Mia Diaz

C'est à deux que Luz et Mia sont venus au monde et c'est à deux qu'ils ont décidé de l'affronter. En réalité, cela n'a jamais été une décision à proprement parler, c'était ainsi qu'ils fonctionnaient, qu'ils fonctionnent encore. Une âme divisée dans deux corps bien distincts et qui se comprend elle-même sans avoir besoin d'un seul mot. Ce n'est que lorsque Mia retrouve Luz qu'elle se sent complète parce qu'elle est un peu de lui et qu'il est un peu d'elle aussi. Inséparables, fusionnels, parfois un peu trop au goût des autres qui peinent à percer leur bulle. La jeune femme a grandit avec la sensation de n'avoir besoin que de son frère pour survivre, laissant sur le côté sans le vouloir leur petite sœur qu'elle a pourtant toujours aimé. Seulement, comment faire autrement ? Mia ne sait pas, elle n'a jamais su et son enfance ne l'a pas aidée à se construire une identité propre, à devenir quelqu'un plutôt que rester cette moitié incomplète lorsqu'il n'est pas là. Parfois cela lui semble même douloureux, comme si leur âme agonisait d'être fragmentée de la sorte.

Ce n'est pas donné à tout le monde de grandir en sachant que quelqu'un sera toujours là et comprendra la moindre douleur et la plus petite euphorie, quelqu'un qui ne jugera pas et partagera chaque émotion avec la même intensité. Pourtant, pour Mia, tout cela semblait si naturel que cela ne pouvait être autrement à ses yeux, qu'elle ne mesurait pas la chance qu'elle avait. La même dont elle privait sa sœur involontairement en accaparant l'attention de Luz avec ses propres problèmes, en se souciant surtout de son bien-être à lui car c'était ce qui lui sautait immédiatement aux yeux. C'était ensemble qu'ils faisaient face aux disputes de leurs parents à peine étouffées par la distance entre les chambres et la cuisine. Mia toujours connu les réactions de son frère par cœur et su les anticiper, elle a toujours su reconnaître ces petites choses qui trahissaient ses peines. C'était plus compliqué avec sa petite sœur, beaucoup moins évident puisque toujours gardée à l'écart non pas par méchanceté mais parce qu'ils avaient leur monde à eux et qu'en grandissant, il fallait l'en préserver.

[TW : harcèlement, dysmorphophobie]
Trois ans, ce n'est pas une grande différence à l'âge adulte, une fois qu'un certain stade est passé mais pendant l'enfance et l'adolescence, trois ans, c'est beaucoup. Zoe était trop petite pour être impliquée dans les histoires qui les blessaient tous les deux. Trop petite pour être mise au courant des moqueries que subissaient sa sœur au sujet de sa dentition et de son physique en général. Trop petite pour qu'elle sache à quel point cela l'affectait surtout lorsque leurs parents ne semblaient pas comprendre le problème. Mia trop sensible qui prenait toujours tout trop à cœur, qui devait apprendre à ignorer le regard des autres et surtout apprendre à contrôler sa frustration lorsqu'elle entendait ces phrases. Il ne fallut pas longtemps pour que la vision des autres devienne la sienne, pour que son image se déforme et qu'elle la déteste. Qu'elle se déteste pour ce qu'elle était, pour qui elle était pour ces émotions sur lesquelles elle n'avait absolument aucun contrôle et qui parfois la menaient au bureau du proviseur lorsqu'elle entendait des remarques sur sa petite sœur. Elle n'aimait pas ce qu'elle devenait lorsqu'elle était en colère ni sa façon de pleurer qui la décrédibilisait dans ces moments-là mais elle ne supportait pas ce qu'elle pouvait entendre sur Zoe.

