Charlie Atkins

J’voulais pas taper si fort. J’voulais pas frapper comme j’ai frappé. J’voulais pas que ça parte si loin.  Je pensais y échapper. Parce que J’y ai toujours échappé. Et on me répétait. Encore et encore. Attention Charlie. Attention. T'auras pas toujours de la chance, tu sais ? Tu finiras par avoir des problèmes. Te laisses pas aller avec la colère Charlie, on me disait. J’ai vu ma mère pleurer pour que j’arrête de me battre. Que j'arrête de m'attirer des ennuis. Elle le voyait arriver. Elle priait pour moi. Elle me suppliait d'arrêter mes conneries. D'arrêter la drogue, la boisson, les rixes à l’excès. Elle me disait que je finirais par aller en taule. Qu'à force de jouer avec le feu, je finirais par tout consumer autours de moi. Je sais, au fond de moi, je savais. Je comptais les jours, un peu. De l’enfance bizarre à l'adolescence bancale à la vie de jeune adulte totalement dissolue, j’étais comme destiné à finir ici. Entre ces quatre putain de murs en béton armé, sous les cris, les grognement, les grondements des vies autours de moi que je voulais réduire au silence.

J’ai pas eu une vie particulièrement difficile en vérité. Comme des millions d'gamins dans le monde entier, mon père s'est tiré pour faire sa vie j'sais même pas où. Il s'est tiré sans rien dire et puis sans rien m'laisser d'autre qu'un souvenir un peu vague. Pas vraiment présent. C'est bien plus tard que j’ai appris qu'il avait canner d'une overdose super loin d'chez moi. j’ai pas vraiment chercher à savoir ses raisons. J'ai jamais été vraiment capable d'le pardonner de nous avoir lâché comme si de rien. C'est peut-être ma mère qui le prend le mieux. Mais moi j’ai toujours cette impression d'trahison au fond d'moi vis à vis d'lui. Je peux pas l'ignorer, tu vois ?

J’ai presque grandi avec mon beau père, qui s'est marié avec ma mère quand j'étais encore un gosse, il n'a jamais eu d'enfant, Roy et ça a peut-être joué sur le fait qu'il me considère comme un fils.  Il n'a jamais trop voulu interférer dans ma vie. Peut-être un peu parce que quand j'étais encore un p'tit con de quinze , seize ans, j’lui ai fait vivre l'enfer. J'arrivais pas trop à être heureux pour ta mère, je voulais pas la partager et qu'elle finisse par souffrir encore.

C'est le dessin qui a toujours accompagné ma vie. J’ai jamais trop su d'où ça venait. C'était la seule chose qui m'apaisait. J'étais pas en colère quand je créais et c'est peut-être pour ça que j’en ai fait mon métier. Tatoueur c'est apparu comme une évidence pour moi. Et j’ai pas hésiter à lâcher l'école pour commencer ma carrière. J'avais seulement 20 ans quand j’ai obtenu mon crédit pour m’acheter un salon qui s'est rempli et mon affaire est devenue florissante. J'avais des clients réguliers, des gens qui ramenaient leurs potes. Et tous voulaient s'faire tatouer par Charlie Atkins. J’ai remboursé mon crédit plus vite que prévu. Et tout était beau dans l'meilleur des mondes.

Ça s'est gâté quand j’ai rencontré Lola. Parce qu'elle m’a fait peut-être réaliser que j'étais plus un gamin. Que je pouvais pas vivre dans l'arrière boutique d'un salon de tatouage toute ma vie, je pouvais pas me contenter de gens de passages. De fêtes et de rires fugaces sans vraiment jamais trop m'accrocher à autre chose que l'chaos. Lola a tout changé. Tout bousculer. Et je sais pas.J'ai Jamais trop cru en ce truc d'âme soeurs. J’ai jamais vraiment pensé que c'était autre chose qu'une plaie d'en avoir une. Je me disais que si je croisais la mienne, ça ferait seulement que déranger mon p'tin de quotidien. Je serais obligé de me coltiner une personne à vie.  Quoi que je fasse parce que c’est comme ça qu’ils le décrivent dans les bouquins ou dans les films. Je me disais que je serais forcé de simplement supporter tout ça.

Mais, j’suis tombé amoureux tellement vite. J’ai fais d'la place dans ma vie. J’ai tout remis en question. Tout. Tout. Même ma liberté. Je me suis pas vraiment posé d'questions en vérité. J’ai simplement fait les choses comme je le sentais. On s’était promis que si ça foirait, on se prendrait pas plus la tête que ça. Et j'aurais jamais pensé que ça deviendrait si sérieux. Si vital. J’ai commencé à me sentir étouffer quand elle était pas là. A me sentir comme un peu possédé.  Elle a juste pris le contrôle de toute ma vie. Et j’ai commencé à graviter autour d'elle, presque naturellement. Malgré les disputes. Malgré les doutes. Malgré les peurs et les pleurs. Et y'a eu des séparations. Des disputes et des crises de nerfs. Et y'a eu tellement de jalousie aussi. Mais on s’est aimés. C'est plus que de l'amour même. Plus que de la passion. C'était une putain d'obsession.

Lola était trop différente de moi. Elle cherchait un truc plus doux. Elle avait des rêves de familles heureuses, de maison à la campagne. Des dîners familiaux dont les souvenirs sonnaient comme des échos de rires et de joie. Genre trois mômes qui courent dans la maison. J’crois qu’elle espérait que je change. Et j’ai voulu, moi aussi. À un moment, du moins. Je pensais que j’y arriverais, même. Je me persuadais que c’était normal qu’on s’embrouille tout le temps. Quand elle chialait parce que je rentrais avec la lèvre éclatée, un nouveau coquard en tanguant jusqu’au lit de son appartement.  J’me disais que c’était juste des sales moments mais, que le reste du temps, tout allait bien. On retournais doucement à la case départ sans que j’arrive à capter les signes de notre fin. J’pensais pas qu’à la fin, nous deux ça finirait mal. Je croyais avoir encore un peu de contrôle sur la situation. Et puis un jour, ma Lola s’est tirée. Juste comme ça. Elle m’a foutu à la porte. Mon sac de fringues devant sa porte. Elle a changé les serrures comme si j’avais jamais existé dans sa vie. Elle ne m'a pas fait de grands discours. Elle a dit à ma mère qu’elle souhaitait que je sois heureux mais qu’elle, elle avait arrêté de m’aimer y’a un moment.

J’aimerais dire que ça m’a complétement bousillé, cette séparation mais, en vérité, c’est surtout que j’ai eu l’impression d’avoir besoin de combler un putain d’vide. Je m’étais habitué à me construire. Ça servait plus à rien maintenant qu’elle était partie. Alors un soir, j’ai taper un peu trop fort dans une rixe de soirée. Y’avait des circonstances aggravantes parce que je fais de la boxe et que le type a dû faire de la chirurgie pour réparer son œil. J’me souviens pas d’avoir taper si fort à vrai dire, j’ai déjà oublié le sujet de la dispute. J’crois que j’ai juste fait semblant que j’avais baiser sa meuf parce que je trouvais ça plaisant de foutre en l’air un couple.