Rose aimait bien Nadeem. Il suffisait de voir avec quelle attention elle écoutait chaque réponse du jeune homme face à elle. Parfois, un léger sourire approbateur naissait au coin de ses lèvres quand il apportait une réponse satisfaisante ou attendrissante. Celle sur sa soeur jumelle par exemple lui arracha un petit sourire tendre. Elle trouvait ça mignon de voir un frère et une soeur s’entendre aussi bien et tenir autant l’un à l’autre, sans forcément l’imputer à leur lien particuliers. C’était aussi rassurant pour la mère, car cette dernière avait toujours considéré qu’un homme s’entendant bien et traitant sa soeur - et sa mère - avec respect était toujours bon signe. Surtout quand ce dernier espérait pouvoir sortir avec votre fille.

De son côté, malgré son silence, Victoria avait elle bien entendu retenu l’information la plus importante : celle de la date de fin de trimestre de Nadeem. Si elle avait eu un calendrier sous la main, sans doute aurait-elle entouré la date du 10 décembre en énorme pour pouvoir compter les jours jusqu’à ses prochaines vacances. S’il rentrait tout de même assez régulièrement chez lui, la brune préférait largement quand il était en vacances parce que là au moins ils pouvaient se voir tous les jours. Une week-end toutes les deux semaines n’était pas assez satisfaisant pour le nouveau couple. Preuve en était, ils n’avaient même pas réussi à tenir jusque là avant de se revoir.

Quand Rose quitta la pièce, Victoria se confondit aussitôt en excuses auprès de son petit ami. Sa mère était curieuse, mais ne le faisait jamais sans mauvaise arrière pensée. Elle voulait simplement - parfois avec beaucoup de maladresse - apprendre à connaître un petit peu plus celui qui devenait chaque jour un peu plus, une part importante de la vie de sa fille. L’avantage était qu’en ayant abordé les sujets « compliqués » dès la première rencontre, il ne resterait plus que ceux plus faciles. Rose ne chercherait pas à chaque rencontre à savoir pourquoi Nadeem sellait si mal à l’aise à chaque fois que le sujet des études était approché de trop près, elle comprendrait et saurait respecté le manque d’envie de l’étudiant de s’épancher d’avantage sur ce sujet.

« Oui, elle l’est. J’ai de la chance de l’avoir. »

Murmura Victoria en tournant ses yeux en direction de la porte où se trouvait sa mère même si cette dernière était fermée. Même un aveugle pouvait voir et comprendre toute la tendresse que les deux femmes avaient l’une envers l’autre. Chacune était le pilier de l’autre, et même dans les moments de tensions, elles restaient extrêmement proches. Il était d’ailleurs rare qu’une dispute éclate entre elles, et généralement, Victoria ne mettait pas bien longtemps à revenir entre les bras de sa mère pour s’excuser de son comportement, comme précédemment.

La brune profita de l’absence de sa mère pour tenter de convaincre son petit ami de ne pas se précipiter sur le téléphone une fois seul pour prévenir Raj. En tant que meilleur ami, c’était son rôle, tout comme celui de Victoria était de préserver le « secret » de Tessa, ou plutôt, de ses parents. Elle grimaça en voyant qu’une simple petite moue ne suffirait pas à le faire changer d’avis, sans pour autant réussir à vraiment lui en vouloir pour ça. Ses arguments étaient totalement acceptables et elle-même pensait que ce ne serait pas juste pour Raj que son meilleur ami ne lui dise pas la vérité. Tout comme elle considérait que ce n’était pas non plus juste pour Tessa de ne pas avoir le temps d'aborder elle-même le sujet. Elle et Raj ne se fréquentaient pas depuis énormément de temps. Pas assez en tout cas pour que contrairement à eux, le jeune homme ne se retrouve face à face avec ses parents, surtout connaissant les emplois du temps de ministre des deux. Ils étaient rarement à Londres et ne pointaient que très peu de fois le bout de leurs nez dans la capitale et quand ils le faisaient, Tessa était toujours mise au courant en avance.

« Mais Raj lui ne risque pas de tomber nez à nez avec eux en débarquant chez Tessa … »

Souffla t-elle en grimaçant. Son argument à elle n’était pas le plus solide, mais il était vrai. Malheureusement pour Tessa et heureusement pour Raj, la situation ne risquait pas d’arriver. Tout en parlant, la brune avait gardé ses doigts entremêlés à ceux de son petit ami. Les siens se pressèrent un peu plus contre ceux du brun tandis qu’elle reprit la parole, en essayant encore une fois de gagner un peu de temps.

«  Tess’ lui dira, ce n’est pas quelque chose qu’elle compte cacher, mais il lui faut juste un peu de temps … »

L’opinion de Tessa à ce sujet était très claire : inutile de dire à chaque mec de passage que ses parents étaient racistes. Elle réservait l’information - quand c’était utile à divulguer - aux petits amis qui duraient sur la longueur, pour s’épargner à chaque fois le jugement et les grimaces que cela pouvait provoquer.

« Non, non je peux pas t’en vouloir, c’est moi … J’ai été stupide, j’aurais du me taire. »

Un soupir s’échappa des lèvres de la brune. Elle s’en voulait de ne pas avoir su garder ça pour elle et de mettre Nadeem dans une mauvaise posture. Elle ne pouvait pas lui imposer le silence et ne comptait de toute manière pas chercher à le convaincre de garder définitivement le secret face à son meilleur ami. Elle espérait simplement réussir à gagner quelques jours, afin de pouvoir avertir Tessa et la préparer à devoir avancer le moment gênant. En espérant que tout se passe bien pour elle.

« Et si tu ne peux pas ne rien dire pendant quelques jours … Essaie au moins de lui faire comprendre qu’elle n’avait pas envie de lui dire de suite de peur de le perdre. »

En toute franchise, Victoria était parfaitement consciente qu’il était plus logique que la loyauté de Nadeem le pousse à se ranger du côté de son meilleur ami d’enfance plutôt que vers la petite amie qu’il ne côtoyait pas depuis très longtemps. Leur alchimie avait beau être indéniable, elle ne pouvait pas lutter contre des années d’amitié et de confiance. Elle-même n’était pas certaine qu’à sa place, elle aurait été capable de rester silencieuse si elle avait appris quelque chose d’aussi important concernant la relation de l’une de ses meilleures amies.

Il y avait seulement une chose sur laquelle son petit ami se trompait : il était véritablement impossible qu’une rencontre imprévue n’arrive entre Raj et les parents de Tessa. Cependant, insister sur ce point serait sans doute dépasser une nouvelle imite dans la vie privée de son amie, et Victoria considérait qu’elle en avait assez fait comme ça. Tessa n’était pas du genre à apprécier que sa vie (et surtout sa relation chaotique avec ses parents) ne soit déballée et la brune en avait sans doute déjà trop fait en évoquant le racisme de ses parents.

« T’as pas à t’en faire pour ça. »

Se contenta t-elle de souffler sans insister davantage. Les parents de son amie passaient les trois quarts de leur temps à voyager à travers le monde pour leur travail. Quand ils le dernier quart de leur temps était dédié aux vacances, ces derniers ne s’embarrassaient pas de leur fille pour en profiter. Ils n’avaient jamais eu le désir d’avoir un enfant et encore moins de s’en occuper, et la naissance de Tessa n’avait eu lieu uniquement à cause du temps qu’avait mis sa mère à se rendre compte de sa grossesse. Ils avaient été obligés de garder l’enfant, mais n’avaient jamais accepté de devenir ses parents. Gouvernantes et nounous avaient pris ce rôle à leur place, et eux se contentaient d’envoyer (toujours le mauvais jour) un virement sur le compte de leur fille pour son anniversaire et autres fêtes.

