Tu aurais souhaité que les événements se déroulent autrement. Il aurait été préférable que votre mère ne s’en mêle pas, que Dafydd et toi ayez l’occasion de vous revoir à votre rythme. Votre relation avait toujours été ponctuée par les interventions maternelles. Même à des milliers de kilomètres, elle continuait d’exercer son influence, surtout lorsque ça regardait son petit dernier. Elle perdait toute logique quand Dave était concerné. Il avait été le sujet de vos appels, elle prenait à peine de tes nouvelles. La seule chose qu’elle souhaitait savoir c’était si tu avais contacté ton jeune frère. Tu ne ressentais aucune jalousie, tu avais accepté depuis longtemps de n’être qu’une arrière-pensée pour tes parents. Tu étais l’invisible de ta fratrie, tes réussites académiques ne suffisaient pas à te faire remarquer. Seul le silence récompensait tes efforts. Tu étais le fils raisonnable, celui sur qui tes parents pouvaient compter. Le temps t’avait appris à te détacher du sentiment de retempsjet qui avait habité ton enfance. Il arrivait que l’amertume pointe le bout de son nez durant tes téléphones avec ta mère. Celle-ci s’intéressait à peine à ce que tu devenais, son unique sujet de conversation était ton jeune frère.

Ta proximité n’avait rien changé… Tu avais tant cherché les louanges parentales. Combien de fois tes espoirs avaient été déçus? Tu ne les comptais plus. Tous tes efforts et tes sacrifices n’avaient rien changé. Tes motivations à déménager à Édimbourg n’étaient pas exclusivement altruistes. L'appel téléphonique étrange de ton frère avait été le coup de pouce dont tu avais besoin pour reprendre ta vie en main. Certes, tu étais sincère dans ta volonté d’aider ton jeune frère, sauf que c’était loin d’être ta seule raison. Au contraire, tu avais atteint ton quota, tu n’en pouvais plus de t’oublier pour des gens qui ne te voyaient pas vraiment. Pourquoi t’obstiner à faire mille et un sacrifices? Tes rêves reportés n’étaient pas étrangers à ta décision. Ta vie avait été trop longtemps mise sur pause.

Cependant, la distance ne suffisait pas pour échapper à l’ingérence de ta mère. Impatiente que vous soyez réunis, ton frère et toi, elle s’était empressée d’annoncer la bonne nouvelle à Dafydd… Tu peinais à contenir ton agacement. Tu aurais préféré qu’elle voulait aller à votre rythme. Tes rapports avec ton cadet n’étaient pas les plus chaleureux, mais tu ne le détestais pas pour autant. Ton aîné ne partageait pas ta clémence, lui ne manquait pas de mettre tous vos problèmes familiaux sur sa faute. Ta perspective était plus nuancée que celle de Siarl, ce dernier avait hérité des préjugés de votre père. Seulement, le silence et les secrets gangrenaient ta relation avec ton jeune frère. Tu ne savais comment t’y prendre pour guérir ces blessures qui la nécrosaient. Comment allais-tu escalader ce mur invisible qui se dressait entre vous? Tu ne calculais plus le nombre de messages texte que tu avais composés, puis supprimés. Chacun te paraissait plus inadéquat les uns que les autres. Ton déménagement, tes démarches avec l’immigration et ton nouveau poste avaient été des excuses pratiques pour retarder vos inévitables retrouvailles.

Enfin, ça, c’était sans compter votre mère qui semblait s’être empressée de lui annoncer la bonne nouvelle. C’est ce que te laissait supposer la présence devant ton bureau. Visiblement tu n’étais pas le seul à subir les pressions maternelles. La silhouette de ton petit frère se détachait de la foule, à vrai dire il ne cadrait pas vraiment avec l’image des employés de bureau qui déferlaient sur Queen street. Tu étais sincèrement content de revoir Dafydd apparemment en bonne santé, même si ça ne se passait pas tout à fait comme tu l’avais escompté. De ta démarche claudicante, tu t’empressas de le rejoindre. Aucune chaleur n’émane de ton frère à ton approche, ton coeur se serre devant l’évident dédain de ton cadet. Tu aurais tant souhaité que cela se déroule autrement… Les regrets parsemaient ton existence, toujours prêts à effleurer ta conscience. La froideur de Dave ne faisait qu'accentuer leur emprise sur ton esprit. Comment en étiez-vous arrivé là? Tu ne pus retenir le sentiment de rejet qui refit surface. Ta tendre compagne enfantine refaisait surface, la constante impression que ta famille ne pourrait jamais t’accepter tel que tu es n’en était que renforcer. Tes parents ne te voyaient pas, ton petit frère ne voulait rien savoir de toi. Quant à Siarl, si vous vous entendiez bien, tu savais que si tu enlevais ton masque tu deviendrais une source de mépris pour lui. La porte de cette cage invisible se refermait devant toi.

La voix de ton frère te tira de tes sombres pensées. Il ne fit que confirmer ton ressenti, il était présent seulement à l’insistance de votre mère. Tes sourcils se froncèrent lorsqu’il suggéra que tu prétendes que vous vous étiez, comme si tu ne souhaitais pas le voir plus que nécessaire. D’un autre côté, il n’avait aucune raison de croire le contraire, ton père et ton aîné n’avaient eu de cesse que de faire sentir que ton petit frère que sa présence était indésirable. Par ton silence, ta lâcheté tu ne l’avais pas détrompé. Après tout, tel que le voulait l’adage : Qui ne dit mot consent. Il ne pouvait être plus loin de la vérité et pourtant c’est la conclusion que ton frère semblait avoir tiré. Certes, il avait causé son lot d’ennuis et d’inquiétude à ta famille, mais il n’était pas responsable de tous leurs problèmes. Il n’avait pas demandé à naître d’une liaison de votre mère. Visiblement, tout était à reconstruire entre vous. Un sourire crispé étira tes lèvres lorsque ton frère évoqua la possibilité que votre mère fasse le voyage jusqu’en Écosse, Siarl dans son sillage. Tu pouvais être d’accord avec lui que ce ne serait pas de bon augure que votre aîné mette les pieds en terre écossaise. Il était temps de renverser la vapeur. Ton sourire se fit plus chaleureux au moment où tu croisas à nouveau le regarde de Dafydd.

- Hello, petite jeunesse! Content de te voir en un seul morceau. Je ne dirais pas non à un café, pourquoi faire semblant quand on peut tout simplement le faire pour de vrai. Comme ça on sera certain que Mam débarque avec Siarl, nous savons tous les deux le cataclysme de reproche qui le suivrait. Et puis j’ai envie d’avoir de tes nouvelles.

Tu remarquas la laisse et le chat noir qui y était lié. Tu eus une petite pensée pour Merguez qui se faisait chouchouter par ta voisine âgée. Tu allais devoir surveiller sa ligne, car tu la soupçonnais de lui donner double portion de gâterie lorsqu’elle la gardait. Tu fis un geste de la tête vers le félin.

- Il s’appelle comment ton compagnon ?