Grace hocha la tête en entendant les paroles de Bear. De toute façon, elle n'était pas du genre à chercher l'amour. Et elle était persuadée que l'amour n'était pas non plus du genre à vouloir la trouver. Elle faisait partie de ces anonymes pour qui la vie n'avait rien à apporter de particulier, de ces gens envers qui considérer de l'attention serait une perte de temps. Ce n'était pas parce qu'elle redoutait quoi que ce soit. Elle pensait seulement qu'elle n'y avait pas droit. On lui avait souvent reproché de le croire, mais elle savait qu'elle était quelqu'un de quelconque. Elle se demanda cependant ce qu'elle ferait si quelqu'un venait à lui dire qu'il avait des sentiments pour elle. Pendant un instant, elle rêva.

« Je ne le cherche pas », finit-elle par dire quand même, « mais ce n'est pas spécialement que je pense qu'il va arriver plus vite comme cela. Je doute que ce genre de choses soit jamais pour moi. Cela dit, je n'ai rien contre les surprises. »

En attendant, il faisait déjà plus pour les orphelins que la majorité des gens n'en feraient jamais. Durant le peu de temps que Grace avait passé dans cet endroit, elle ne se souvenait pas de ce genre d'événement. Elle était évidemment trop âgée pour avoir pu être là à un moment où il y était aussi, mais sans parler de ça, elle avait conscience du bien que cela faisait en tant qu’orpheline de se dire que quelqu'un avait pensé à vous et vous avait organisé quelque-chose, même si ce n'était pas pour vous seul. Et les orphelins n'étaient jamais considérés. Et ils avaient besoin de ressentir cette considération comme tout le monde pouvait en avoir besoin.

« Ce serait encore avec plus de plaisir. Je suis passé par là, tu sais. Je sais combien ce que tu leur apportes doit leur paraître inattendu et miraculeux. Tu peux être fier de ce que tu accomplis pour eux, en toute sincérité. »

Grace n'avait jamais rêvé des balles de la haute société. Comme toutes les petites filles, elle s'était imaginée un jour être une princesse riche au bras de son prince charmant chevaleresque et puissant. Mais aucun prince charmant ne faisait partie d'un de ses groupes au regard hautain et à l'air faussement compatissant de ceux qu'elle avait un jour croisés parce qu'elle était une orpheline et qu'il fallait être gentil avec ces pauvres enfants, des personnes qui s'étaient comportés avec elle comme avec un animal que l'on s'offrait comme un cadeau ou un luxe. Elle n'avait pas aimé se voir considérée comme ça.

« Oui je comprends », répondit-elle simplement à la remarque de son interlocuteur. « Je n'aurais pas aimé non plus que quelqu’un décide de mon destin selon de tels principes. Mais je suis sûre que tu es beaucoup trop exigeant avec toi-même. Je ne crois pas que cela soit désagréable de danser avec quelqu'un comme toi, même si tu es plus grand. »

Il lui proposa alors de l'emmener danser à l'occasion et elle se mit à rougir. L'idée pouvait être aussi plaisante qu'elle l'était, ça ne changeait pas le fait qu'elle ne se sentait pas à la hauteur pour un tel exercice. Il avait l'habitude de danser avec des ladies et des jeunes filles qui avaient sûrement été entraînées à ça toute leur vie. Il n'avait pas besoin d'une fille gauche et empotée pour passer une agréable soirée dans un événement de cet ordre. Et puis, elle n'avait certainement pas la classe des autres filles qu’il avait rencontré dans sa vie et il serait sûrement déçu en la fréquentant plus longuement dans un contexte comme celui auquel il était habitué depuis son enfance.

« Je n'ai jamais appris à danser, tu sais. Je ne serai certainement pas le genre de partenaire que tu pourrais montrer avec fierté. Je serais très flattée que tu m'invites, mais j'ai peur que l'on se moque de toi à cause de moi. »