Une autre chose que Raj ignorait sûrement était que l’avis de ses parents vis-à-vis de lui n’avait pas la moindre importance aux yeux de Tessa. Elle ne les considérait pas véritablement comme ses parents, mais comme des étrangers qu’elle croisait une ou deux fois dans l’année, et qui  renflouaient à chaque fois son compte en banque pour se donner bonne conscience. La seule véritable représentation d’une figure parentale aux yeux de Tessa était Rose. Son avis à elle importerait, c’était certain. Elle serait la seule personne à qui elle aurait envie de faire rencontrer Raj, et dont le ressenti aurait une importance.

Quand Nadeem fut incapable de lui promettre ne serait-ce que d’essayer de gagner un peu de temps pour laisser à Tessa l’opportunité de parler d’elle-même de ses parents à son petit ami, Victoria baissa les yeux, partagée entre résignation et agacement. Elle n’en voulait pas à l’étudiant de ne pas être certain de pouvoir garder sa langue, mais à elle, d’avoir provoqué cette situation délicate pour tout le monde. Elle finit par hausser les épaules avec lenteur, et passa sa main libre dans ses cheveux en poussant un soupir.

« Fais comme tu le sens. Je me débrouillerai. »

Tessa avait la rancune tenace, mais Victoria ne pensait pas perdre totalement son amitié pour autant. Son amie lui ferait la tête pendant plusieurs jours avant de finalement craquer et lui pardonner. Enfin ça, c’était dans le cas de figure où Raj et elle restaient ensemble après tout ça. Dans le cas contraire, Victoria n’était pas certaine que Tessa pourrait lui pardonner facilement.

Lentement, Victoria haussa un sourcil intéressé et curieux quand son petit ami mentionna le fait que Raj semblait vraiment apprécier Tessa. Les deux couples avaient commencé à se fréquenter exactement le même soir, mais Victoria avait considéré que dès le départ, il y avait une grande différence entre les deux. Là où Nadeem et elle jouaient les Roméo et Juliette modernes incapables de passer quelques jours loin l’un de l’autre, Tessa et Raj eux représentaient un couple plus adolescent, vivant l’instant présent sans jamais se préoccuper du reste. Ils s’entendaient bien et passaient du bon temps ensemble. À dire vrai, la brune s’était plusieurs fois demandé si leur relation durerait ou finirait par s’arrêter, à l’image d’une petite amourette d’été. Elle était contente de constater que l’affection que Tessa portait à Raj était réciproque et que ni l’un ni l’autre ne voulait voir (pour l’instant) leur histoire se terminer. À cette pensée, Victoria se sentit un peu coupable. Avec sa gaffe, elle risquait de provoquer la fin prématurée d’un couple sans le moindre problème.

« Je ne veux juste pas qu’ils se séparent à cause de moi. Vraiment. C’est rare quand Tessa s’entend bien avec un garçon aussi longtemps. »

Et ce que pensais aussi Victoria, c’était qu’elle aurait voulu que leur histoire dure assez longtemps pour que son amie soit consciente du fait que Raj l’appréciait vraiment pour ce qu’elle était. Tessa n’y croirait pas une seule seconde, et balancerait en haussant les épaules à ses plus proches amis que si ses propres parents qui étaient supposés être génétiquement programmés pour l’aimer n’avaient pas été capables de le faire, alors il était peu probable que son petit ami le puisse. C’était pour ça que généralement, elle enchaînait les histoires très courtes (ne dépassant pas parfois une nuit) plutôt que les relations plus sérieuses. Non vraiment, Victoria ne voulait pas tout foutre en l’air bêtement.

Les yeux de la brune retournèrent vers cette main qui tenait la sienne. Elle avait de la chance elle, d’avoir une mère qui l’avait accueilli à bras ouverts. Il n’aurait pu en être autrement de Rose, que sa fille commençait à soupçonner de traîner volontairement dans la cuisine pour leur laisser un peu de temps en amoureux.

« D’accord. Dis-moi juste quand tu l’as fait, tu veux bien ? »

Demanda t-elle en relevant ses yeux bleus pour le supplier d’accepter à cette requête. Elle ne pouvait pas le forcer de ne rien dire, mais voulait au moins pouvoir anticiper la colère possible de Tessa et s’y préparer. En parler davantage ne faisait qu’accroître le risque de dispute dans son propre couple, si l’un et l’autre continuait à présenter ses arguments et vouloir défendre son meilleur ami. Victoria en était sûre : elle ne pourrait pas supporter de se disputer avec Nadeem. Ses absences quand il devait retourner à Cambridge étaient déjà insupportables, alors imaginer qu’un jour il lui en veuille au point de volontairement ne plus lui adresser la parole était trop difficile.

Quand la voix de l'étudiant s'éleva à nouveau, Victoria clôtura définitivement le sujet de Raj et Tessa en décidant que le destin ferait son affaire. Elle regarda avec curiosité son petit ami commencer à parler, puis s’arrêter pour vérifier où en était Rose dans la cuisine, comme si il voulait être certain que cette dernière ne pouvait pas les entendre. Quand il se retourna vers elle pour enfin lui dire ce qu’il avait derrière la tête, les yeux de la brune s’écarquillèrent de surprise. Elle avait oublié que Raj avait son propre appartement et que le couple pouvait hypothétiquement en profiter, si Nadeem négociait avec son meilleur ami. L’avantage était qu’il ne serait pas à la rue et que Tessa se ferait une joie de recueillir ce pauvre SDF d’un soir.

«  Oh ! On serait que tous les deux ? »

Demanda t-elle en ne se rendant compte que plus tard que sa phrase pouvait laisser penser que l’idée lui faisait peur. Ce n’était pourtant pas le cas. Lors de la soirée de Tessa elle s’était sentie parfaitement en sécurité entre les bras de Nadeem, et encore plus quand ils avaient partagé son lit. Elle ne craignait pas de recommencer, et avait presque la sensation d’être projetée dans un monde  beaucoup plus « adulte ». C’était une chose de squatter l’appartement de son amie tout frais payés un week-end le temps d’une fête, c’était tout autre chose de se retrouver en tête à tête avec son petit ami dans un appartement. Presque comme si le temps d’une nuit, ils vivaient ensemble.

« Enfin je veux dire … On se ferait une vraie soirée rien que nous deux ? À se faire à manger et tout ? »

Pour l’adolescente habituée à vivre avec sa mère qu’elle était, ce serait une grande première. Contrairement à son petit ami, elle n’avait jamais quitté le cocon familial et encore moins pour passer une nuit avec son amoureux. Le sourire qui se dessinait lentement sur ses lèvres alors qu’elle s’imaginait tenter de ne pas se ridiculiser en tentant de cuisiner ne laissait aucun doute quant au fait que l’idée lui plaisait énormément !

« Bien sûr que j’en ai envie ! »

S’exclama t-elle alors en se rendant compte qu’elle n’avait pas précisé que c’était le cas. Elle était soudainement toute excitée par la perspective de cette soirée à deux et avait presque envie d’aller déjà préparer son sac d’affaires. Elle en oubliait presque un détail de taille qui, quand il lui revint en tête, la fit légèrement grimacer.

« Il faut que je demande à ma mère … »

Rose était une mère adorable et permissive, mais Victoria doutait qu’avoir son accord serait une partie de plaisir. Elle était inquiète de voir à quel point la relation fusionnelle entre les deux impactait le comportement de sa fille et pourrait ne pas vouloir l’aggraver en leur laissant faire tout ce qu’ils voulaient. De plus, ils ne se fréquentaient pas depuis très longtemps et n’importe quel parent considérerait que la relation était trop jeune pour les laisser tous les deux sans aucune surveillance. Les intentions nobles de Nadeem pouvaient être mal interprétées par une Rose qui ne le connaissait pas assez pour avoir pleinement confiance en lui. Néanmoins, Victoria ne comptait pas laisser cette occasion de passer du temps ensemble lui échapper.