[TW : anorexie, vomi]
Ce fut après qu'elle se soit mise à se faire vomir après chaque repas que Mia commença à paraître plus apaisée. À chaque fois, l'adolescente avait l'impression de se sentir libérée d'un poids accompagnée d'une sensation de fierté et de bonheur. C'était comme s'exorciser de sa peine, de son stress et se rapprocher d'un idéal qui lui semblait encore bien lointain. Mia devint de plus en plus sérieuse et studieuse, plus calme et plus organisée. Le moindre plis sur un vêtement la poussait à le repasser à nouveau alors elle commença à se lever plus tôt pour préparer impeccablement ses tenues, s'assurer que ses cheveux étaient bien lisses et que ses défauts étaient couverts autant qu'ils pouvaient l'être, jusqu'à ses propres tâches de rousseur. Mia ne souriait plus comme avant, ne riait plus comme avant,  elle tentait d'être en permanence dans le contrôle du moindre de ses gestes pour ne pas trop en montrer. En cours, elle apportait toujours avec elle sa brosse à dents et son dentifrice pour avoir l'air de rien lorsqu'elle revenait des toilettes, s'assurant toujours d'aller dans ceux à l'étage, qui n'étaient jamais visités, ou presque. Cela avait commencé occasionnellement avec seulement les repas de midi, puis, de plus en plus fréquemment jusqu'à ce que ce soit systématique. On la surprit une ou deux fois avant que la rumeur ne se répande et prenne de l'ampleur mais cela ne l'empêcha pas de continuer, cela rendait simplement la tâche moins aisée.

La disparition de Zoe en 2013 ne la fit que culpabiliser davantage. Mia s'en voulut de ne pas avoir remarqué les signes avant-coureurs, de ne pas avoir veillé sur elle, été plus attentive à ses expressions et ce qu'elle pouvait ressentir. Elle n'avait pas suffisamment bien joué le rôle de grande sœur : elle aurait dû être à l'écoute, avoir de réelles discussions avec elle et l'accueillir lorsque le ton montait trop au bout du couloir. Mais au lieu de cela, elle s'était réfugiée dans cette bulle indestructible, avait gardé un œil lointain sur elle mais cela n'avait pas été suffisant, cela n'aurait jamais été suffisant. Ce constat et ces "et si" qui tournaient dans son esprit la rendaient malade et cela aggrava sa situation.

[TW : anorexie, vomi]
Mia se mit à courir aux toilettes dès son arrivée au lycée, systématiquement mais cela devenait de plus en plus insuffisant. Son reflet ne changeait pas en mieux au contraire, il empirait. Elle ne supportait plus ce corps dans lequel elle était coincée, se sentait oppressée. Les repas du soir étaient une véritable torture entre la nourriture qui lui retournait l'estomac mais qu'elle se devait de garder, l'absence de Zoe et cette tension entre leurs parents, grandissante de jour en jour, de verre en verre pour leur mère et de coup de téléphone en coup de téléphone pour leur père. Les verres se faisaient de plus en plus nombreux chaque jour et les appels de plus en plus rare, l'ambiance restait lourde et douloureuse mais les repas continuaient de se faire, "en famille".

Elle osa, un jour se libérer de ce poids chez eux et cela ouvrit la porte à des vomissements systématiques à chaque prise de nourriture. Seulement, Mia maigrissait à vue d'œil et leurs parents la surprirent à leur tour. Sans réellement chercher à comprendre les raisons, trop préoccupés mais aussi trop effrayés de perdre un second enfant, ils la culpabilisèrent en essayant de la faire réfléchir. Mia mangea alors de moins en moins jusqu'à sauter les repas malgré les tentatives de leurs parents pour la forcer à manger.

Ils la poussèrent à aller voir un médecin ainsi qu'un psychologue mais, dans un premier temps, elle refusa catégoriquement d'honorer ses rendez-vous avant de leur mentir pour qu'ils la laissent tranquille, leur assurant qu'elle reconduisant ces enter-vues alors qu'il n'en était rien. Encore une fois, ce fut grâce à Luz, pour lui, qu'elle consentit enfin à faire quelques pas en avant. Mia ne pouvait se résoudre à le voir souffrir davantage à cause d'elle. Son frère l'aida autant qu'il le put en lui écrivant des mots d'encouragement, lui disant qu'il était fier d'elle et de ses progrès, l'accompagnant parfois chez le médecin et prenant même sa défense lorsque leurs parents se montraient un peu trop autoritaires.

