais de me convaincre qu'elle allait bien, qu'elle était rendue dans le sud des états-unis et qu'elle faisait la fête sur la plage.

Et puis on a appelé ma mère pour identifier le corps de ma sœur. Elle avait disparue pendant 6 ans mais avait été sauvagement assassinée quelques semaines seulement avant qu'on la retrouve.  Ils ont estimé qu'elle avait subi deux grossesses avortées et qu'elle avait de nombreuses fractures mal soignées. Notamment une blessure à la jambe droite qui devait dater d'au moins deux ans et dont elle avait dû garder des séquelles. Elle boitait. Il lui manquait des dents et sa peau était extrêmement abîmée. Elle avait les cheveux rasés, et pesait à peine une quarantaine de kilos. Elle avait été déposée, là, dans la décharge publique, ensevelie sous quelques déchets.

Le problème, c'est qu'avec toutes les preuves et ADN recueillis sur la scène de crime,rien n'était utilisable. Je suppose que ce sale type s'en doutait. Il a été déterminé que l'homme ou la femme qui avait garder ma soeur captive pendant plus de 6 ans n'en était pas à son coup d'essaie. Le dossier à été transmis au FBI mais, malheureusement, après trois semaines sous des déchets, rien n'était exploitable. Et ça a été à peu prêt la fin de l'enquête qui pourtant est encore ouverte aujourd'hui.

Moi, je n'ai jamais pu oublier. C'est un luxe que les autres ont peut-être mais, je n'ai jamais réussi à accepter la fatalité de l'incertitude. Ma mère a attaqué la police en justice pour avoir négligé l'affaire et elle a reçu un joli chèque de compensation qu'elle a été dépensé on ne sait où. Elle s'est tiré quand j'avais 21 ans.

Cassius a été mon pilier pendant longtemps. Je pense qu'au fond, il ne réalise pas combien il à été important pour moi malgré tout. Je me suis accrochée, le plus longtemps possible à une histoire qui n'avait pas vraiment de sens, je ne voulais pas être comme ma mère. Je m'imaginais avoir un seul homme dans toute ma vie. Et j'imaginais que c'était lui. Peut-être que je me voilait la face… peut-être que j'imaginais qu'on pourrait trouver un équilibre. D'abord, malgré la distance et ensuite malgré nos différences. Je voulais que ça marche. Je voulais qu'il me voit lui aussi comme un morceau de son avenir. Et je suis restée. Malgré les doutes que j'avais. Malgré la confiance qui s'étiolait. J'étais heureuse de vivre avec lui parce qu'il me faisait me sentir à la maison. Comme un endroit où j'aurais toujours une place. Un truc immuable, écrit dans les étoiles.  Il faut dire que je me sentais vraiment très seule quand je l'ai rencontré et qu'il avait une présence rassurante.  

J'ai voulu ignorer les signes, les premiers temps. Je pensais que ce serait mieux pour nous si je faisais l'autruche et si je gardais pour moi, toutes les failles que je voyais se dessiner dans notre relation. Les absences inexpliquées et les mensonges mal camouflés. Je me demandais si ça durait depuis longtemps, si c'était un truc régulier. Si je l'imaginais parce qu'au fond je commençais à réaliser que notre relation ne menait à rien. J'essayais de fermer les yeux et les oreilles.

Et puis, j'imagine que ça a fini par déborder. Nos amis en commun pouvaient sans doute plus se taire et j'ai moi-même craquer un soir. Au nouvel an de l'année dernière, j'ai eu la confirmation sur tous les doutes que j'avais. Et j'ai juste craqué. Je l'ai quitté en pleine dispute, j'ai fait mes affaires sur un coup de tête et je suis retourné à Portland. Je pensais qu'il me supplierait de revenir à la maison. Qu'il aurait le discours de l'amoureux transi qui se sent coupable des erreurs qu'il a commises mais le coup de fil n'est jamais arrivé. Au départ, j'étais prête à pardonner s'il revenait plus humble. J'ai appris par son frère qu'il avait quitté les états-unis pas très longtemps après notre séparation. Ça m'a blessé qu'il dise pas au revoir. Et je me suis sentie encore plus minuscule dans le monde.

Je pensais avoir fait une croix définitive sur lui quand son frère m'a téléphoné pour me demander de le contacter parce qu'il délirait complètement. Il m'a parlé de boucle temporelle et de loto. J'ai pas tout compris mais j'ai pas pu le laisser seul. Alors voilà. J'arrive pour sauver un type qui m'a trahi, menti et abandonné et que j'arrive encore à pardonner.