« Quand tu partiras, je vais lui demander la permission. Je ne sais pas encore comment, mais je vais tenter de la convaincre ! »

Il valait mieux le faire une fois Nadeem parti, afin de leur éviter à tous les deux une gêne inutile. Victoria mentait légèrement en disant ne pas savoir comment convaincre sa mère, mais préférait éviter d’expliquer à son petit ami qu’elle devrait sans doute garantir à sa mère que l’étudiant ne nourrissait aucun espoir de pouvoir profiter d’elle durant cette nuit ensemble. Elle, elle le savait. Elle avait confiance en lui, mais pour une mère, ce serait la première crainte qui lui viendrait en tête.

Les suppositions de Nadeem quant à l’avenir du couple de son amie ne suffisaient pas à Victoria pour être rassurée. Elle aurait voulu avoir une petite boule de cristal capable de lui prédire la réaction de chacun des protagonistes et l’avenir de leur relation. Le plus préoccupant pour elle était en premier lieu la réaction qu’aurait Tessa en apprenant que l’une de ses meilleures amies avait (involontairement) craché le morceau. Ensuite, et seulement après, venait la préoccupation à propos de la réaction de Raj.

La brune finit par pousser un soupir. Les dés étaient jetés et il était trop tard pour revenir en arrière et ravaler ses mots. Elle espérait simplement que son amie parviendrait à capter la sincérité dans le ton de sa voix quand elle lui présenterait ses excuses, et que le couple qu’elle formait avec Raj soit plus solide que ce petit mensonge par omission. À dire vrai, Victoria ne pouvait pas véritablement juger son amie. Elle était tout de même la première à mentir à son petit à propos de la mort de son père et ne comprenait que trop bien que parfois, certains secrets familiaux étaient plus à leurs places lorsqu’ils restaient dissimulés.

L’absence en longueur de Rose permit à Nadeem de trouver le courage nécessaire pour inviter sa petite amie à une soirée en amoureux dans l’appartement de son meilleur ami. Le visage de Victoria, encore un peu grimaçant à cause de l’histoire précédente, s’était aussitôt illuminé de surprise et d’excitation à cette idée. Une légère pointe d’appréhension naissait en elle quand elle pensait au fait qu’ils ne seraient que tous les deux sans le moindre chaperon pour les surveiller ou interrompre leurs baisers, mais elle fit rapidement taire cette petite voix agaçante en elle.

« Je te dis ça au plus vite ! »

S’exclama t-elle avec sans doute un peu trop d’enthousiasme. Il fallait reconnaître que l’occasion ne leur serait pas donnée tous les week-ends. Entre les études de Nadeem et la disponibilité de l’appartement de Raj, les astres ne s’alignaient pas en leur faveur pour leur permettre de s’octroyer souvent une soirée romantique à deux. La brune était si excitée qu’elle ne pensait pas au plus dur qui allait bientôt arriver : convaincre Rose de la laisser dormir dans l’appartement de Raj. Mentir n’était pas une option acceptable. Victoria devrait user de tout son charme et battements de cils pour réussir à la convaincre, mais elle était extrêmement motivée et ne comptait pas lâcher facilement l’affaire.





La matinée avait été consacrée à convaincre Rose que laisser sa fille aller dormir une nuit dans un appartement avec son petit ami dont elle était émotionnellement déjà beaucoup trop dépendante était une bonne idée. Pour cela, Victoria avait mis le paquet. Elle n’avait pas voulu demander la permission tout de suite après le dîner, et avait préféré tenter sa chance le lendemain, quand Rose aurait eu le temps de ressasser dans son esprit la rencontre avec Nadeem et de se faire une petite idée à propos du garçon. Durant le petit déjeuner, elle avait demandé à sa mère son avis à propos de lui. Comme elle s’y était attendue, Nadeem avait fait bonne impression à la femme, qui avait même précisé que le revoir à sa table bientôt lui ferait plaisir. Peut-être même accompagné de ce fameux Raj, dont elle avait rapidement entendu parler. L’évocation du prénom avait fait grimacé la brune quand elle se souvint de sa gaffe de la veille, mais ne la fit pas changer de sujet. Après plus d’une vingtaine de minutes de négociations avec Rose, Victoria avait enfin obtenu l’autorisation de dormir avec lui. Sa sincérité avait joué en sa faveur : sa mère avait apprécié qu’elle lui avoue clairement vouloir aller dormir avec lui plutôt que de lui faire croire qu’elle allait à une soirée chez Tessa. Ce n’était pas pour autant que Rose ne lui avait pas demandé de lui écrire l’adresse du studio avant de finalement insister pour l’y déposer elle-même.

Le reste de l’après-midi avait été beaucoup moins joyeux. Après avoir envoyé un SMS enjoué à son petit ami pour le prévenir que sa mère avait donné son feu vert, Victoria avait décidé d’être une amie honnête et sincère et de proposer à Tessa de se retrouver au parc pour lui avouer sa gaffe de la veille. Comme prévu, son amie avait aussitôt fait les gros yeux et avait lâché quelques jurons d’énervement face à son aveu. Elle avait reproché à la brune de ne pas tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de l’ouvrir avant de la fusiller du regard. Victoria s’était recroquevillée sur elle-même en acceptant de subir les foudres de son amie pendant les prochaines minutes, tandis que cette dernière continuait de s’énerver tout en commençant en même temps à s’inquiéter de la future réaction de son petit ami. Elle avait finalement décrété que, ne pouvant rien faire pour que Nadeem tienne sa langue, elle irait retrouver Raj dès que possible pour tenter de désamorcer la situation. Avec un peu de chance, elle parviendrait à le voir avant que son ami n’ait le temps de lui dire quoique ce soit. Intérieurement, Victoria elle, remerciait sa mère de s’être proposée de l’accompagner en voiture le soir car avec la manière froide avec laquelle Tessa l’avait saluée, elle avait rapidement compris que lui demander de jouer les taxis pour l’amener à sa petite soirée romantique aurait été mal pris.

L’odeur émanant de l’autre côté de l’appartement laissait à penser que le repas qu’avait préparé Nadeem était raté. Victoria n’y prêtait pourtant pas la moindre importance. Sa joie de le retrouver et de pouvoir enfin passer du temps seule avec lui dans un endroit qui n’était ni public, ni le salon de sa propre maison surpassait tout le reste. De toute manière, qui était-elle pour juger quelqu’un à ses talents culinaires ?

Ses doigts se resserrent sur la anse de son sac à dos contenant ses affaires pour la nuit. Ils étaient légèrement moites, à cause de la légère appréhension qu’elle ressentait, mélangée à l’excitation du moment. Elle ne craignait pas d’être seule avec son petit ami, mais se sentait anxieuse de se retrouver dans un monde beaucoup plus adulte. Ses soirées à elle n’étaient pas comparables à celle-ci. Jamais elle n’avait passé une nuit entière avec un garçon, encore moins dormi avec un petit ami. C’était une première fois légèrement déroutante, mais qu’elle n’aurait loupé pour rien au monde.

« Coucou toi… »

Sa propre voix tremblotait légèrement. Elle se sentait maladroite, à lui sourire bêtement en restant dans l’encadrement de la porte sans penser à faire un pas en avant pour entrer dans le studio. C’était bien son petit ami face à elle, et pourtant, elle en venait à se demander si aller se blottir dans ses bras et lui voler un baiser était une chose qu’elle pouvait faire. Rien à voir avec les retrouvailles de la veille où elle n’avait pas hésité un seul instant.

La remarque du brun à propos du repas la fit sourire. Elle ne s’en était pas plus préoccupé que ça, mais maintenant qu’il le lui disait, elle était tout de même ravie. Son estomac - pour l’instant légèrement contracté par le mélange papillons/anxiété - finirait par se réveiller et réclamer sa pitance.