Mia remonta la pente, doucement, s'appuyant sur son jumeau qui ne lui avait jamais tourné le dos. La progression ne fut pas linéaire, il y eut des rechutes, parfois car ces habitudes déguisées en besoin étaient trop difficile à perdre surtout lorsque leur famille finissait de voler en éclat. La volonté de leur père de réaliser une sépulture pour Zoe signa le divorce.

Leur père en avait désespérément eu besoin et ce fut pour cela que Mia y assista, contrairement à leur mère, malgré la douleur qui lui lacérait le cœur. C'était étrange d'enterrer leur sœur sans que son corps n'ait jamais été retrouvé : voir le cercueil vide s'enfoncer dans le trou ne l'apaisa en rien pire, elle trouvait cela injuste. Puis, quelques mois plus tard, il partit de l'autre côté de l'Atlantique laissant les jumeaux désormais seuls avec leur mère qui, à raison, refusait d'abandonner les recherches tout en se noyant définitivement dans l'alcool.

En 2015, leur garde passa de leur mère à leur père et Luz et Mia quittèrent les Etats-Unis pour atterrir à Edimbourg. Ce nouveau changement perturba grandement la jeune femme qui après avoir souffert de la séparation avec leur paternel, vivait désormais la même chose vis à vis de leur mère. La jeune femme prit alors l'habitude de la contacter quotidiennement par message et de l'appeler au moins une fois par semaine, culpabilisant de la laisser seule, craignant qu'il ne lui arrive quelque chose à cause de son alcoolisme.

À la rentrée, ils entrèrent à l'université et Mia débuta en cursus en géologie. Studieuse, elle n'eut aucune peine à passer d'une année sur l'autre avec d'excellents résultats, ravissant autant leur père que leur mère restée sur le sol américain. Edimbourg était signe de renouveau, loin de la peine et du fantôme de leur sœur qui arpentait encore les couloirs de la maison familiale. Pourtant, il semblait à Mia que Zoe continuait de la hanter par delà l'océan. Il était hors de question que ses souvenirs s'effacent mais elle aurait préféré voir sa douleur s'amenuiser au fil du temps et des kilomètres. Il n'en était rien.

Ce fut au cours de ses études qu'elle rencontra Fergus, un homme plus âgé qu'elle de quelques années. Ce n'était pas le coup de foudre mais il avait le mérite d'avoir su l'atteindre, se frayer un chemin jusqu'à elle malgré toutes ses barrières. Il avait su la mettre à l'aise en sa présence en la couvrant de mots, de petites et grosses intensions, la complimentant et la rassurant en permanence. Même si Luz restait la priorité de sa sœur, Fergus avait réussi tant bien que mal à se trouver une place entre les jumeaux. Suite à l'obtention de son master, Mia fut immédiatement embauchée dans le bureau d'études où elle avait réalisé ses derniers stages. Le salaire qui tombait tous les mois lui permit, après un an, d'acheter un appartement pour son Luz et elle afin qu'ils puissent prendre leur indépendance vis à vis de leur père.

[TW : Masculinité toxique]
Tout semblait prendre une tournure plus douce et agréable mais l'entreprise de Fergus commença à perdre de l'argent et, en juillet 2022, il perdit son emploi. Depuis, son petit-ami se montre de plus en plus nerveux et agressif, reprochant à Mia le temps passé avec son frère et au travail et donc son manque disponibilité. Lorsqu'ils sortent, elle s'arrange pour couvrir les dépenses et, même si cela arrange l'homme, il tolère de moins en moins cette situation. La jeune femme, amoureuse, tolère en mettant cela sur le compte de l'angoisse de ne pas réussir à retrouver un emploi mais cette situation la pèse de plus en plus et l'use progressivement.