« Cool … On mourra pas de faim ce soir ! »

L’entrée en matière était … Nulle. Même Victoria s’en rendait compte et pourtant, elle se sentait comme une petite fille timide et angoissée qui n’arrivait pas à sortir la moindre phrase pertinente. Ce n’était pourtant pas son genre de perdre ses moyens de la sorte ou du moins, dans ces moment-là, elle avait au moins la présence d’esprit de rester silencieuse.

« Je peux mettre mon sac là ? »

Demanda t-elle aussitôt pour ne pas laisser un blanc s’imposer dès le départ, même si encore une fois, elle ne faisait pas preuve de beaucoup d’imagination et que sa question n’amenait pas d’autre réponse qu’un « oui », à moins que son petit ami n’ait décrété qu’elle devrait le garder sur les épaules toute la soirée.

Elle laissa donc le sac à dos glisser de ses épaules pour finalement atterrir au sol. À rester debout comme une potiche, elle se trouvait ridicule. Son petit ami lui manquait les trois quarts du temps parce qu’il était loin d’elle, et maintenant qu’elle l’avait en face, elle n’était même pas capable de faire un pas vers lui pour se blottir dans ses bras alors que c’était tout ce qu’elle souhaitait.

« Je crois que je suis un peu intimidée … »

Si l’appartement avait été celui de Nadeem, sans doute se serait-elle sentie un tantinet moins gênée. Là, elle pénétrait dans l’intimité de Raj et ne savait pas où mettre les pieds. Heureusement, son petit ami lui, semblait plus habitué des lieux et l’aiderait à se sentir à l’aise. Il n’y avait pas que ça qui l’intimidait réellement. L’intimité du couple crée par cet appartement qui leur était offert pour la nuit prenait une autre dimension. Victoria n’avait pas peur des intentions de l’étudiant envers elle, là-dessus, elle lui faisait une confiance aveugle. Ce qu’elle craignait le plus, c’était son incapacité à elle à gérer ses pulsions et ses envies.

« Mais je suis contente d’être là, vraiment. »

Murmura t-elle en lui offrant un sourire tendre et sincère, car jusqu’à maintenant ses gestes ne laissaient pas forcément deviner cette pensée. Elle resta un instant plantée là à regarder son petit ami, avant de finalement faire les quelques pas le séparant de lui pour venir entourer sa taille de ses bras et le serrer contre elle. Sa tête se releva légèrement pour pouvoir continuer à le regarder et à lui sourire, les yeux brillants de joie.

Les retrouvailles du jeune couple n’avaient rien à voir avec celles de la veille. C’était presque de ridicule, de les voir intimidés de la sorte alors qu’ils n’avaient plus aucune raison de l’être. Ils avaient passé du temps ensemble et même une nuit dans le même lit et n’étaient plus des inconnus l’un pour l’autre. Victoria mettait cela sur l’éloignement qui n’avait pourtant pas duré une éternité, mais avait suffit à lui faire perdre l’habitude de côtoyer son petit ami en continu.

Son sac abandonné au sol, les yeux de la brune profitèrent des quelques secondes de silence qui suivirent pour observe er le studio de Raj. Il n’y avait pas vraiment de surprise, c’était plus ou moins ce qu’elle avait imaginé pour l’appartement d’un étudiant. Un peu ce qu’elle imaginait pour elle aussi (avec une autre décoration bien sûr), si jamais un jour elle se décidait à étudier en dehors de Londres comme le faisait Nadeem. L’idée avait commencé à faire un petit bout de chemin dans sa tête, surtout depuis sa rencontre avec son petit ami. La distance imposée entre eux lui donnait parfois envie de quitter le nid familial pour s’émanciper et pouvoir le rejoindre, même si il était bien trop tôt pour avoir ce genre d’idées. La plupart du temps, Victoria cessait bien rapidement d’y penser et secouait la tête, elle-même consciente qu’elle brûlait toutes les étapes.

Ce ne fut qu’une fois la distance entre leurs deux corps rompu que Victoria eut l’impression que le poids qu’elle se trimballait sur les épaules depuis plusieurs jours avait disparu. Ses bras se serrèrent un peu plus autour de la taille de son petit ami tandis qu’elle inspirait à pleins poumons son parfum. Le manque, les nuits déprimantes à prier pour avoir encore assez de forfait pour se téléphoner et les disputes avec sa mère provoquées par sa mauvaise humeur disparaissaient en un claquement de doigt. Contre lui, elle se sentait de nouveau comme lorsqu’ils passaient des après-midi entières à déambuler dans des expositions ou des parcs, mains dans la main comme deux amoureux transits.

« Tu m’as manqué aussi. »

Affirma t-elle en prenant une petite voix boudeuse comme si c’était sa faute à lui, avant de lui faire un petit clin d’oeil. Elle savait très bien qu’ils souffraient l’un comme l’autre de cette distance, mais aimait bien le taquiner en lui rappelant que c’était lui qui était celui qui partait, tandis qu’elle restait sur place.

Ses yeux se fermèrent avec lenteur sous le contact tendre des lèvres de l’étudiant. Elle l’avait embrassé la veille, mais ce baiser là avait une toute autre signification. Il était doux et rassurant. Il ne faisait que confirmer que lui aussi était heureux de la retrouver, même si ce n’était pas pour très longtemps. Victoria n’avait aucune envie de gâcher la moindre seconde de leur moment ensemble. C’était pour cela qu’elle avait supplié sa mère, car elle savait très bien qu’elle s’en serrait voulu à mort de ne pas avoir réussi à la convaincre de lui laisser un peu plus de temps avec lui.

« Beaucoup, beaucoup trop manqué. »

Rajouta t-elle en glissant sa main sur la joue de l’étudiant pour le forcer (avec douceur) à ne pas bouger tout de suite la tête pour pouvoir reprendre ses lèvres. Capricieuse, Victoria considérait que son besoin de lui n’était pas rassasié. Un court baiser de quelques secondes ne suffisait pas à rattraper tous ceux auxquels elle n’avait pas eu le droit ces derniers jours. En vérité, elle savait que rien ne pourrait les rattraper, mais voulait simplement grappiller un peu plus. Entre les bras de son petit ami, elle n’avait aucune inquiétude et savait qu’elle pouvait se montrer exigeante de la sorte, sans que son geste ne soit mal interprété. D’autant plus que son attitude était plus câline que séductrice. Elle cherchait à rester blottie contre lui plus qu’à le tenter dangereusement, même si la limite entre les deux n’était pas très claire. Avec les hormones, elle pouvait être très rapidement franchie quand ces dernières se réveillaient soudainement.

« Bien sûr ! »

Elle accepta la petite visite guidée de l’appartement de Raj une fois que ses lèvres daignèrent libérer celles de Nadeem. Une épreuve pour elle qui aurait pu passer des heures à continuer de l’embrasser. Il fallait cependant se montrer raisonnable. Un petit plat cuisiné avec amour les attendait et ils ne pouvaient pas non plus se sauter dessus en à peine une minute.
Son corps ne se décala que de quelques centimètres mais son bras resta entouré autour de la taille de l’étudiant. Hors de question maintenant de le lâcher alors qu’elle ne l’avait rien que pour elle. Ses yeux se posèrent sur la console de jeu tandis qu’un petit rire amusé s’échappa de sa gorge.

« Oh wow, Raj nous fait vraiment confiance alors. »

Elle blagua en laissant sa tête retomber contre l’épaule de son petit ami. Elle ignorait si ils joueraient ou non à la console, mais trouvait ça sympa de la part de Raj de leur en laisser le privilège. Tout en balayant la pièce, Victoria se demanda si Tessa était déjà venue ici. « J’ai passé la soirée avec Raj » n’était pas une information assez précise pour comprendre si leurs soirées se faisaient ici, où si la brune invitait systématiquement son copain chez elle par habitude. La différence entre les deux lieux était frappante, et elle aurait été curieuse de voir son amie évoluer dans un studio dont la taille totale n’était même pas celle de sa cuisine. Pas méchamment, mais parce qu’elle savait Tessa dotée d’une capacité d’adaptation fascinante, et qu’elle aurait été très rigolote à voir ici. Quand les pupilles de Victoria se posèrent sur la clic-clac non replié, elle bloqua un instant et décida que non, finalement, elle n’avait aucune envie de savoir si Tessa avait déjà passé la nuit ici.

Elle fit un pas en avant, afin de terminer de détailler le petit espace. À ses yeux, ce n’était pas juste un petit studio, mais un petit nid douillet idéal pour leur soirée de ce soir. Un sourire s’étala sur ses lèvres quand le corps de son petit ami vint se coller contre le sien et qu’elle senti sa tête au creux de son épaule. Elle se sentit étrangement adulte soudainement, même si sa petite chemise à carreaux et son petit jean contrastaient avec ses tenues plus féminines de d’habitude. Contempler un appartement qui serait le « leur » pour une nuit dans les bras du garçon pour qui elle commençait à développer de sérieux sentiments était étrange, mais loin d’être dérangeant. C’était même extrêmement plaisant. Beaucoup trop, parce qu’encore une fois, elle s’emballait trop vite.

« Hein ? Oh … »

La phrase glissée à son oreille suffit à le faire sortir de ses légères rêveries. Le visage de Victoria se raidit un instant et sa bouche se tordit en une grimace. Nadeem avait certes tenu sa langue, et tant mieux, mais pas elle. La petite prise de bec avec Tessa lui revint en tête et lui serra le coeur un instant.

« Moi si. Elle était furax. »

La colère de Tessa passerait avec le temps, mais rarement Victoria ne l’avait vue aussi furieuse. Sans doute parce qu’en mettant en péril sa relation avec Raj, elle avait touché à un point sensible chez son amie. Tessa ne s’attachait que très rarement, mais avec beaucoup d’intensité. La rareté de ce fait lui faisait aussitôt sortir les griffes à la moindre menace. Pour preuve, elle n’avait pas hésité à lui glisser une remarque blessante à propos du respect de la vie privée de chacun, en insistant bien sur le fait que Victoria était la mieux placée pour savoir qu’en subir le non-respect pouvait être insupportable. Comme à son habitude, Tessa surjouait telle une comédienne de pièce dramatique, mais sa pique avait touché son amie directement en plein coeur.

« Je pense que si ils se voient ce soir, elle lui en parlera. »

Rajouta t-elle en haussant légèrement les épaules pour marquer son incertitude. Elle espérait que Tessa le ferait avant que Nadeem ne puisse plus s’empêcher de s’en mêler. C’était la meilleure chose à faire, car Victoria n’avait aucune envie que son couple ne soit enchevêtré à la dispute de celui de sa meilleure amie. Elle prit une profonde inspiration et pivota pour se retrouver face à son petit ami et venir se blottir contre lui. La chaleur de son coeur et l’effet rassurant de ses bras suffisaient à lui faire oublier sa petite pointe de tristesse. Ils étaient le meilleur remède à tout. Le petit regard adorable qu’il lui lança lui arracha un petit sourire, derrière ses traits encore crispés. Elle ne pouvait pas réagir autrement quand il la faisait fondre de la sorte.

« Comment tu réagirais toi, si je te cachais quelque chose comme ça ? »

Demanda t-elle d’une voix qu’elle tenta de contrôler pour donner l’impression qu’elle voulait vraiment ne savoir que ça. Sa réaction si il avait été Raj. En vérité, la supposition qu’elle évoquait n’en était pas une, mais un fait bien réel. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps, mais l’étudiant ne se doutait pas du passé sombre de la fille qu’il tenait entre ses bras. Bien qu’innocente et victime à la fois, elle ne pouvait que se sentir coupable de ne pas en parler et avait l’impression de dissimuler volontairement une partie d’elle-même qui la forçait à mentir sur plein de petites choses. Elle avait déjà commencé, en transformant le suicide de son père en un accident de voiture.

Le racisme des parents de Tessa ne créerait pas de conflit dans le couple. Victoria ne cessait de se le répéter pour se rassurer. Même si elle s’était prise la colère de son amie sur la tête, elle était heureuse de l’avoir prévenue et de la forcer en quelques sortes à aborder le sujet le plus tôt possible. Tessa était très entichée de Raj, même si son attitude naturellement détachée et désinvolte pouvait laisser penser le contraire. Le sourire de la jolie brune et l’intensité avec laquelle ses yeux brillaient lorsqu’elle entendait le prénom de son petit ami la trahissaient. Quant à Raj, c’était un garçon intelligent, de ce qu’avait pu voir Victoria, et elle ne doutait pas qu’il comprendrait que l’opinion de ses parents n’était certainement pas celle de sa petite amie. Et Tessa … Disons qu’elle avait compris depuis longtemps que ses géniteurs ne feraient pas parti de sa vie future, et que donc en toute logique, elle n’aurait pas à se préoccuper d’une éventuelle confrontation entre elle et son petit ami.

« On verra comment ça va se passer. »

Conclut Victoria avec un petit haussement d’épaules. En théorie, il était inutile de s’inquiéter pendant des heures et d’imaginer tous les scénarios possibles quant à la réaction de Raj. En pratique, la brune gardait son téléphone portable bien rangé dans la poche arrière de son jean et mis en vibreur pour être certaine de ne pas louper le moindre SMS de Tessa. Elle savait que même en colère, la brune finirait par lui envoyer un message. Ce dernier serait soit des remerciements pour l’avoir aidée/forcée à crever l’abcès au plus tôt, soit un message colérique lui reprochant qu’elle était la cause de la rupture du couple.

Indirectement, la question des secrets dans un couple fut amenée sur le tapis grâce à Tessa et Raj. En matière de secret familial, Victoria dépassait largement son amie. Il n’y avait pas tant de différence sur la façon dont Nadeem et Raj pouvaient réagir. L’un comme l’autre pouvait choisir de se montrer compréhensif et de soutenir sa petite amie, ou bien décider que c’était trop pour eux et stopper la relation. Parfois, Victoria trépignait d’envie de tout avouer à son petit ami, mais ignorait si il n’était pas trop tôt pour cela. Le couple se fréquentait depuis deux semaines, mais avait l’impression d’être ensemble parfois depuis des années. Cette sensation trompait le jugement de la brune et ne l’aidait pas à choisir.

La réponse de son petit ami lui arracha un petit sourire rassuré. Il ne se braquait pas directement en lui disant que non, si elle lui avait menti ou caché quelque chose elle dégagerait aussitôt. Il chercherait visiblement à en comprendre les raisons, avant de trancher définitivement sur la question.

« Je vois. »

Murmura la brune en pleine réflexion. Elle s’en voulu un peu d’avoir demandé une chose si compliquée et qui naturellement amenait à se poser beaucoup de question dès le début de leur soirée en amoureux. Elle le regarda avec tendresse et lui offrit un petit sourire qui se voulait rassurant. Non, elle ne lui cachait rien de grave sur leur relation actuelle. Nadeem n’était pas une couverture ou un amant pour elle. Elle avait juste un passé très compliqué.

« J’ai l’impression qu’à toi, je pourrais tout dire. »

Murmura t-elle timidement comme si c’était ça, son grand secret. Aux côtés de Nadeem, elle se sentait extrêmement en confiance et en sécurité. Prête à lui ouvrir son coeur en étant certaine qu’il ne jouerait pas avec ses sentiments. La crainte qu’elle avait de tout lui raconter était atténuée par ce sentiment puissant de bien être, et également par le fait qu’il ne serait pas le tout premier à qui elle se confierait. Tessa, Eden et Robin avaient été les premières personnes à qui elle avait osé avouer son passé. Elle y avait été forcée à l’instant où Tessa avait eu des doutes à propos du fameux accident de voiture de son père. La jolie brune aux yeux pénétrants n’avait pas été dupée par Victoria qui ne maîtrisait pas encore l’art du mensonge. Elle avait posé trop de questions auxquelles la jeune fille avait bredouillé des réponses incertaines, jusqu’au jour où son amie lui avait dit clairement ne pas la croire. Tessa était trop franche et directe pour garder pour elle ce qu’elle pensait, et avait préféré mettre Victoria au pied du mur plutôt que de lui faire croire qu’elle gobait ses mensonges.

La chose avait eu du bon. Même si elle avait eu extrêmement de mal, Victoria s’était sentie par la suite soulagée de ne plus porter seule son fardeau. Les réactions de ses amis avaient toutes été très différentes. Eden s’était mise à pleurer de compassion aussi bien pour les victimes et leurs familles que pour Rose et Victoria, en peinant pourtant difficilement à imaginer ce qu’elles avaient pu endurer. Robin était resté abasourdi un bon moment avant de répéter qu’on ne voyait que ça dans les films, quant à Tessa elle était restée silencieuse avant de venir serrer Victoria dans ses bras. Depuis ce jour-là, le petit groupe n’était plus jamais revenu sur le sujet et la brune n’avait pas eu besoin de leur préciser que la chose devait rester secrète. Chacun gardait la bouche cousue sur le sujet et savait quand oui on non, il pouvait être vaguement évoqué.

« Oh merci … »

Souffla la brune qui avait un instant oublié le sujet principal de leur discussion à force de se perdre dans ses pensées. Elle ignorait ce qui avait fait changé d’avis son petit ami, mais elle lui en était reconnaissante. Tessa le serait aussi, elle n’en doutait pas. Nadeem se montrait clément et lui accordait une chance de tout dire, avant de devoir le faire lui-même. En guise de remerciement, Victoria rapprocha son visage de celui de son petit ami pour l’embrasser avec tendresse. Ses lèvres lui avaient atrocement manqué durant leur séparation de cinq jours, et elle comptait bien les kidnapper aussi longtemps qu’il le lui permettrait ce soir. Quand elle parvint à décoller la bouche de la sienne, elle plongea son regard bleu dans le sien. Elle mourrait d’envie de tout déballer mais craignait en même temps de le faire. Il était à la fois trop tôt et trop tard, parce qu’elle avait déjà commencé à mentir.

« Je … Il y a un truc sur lequel je ne t’ai pas dit la vérité … »

Elle baissa les yeux, coupable. Il lui avait lui aussi menti une fois, mais uniquement sur ses études. Un sujet qui en comparaison à ce qu’elle s’apprêtait à lui dire, était beaucoup moins grave. La main droite de Victoria vint chercher celle de son petit ami, comme pour le supplier de ne pas partir en courant, alors qu’elle reprit, en tentant d’affronter son regard. Elle priait pour ne pas y voir la moindre onde de déception transpercer ses pupilles.

« Mon père n’est pas mort dans un accident de voiture. Il s’est suicidé. »

Cela corrigeait son mensonge, mais ne lui permettait pas de ressentir le même soulagement que lorsqu’elle avait confié son passé à ses amis. Néanmoins, elle considérait que rétablir la vérité là-dessus maintenant l’aiderait à partir sur de meilleures bases au moment où le sujet brûlant viendrait sur la table. Là, elle se sentait un peu plus en sécurité. Ce qu’elle disait était suffisant pour ne plus se sentir mal en mentant à son petit ami, mais était assez perturbant et délicat pour l’inciter à ne pas poser davantage de questions. Du moins, elle l’espérait. Elle n’avait pas envie de rendre leur seule soirée en amoureux pesante et morbide. Elle voulait déguster ces pâtes aux champignons et au fromage et se lover dans les bras de son petit ami pendant des heures. Quoique, elle aurait peut-être du y penser avant de lâcher une première bombe juste quelques minutes après avoir franchi le pas de la porte.

En quelques secondes, l’ambiance dans le petit studio de Raj avait changé du tout au tout. L’aura d’amour et la joie des retrouvailles avaient été remplacés par des nuages plus lourds et menaçants. Victoria appréciait chaque contact avec son petit ami, en craignant qu’il n’y en ait plus d’autres par la suite. Elle avait -pas forcément très habilement – glissé d’un sujet relativement léger à un autre beaucoup plus dur. Elle se questionna un instant, se demandant si le choix d’étude de Nadeem ne l’aiderait pas à appréhender plus facilement ce qu’elle risquait lui dévoiler. Il devait avoir étudié des cas pratiques, ou du moins elle le supposait, et avoir déjà été exposé à des horreurs plus souvent que les étudiants d’autres disciplines. Est-ce que cela la rassurait pour autant ? Pas vraiment.

« C’est vrai … »

Balbutia t-elle en préférant rester sur l’idée de ne dire que la vérité à son petit ami. Victoria ne pouvait pas nier que sa situation était dure. Elle grandissait avec un père dont l’absence lui faisait du mal, tout en étant consciente que si il était encore de ce monde, elle souffrirait davantage. Ses terreurs nocturnes s’étaient accentuées depuis, même si son déménagement à Londres et le début de sa nouvelle vie semblait apaiser petit à petit les choses. Et depuis deux semaines maintenant, sa vie devenait sincèrement beaucoup plus agréable.

La brune ne s’était jamais demandé si le suicide de son père pourrait être mal vu par son petit ami en raison de sa religion. Elle aurait pu, peut-être, si elle avait cherché à vraiment déterminer chaque chose pouvant le faire grimacer en apprenant la nouvelle, mais ce point là serait arrivé tout en bas de la liste. Ce qu’elle craignait surtout était la même chose que lorsque l’histoire avait été exposée à Birmingham dans les médias : voir le regard de Nadeem changer quand il la regarderait. Des amis les plus proches aux voisins qu’elles ne croisaient que quelques fois le matin dans la rue, tous à l’époque avaient commencé à regarder les deux femmes différemment. Elles n’avaient plus été deux entités séparées possédant chacune un cœur et une personnalité, mais avaient été résumées à un surnom abjecte.  

« Oh non, pas ça. »

Assura t-elle rapidement afin qu’il n’interprète pas mal ce qu’elle avait dit. Loin d’elle l’idée de vouloir offenser son petit ami, elle aurait même préféré le préserver encore un petit peu de la réalité. La jeune femme qu’il côtoyait et dont il s’amourachait chaque jour un peu plus n’était pas aussi innocente qu’il pouvait l’imaginer. Si les actes ne provenaient pas d’elle, elle restait tout de même la descendance d’un malade mental. Craindrait-il que les gênes dérangés de son père se soient transmis ? Voilà plutôt l’une des choses, qu’elle se demandait.

«Mon père n’était pas quelqu’un de bien. »

Encore maintenant, la petite fille en elle s’indignait à chaque fois qu’elle prononçait cette phrase. L’adolescente elle, commençait à accepter l’idée que le monstre de Birmingham et le père attentionné et aimant qu’elle avait connu durant son enfance était une seule et même personne.

Par réflexe, les mains de la brune vinrent se serrer autour du haut de son petit ami,  comme pour le supplier silencieusement de ne pas la repousser une fois qu’il saurait tout. Elle étant pourtant consciente que peu de personnes appréciaient être reliées directement à la fille d’un criminel ou d’un pervers, si l’histoire s’ébruitait un jour en dehors de la ville.

La brune poussa un soupir. Non loin d’elle, se trouvait une sauce au fromage et des pâtes n’attendant qu’à être dégustées, et au lieu de ça, elle embarquait son couple dans des révélations difficiles et une ambiance sombre qui terniraient peut-être la soirée entière. La seule qu’ils pouvaient avoir tous les deux sans que personne ne vienne les interrompre.

« Je suis désolée de gâcher la soirée comme ça. »

Elle se mordit la lèvre inférieure, en se sentant soudainement très coupable. Nadeem n’avait pas mérité ça, lui qui avait tout fait pour leur organiser une soirée en amoureux. Les occasions comme celles-ci étaient quasi-inexistantes, et Victoria s’en voulait d’en ruiner une de la sorte. Elle aurait pu profiter de leur première soirée à deux, et décider de parler une autre fois, mais après leur discussion à propos de Tessa et Raj, cela ne lui avait pas semblé être la chose juste à faire.

« Mais à toi je peux tout dire hein ? »

Elle lui avait affirmé plus tôt qu’elle était certaine de pouvoir le faire, parce que c’était ce qu’elle ressentait à chaque fois que ses yeux bleus croisaient les siens. Ça, et la douce sensation d’avoir trouvé sa place, d’être chez elle, dans ses bras. C’était tout ça, qu’elle craignait de voir disparaître une fois son aveu fait. Ses blessures les plus profondes étaient loin d’être guéries et ne le seraient peut-être jamais, mais perdre Nadeem en serait une nouvelle qu’elle ne serait pas certaine de pouvoir soigner, malgré le peu de temps qu’ils se connaissaient.

« Ou sinon … On peut manger les pâtes … »

Souffla-t-elle en étant parfaitement consciente que cette proposition était très étrange. Elle laissait néanmoins à Nadeem une porte de sortie, si jamais ce dernier ne se sentait pas prêt. La brune restait consciente que l’attachement rapide et puissant qu’elle éprouvait envers son petit ami pouvait ne pas forcément être partagé, et que ce dernier n’avait peut-être pas envie de s’engager plus que ce qu’il ne l’était dans leur relation. Elle imagina la réaction de Tessa, si elle avait demandé son avis à cette dernière. Sans doute lui aurait-elle demandé si elle avait envie de faire fuir Nadeem, avant de lui affirmer que dans ce cas-là, elle n’avait qu’à continuer sur sa lancée. Deux semaines, ce n’était pas beaucoup pour le commun des mortels, mais pour Victoria, ces quinze jours lui avaient donné l’impression de connaître Nadeem depuis des années. Là où certains couples ne connaissaient même pas encore la couleur préférée de l’un ou le style de musique de l’autre, la brune elle, se sentait le courage d’exposer ses plus noirs secrets. Elle espérait simplement ne pas dégringoler brusquement de son nuage.  

Victoria se sentait au bord du précipice, mais totalement prête à sauter. Nadeem était le parachute dont elle avait besoin. Son instinct lui dictait de se lancer et de tout lui dire, qu’il saurait réagir à sa manière, mais d’une façon qui saurait la rassurer elle aussi. Elle ne redoutait pas vraiment qu’il la mette immédiatement à la porte, mais craignait plus le contre-coup après quelques jours. Aurait-il envie d’être avec elle, en sachant que l’histoire pourrait très bien s’ébruiter un jour ?  

Les débuts hésitants de la brune n’aidaient pas vraiment son petit ami à imaginer ce que pourrait être la suite de l’histoire. Elle précisait que son père n’était pas un homme bien, sans pouvoir l’aider à entrevoir à quel point, il pouvait être mauvais. Nadeem pouvait imaginer un homme infidèle, ou même violent avec sa femme, qui aurait fini par être condamné par la justice. Il était dans tous les cas, bien loin de la vérité.  

Ainsi, la réaction du jeune homme laissa Victoria un instant silencieuse. Comme il ne pouvait pas imaginer la vérité, il considérait qu’avoir un père alcoolique ou violent n’était pas quelque chose de grave, pouvant le faire fuir. La brune releva ses yeux bleus vers ceux de son petit ami, en tentant de lui offrir un petit sourire, sans grand succès. Sa réponse ne la rassurait pas, elle ne faisait que montrer son incapacité à s’exprimer clairement.  

“Je t’assure que si …"

Murmura-t-elle timidement, sans vouloir donner la sensation à son petit ami d’être totalement à côté de la plaque, même si c’était un peu le cas, par sa faute. Les actes de son père n’avaient rien à voir avec ceux d’un mari violent et alcoolique, et les traumatismes qu’il avait provoqués ne se limitaient pas à ceux de Rose et de Victoria. Il y avait dans une même ville, une dizaine de familles brisées par les crimes d’un seul et même homme. Des dizaines de jeunes filles dont l’innocence avait été volée, et dont les relations avec les hommes seraient altérées à vie. Zachary Blake avait fait des dégâts irréversibles.  

La brune se demanda si elle devait enchaîner directement sur les horreurs commises par son père ou bien laisser un temps à son petit ami pour se préparer mentalement à ce qu’il allait entendre. Son hésitation permis à Nadeem de la rassurer sur un point : elle ne gâchait pas la soirée, même si un dîner en amoureux à discuter de sujets beaucoup plus légers que celui-là aurait été bien plus appréciable. Enfin, un mince sourire apparut sur ses lèvres quand elle entendit Nadeem lui affirmer qu’elle pouvait tout lui dire. Une bouffée de chaleur rassurante entoura le cœur de la brune, ragaillardie par ces mots.

Encouragée par les paroles du brun, elle se sentit prête à ouvrir la bouche pour de bon et tout lui raconter. Elle en oublia même un instant la porte de sortie offerte au brun, avant que la réponse de ce dernier ne la lui rappela violemment. Elle fronça durant une fraction de seconde les sourcils, d’une manière presque imperceptible. Elle qui s’était attendue à l’entendre lui répondre que le dîner pouvait attendre et que ce qu’elle avait à dire était plus important, fut un instant déstabilisée. Elle observa avec un visage neutre son petit ami s’éloigner pour s’intéresser aux plaques de cuisson. Un instant, elle supposa que Nadeem allait tout simplement lui proposer de finir de cuisiner et d’ensuite parler calmement une fois qu’ils seraient assis, mais non. Au contraire, il changea de sujet pour parler des goûts alimentaires de la brune, qui eut du mal à faire un virage à 180 degrés pour passer de son passé à la sauce aux fromages brûlée dans la casserole.

“Oh bah... on verra.”  

La réponse était nulle, mais Victoria ne trouva rien de mieux. Elle tentait de ravaler les confessions sur son passé qui avaient été sur le point de sortir, en voyant que Nadeem avait pris au premier degré sa proposition de ne plus en parler. Intérieurement, Victoria conclut qu’elle était vraiment nulle lorsqu’il s’agissait de communiquer. Elle pensait que sa panique et sa crainte à l’idée de perdre son petit ami une fois sa révélation faite suffiraient à lui faire comprendre qu’elle avait réellement quelque chose de grave à lui avouer. Au lieu de ça, le couple se retrouvait à parler de pâtes. Pire que ça, Nadeem semblait maintenant désormais inquiet quant à leur relation. Il semblait confut et complètement perdu et au final cela réflétait parfaitement ce que Victoria ressentait elle aussi.  

“Bien sûr que ça va entre nous !”

Assura-t-elle-même si elle aurait voulu qu’il soit encore tout contre elle, et non pas en face des plaques de cuisson et le plat de pâtes. La brune n’avait même plus faim. Son estomact s’était trop contorsioné dans tous les sens de stress pour pouuvoir penser à la faim.  

“Je voulais pas vraiment parler des pâtes tu sais...”

Elle ne voulait pas le faire sentir complètement débile. Après tout, c’était elle qui avait proposé d’en parler, en espérant que son petit ami ne prendrait pas vraiment cela pour un réel besoin pour elle de manger. La situation devenait embarassante, et les changements d’humeur de la brune devaient être perturbant pour Nadeem. Elle fit quelques pas vers lui pour poser sa main sur celle du brun, et l’inciter à laisser tomber la cuisine pour le moment.  

“Nad’ je veux vraiment te parler de mon père, et de ce qu’il a fait. C’est pas ce que tu imagines.”  

Victoria n’avait pas de mal à imaginer l’idée que pouvait s’être fait son petit ami de son père. Il était bien loin du compte et la brune sentait qu’elle devait le lui faire comprendre pour qu’il se rende compte de l’importance qu’avait ce qu’elle avait à lui confier. Elle rajouta quelques mots, afin de l’aiguiller.

“Si il avait été alcoolique ou violent, j’aurai préféré.”

Elle et Rose auraient été les seules victimes. Ce n’était pas l’idéal, mais c’était mieux que la réalité. Deux victimes collatérales des actes de Zachary Blake étaient préférables à une bonne trentaine.  Victoria s’arrêta là, et redevint silencieuse en attendant que son petit ami ne se reoturne vers elle. Son air grave et déterminé ne l’induirait pas en erreur cette fois-ci.  

Ce n’était pas de la déception que ressentait Victoria vis-à-vis de la réaction de son petit ami, mais plutôt de la surprise. Elle ne s’était pas attendu à le voir si peu emballé à l’idée de l’écouter lui parler de son secret, ou plutôt, de celui de sa famille. Ce n’était pourtant pas dans le caractère de Nadeem de la délaisser ou de ne pas l’écouter. Il pouvait au contraire passer des heures à l’entendre parler sans jamais l’interrompre, et il en était de même pour elle. L’attitude de son petit ami la faisait s’interroger. Elle se demandait pourquoi soudainement, ce dernier semblait plus réticent. Elle n’arrivait pas à mettre ça sur le compte d’une relation naissante qui ne les engageait pas encore à être présent l’un pour l’autre comme le serait un couple plus âgé et solide. Depuis le peu de temps qu’ils étaient ensemble, Nadeem et elle avaient la sensation de se connaître depuis dix ans.

Il revint vers elle, acceptant de délaisser enfin les casseroles pour lui accorder l’attention qu’elle cherchait, mais ne la toucha pas. Cette distance imposée la frustrait autant qu’elle l’inquiétait. Ce n’était pas dans leurs habitudes de ne pas être collé l’un à l’autre. En tant que jeune couple en phase de lune de miel qui n’avait pas l’occasion de se voir autant qu’ils le souhaiteraient, les amoureux ne perdaient jamais une occasion d’être fourrés l’un contre l’autre. La brune l’observa s’installer sur le lit, sans bouger de suite. Ses yeux bleus remarquèrent que les doigts de son petit ami jouaient nerveusement, comme si c’était lui qui était sur le point de lui faire une grande révélation.

«  Ça devrait aller. »

Répondit-elle d’une voix presque rassurée. Elle avait déjà eu l’occasion de se retrouver à raconter son histoire face à ses amis. La première fois était toujours la plus dure. Celle-ci devrait donc être plus facile, même si elle craignait tout de même que son petit ami ne la regarde plus de la même manière. C’était une chose de sortir avec une jolie lycéenne, s’en était une autre de sortir avec la fille d’un criminel sexuel.

«  Oh je … D’accord ! »

Son petit ami n’avait pas été des plus précis, mais Victoria semblait comprendre mieux son comportement étrange des dernières minutes. Cela gommait de sa tête l’idée que le souci pouvait être leur couple, ou plutôt d’une surestimation de leur relation. La brune retint l’avertissement, qu’elle cala dans un coin de sa tête.

«  Ce n’est pas quelque chose que je raconte généralement, mais disons que ce ne serait pas juste de ne pas te le dire … Je crois ? »

Elle n’en était pas véritablement certaine en fait. Nadeem vivrait sans doute mieux ou alors exactement de la même manière en ne sachant pas qui était le père de sa petite amie. Elle se disait cependant qu’il était plus correct de ne rien lui cacher, et que comme tout finissait toujours par se savoir dans la vie, il était préférable que cette information là vienne d’elle. C’était un peu comme Tessa et Raj. Ce dernier méritait d’apprendre la vérité par la bouche de sa petite amie et non pas par celle de son meilleur ami.

Nadeem était visiblement nerveux et cet état d’esprit s’était transmis à sa petite amie, même si ils ne l’étaient pas pour les mêmes raisons. À son tour, Victoria prit place sur le lit, et passa une main derrière ses oreilles pour replacer ses cheveux. Ses yeux se rivèrent vers le sol, parce il était plus facile pour elle de parler en le regardant plutôt qu’en affrontant le regard de son petit ami. Elle n'était pas rassurée à l’idée de croiser de l’horreur ou du dégoût dans ses pupilles une fois qu’elle aurait parlé. Comme il n’y avait pas d’introduction idéale à son histoire, la brune prit une profonde inspiration, vida l’air de ses poumons avant de commencer par une précision.

«  Je t’ai dis que mon père s’est suicidé. C’est vrai, il s’est suicidé en prison, peu après son arrestation. »

Personne n’avait jamais su si Zachary Blake avait mis fin à ses jours de manière prématurée par culpabilité, ou parce qu’il avait été attrapé et qu’il savait qu’il ne ressortirait probablement jamais. L’homme n’avait jamais clairement exprimé le moindre remords quant à ses actes.
Comme pour gagner un peu de temps, Victoria se racla la gorge. Elle mourrait d’envie de venir se blottir contre son petit ami pour sentir son parfum et sa présence chaude et rassurante contre elle. Ce dernier maintenant pourtant une certaine distance entre elle, qu’elle n’eut pas le courage de briser.

«  Il y a deux ans, un matin, la police a débarqué chez nous pour l’arrêter. Ma mère et moi avons été réveillées et on ne comprenait rien. C’est la dernière fois que je l’ai vu. »

La brune marqua un moment de pause. Même si ce n’était pas la première fois, les mots peinaient à glisser hors de ses lèvres et de sa gorge nouée. Ses yeux restèrent rivés au sol, humides. À défaut de pouvoir serrer la main de son petit ami, elle ferma fortement ses poings.

«  Il s’est avéré que mon père avait violé une dizaine de jeunes filles d’environs mon âge. Peu de temps après son arrestation, il s’est suicidé. L’histoire a fait les gros titres et ma mère et moi avons été harcelées, que ce soit par la presse, ou par les habitants. Certains pensaient que nous savions tout, d’autres ont même dit que nous l’avions aidé. »

Nouveau temps de pause durant lequel la brune serra davantage ses poings fermés. Elle avait détesté chaque personne pouvant penser que sa mère ait pu avoir un quelconque rapport avec les crimes de son mari. Quiconque connaissant Rose savait que c’était totalement impossible.

«  Nous étions constamment suivies, photographiées, harcelées, alors nous avons décidé de changer totalement de vie. Jusqu’à modifier nos noms de famille pour être certaines d’avoir la paix. Mon véritable nom est Blake, pas Morgan. »

Elle se retint fortement de relever les yeux en direction de l’étudiant face à elle, pour voir quelle était sa réaction. D’une main tremblante, elle vint essuyer une larme qui coula le long de sa joue. La brune voulait se montrer forte, même si ressasser ces souvenirs était particulièrement difficile pour elle.

«  C’est pour ça que je déteste être prise en photo. »

Rajouta t-elle avec une grimace pour conclure son récit. Il n’y avait plus rien à dire. Elle aurait pu longuement expliquer le choc que cela avait été pour elle de voir la police débarquer un petit matin alors que tout allait très bien dans sa vie, lui dire que la dernière image qu’elle avait de son père datait de son arrestation et que cela était un traumatisme, mais elle ne voulait pas s’étendre davantage, au risque de partir dans une crise de larmes incontrôlées. Elle se contenta donc d’une conclusion un peu médiocre, avant de laisser le silence reprendre sa place pour permettre à son petit ami de digérer les informations qu’il venait d’entendre.