Elle ne voulait pas être trop intrusive dans la vie des jumeaux, mais le fait est que cette conversation les y menait. Elle hocha doucement la tête de bas en haut, montrant qu'elle écoutait, quand il lui parlait du mariage de sa sœur. Elle imaginait que ça n'avait pas dû être une période facile pour Aizah. Elle ne put s'empêcher de sourire légèrement alors que Nadeem confessait qu'elle était la plus solide.

-Je ne vais pas dire que ça me surprend.

Elle releva son regard vers le sien.

-Mais ce n'est pas comme si j'étais plus solide que quiconque moi-même.

Elle avait ce sentiment de pouvoir être écrasée à la première occasion, par n'importe qui. Il n'y avait pas de honte à être fragile -même quand on était un homme.

Elle leva les yeux au ciel quand il lui dit ne pas avoir le droit de dire ce pour quoi il avait défendu Yohann. La déontologie, elle ne savait pas pourquoi, elle était presque certaine que c'était seulement quand ça l'arrangeait.

-Vraiment Nad'... Bref, peu importe.

Oui, peu importait aujourd'hui ce qu'avait Yohann hier, quelles difficultés il avait eu. Parce qu'il n'était plus dans sa vie, il ne le serait sans doute jamais plus, et il était inutile qu'elle s'inquiète. Elle avait déjà bien assez de choses à gérer et elle n'avait absolument pas envie de se battre avec l'avocat à propos du secret professionnel.

Il était déjà difficile pour Iona de s'ouvrir assez émotionnellement pour raconter son histoire. Même s'il lui semblait à présent qu'elle le faisait avec plus de facilité. Qu'elle arrivait à s'en détacher, si elle se contentait d'évoquer les grandes lignes. Les événements, juste les événements, afin de ne pas revivre les scènes qu'elle avait enfouit au fond de sa mémoire et ne voulait jamais se rappeler. Afin d'effacer le passé, d'aller de l'avant, de vivre heureuse. Avec toutes les embuches que ça comportait pour tout le monde. Elle n'attendait pas de Nadeem qu'il la prenne dans ses bras, ou ce genre de choses. Elle se doutait que ça ne le mettrait pas très à l'aise -mais elle pensait aussi que depuis le temps il avait deviné sa situation. Elle plongea à son tour les lèvres dans son thé. Peut-être devrait-elle changer de sujet ? Mais Nadeem finit par répondre. Elle leva son regard clair vers lui, penchant la tête sur le côté, arquant un sourcil. Elle n'était pas certaine de comprendre quelle était la fin de sa phrase.

-J'ai besoin ? D'un homme fort et viril ? Pour ?

Elle haussa doucement les épaules, montrant qu'elle n'en avait pas besoin. Enfin, elle en aurait sûrement besoin pour un tas de trucs en réalité, mais elle vivait sans depuis des années déjà.

-Je ne sais pas si ça te rassure, mais moi tu m'intimides parfois.

Par son métier, sa culture, toutes ces petites choses qui la rappelaient à sa condition. Orpheline, mère célibataire, pauvre, sans diplôme.

L'avocat recentra soudain la conversation sur l'objet de sa visite. Yohann. Ou plutôt, l'absence de Yohann. Iona resta silencieuse un instant, regardant ses doigts, attrapant un gâteau pour garder contenance.

-Oui, ça va aller.

Elle releva vers son invité un regard empli de mélancolie, de tristesse mais pas de désespoir. Iona croyait sincèrement en ce qu'elle disait. Elle avait aimé Yohann comme elle n'avait aimé aucun homme, et il l'avait aimée en retour. Cette parenthèse dans sa vie avait été heureuse, incroyable, merveilleuse. Et elle devait maintenant revenir à la réalité.

-J'ai vécu avant que Yohann entre dans ma vie. Je vivrais aussi après. La transition est juste... un peu difficile. On s'habitue vite au bonheur.

Nadeem n'avait pas hésité une seconde avant de la contredire. Comme ça, simplement. Comme si ce n'était pas plus compliqué que de lui dire qu'elle a les cheveux bruns. Elle en fut décontenancée quelques instants. Ce n'était pas comme s'il se répandait en compliments auprès d'elle d'habitude - bien qu'il ne la dénigrait pas non plus, il devait même être un de ceux qui la valorisait le plus ne serait-ce qu'en passant du temps avec elle. Elle secoua doucement la tête de droite à gauche pour reprendre contenance et lui répondre par un sourire.

-C'est gentil.

Et elle le pensait sincèrement, c'était gentil de sa part d'avoir assez d'égard pour elle pour lui dire ce qu'il pensait - sans aucun doute sincèrement - de sa façon d'être.

Elle sourit, effectivement quand elle se vanta faussement d'être exactement ça : viril et fort. Pourtant, ce n'était pas un sourire de moquerie. C'était plutôt... sa façon de ne pas y croire lui-même qui l'avançait. Peut-être qu'il ne soulevait des centaines de kilos au soulevé de terre, peut-être qu'il avait tendance à se cacher derrière sa sœur quand sa vie se crashait, pour autant, est-ce qu'il n'était pas fort ? Puis il ajouta que ça ne le confortait pas de cette position d'homme fort et viril de l'intimider parfois. Elle garda un sourire amusé sur les lèvres, taquine.

-Tu ne fais pas beaucoup d'efforts.

Il lui confia, comme s'il en était certain - ou bien comme si c'était une phrase lancée en l'air, juste comme ça - qu'elle retrouverait le bonheur. D'une façon ou d'une autre ? De toute façon on ne pouvait pas dire qu'elle l'avait vraiment perdu. Elle avait toujours Logan, et elle l'aurait toujours. Parce qu'elle savait que s'il devait disparaître avant elle, elle ne resterait pas. Elle n'était pas assez forte pour ça. Elle haussa les épaules avant de lever les yeux vers lui.

-Je n'en sais rien, Nadeem, si je retrouverais ce bonheur-là. Mais on ne peut jamais savoir, pas vrai ?

Après tout, il avait dû vivre bien plus de rupture amoureuse qu'elle. Il avait plus d'expérience. Peut-être que c'est pour ça qu'il lui disait ça, parce qu'on retrouvait toujours quelqu'un. Mais Iona ne voulait pas de quelqu'un. Enfin, c'est ce qu'il lui semblait en tout cas. Peut-être changerait-elle d'avis un jour.

Ses mains autour de sa tasse chaude, elle sentait celle-ci se refroidir légèrement, signe qu'il fallait qu'elle avance son thé avant qu'il ne soit réellement froid. Elle ferma les yeux, bu quelques gorgées. Ca ne servait à rien qu'elle réfléchisse maintenant à quel type d'homme lui plairait, avec qui elle serait heureuse. Elle savait qu'elle n'était capable que d'imaginer Yohann. Elle les rouvrit quand il l'interrogea sur Logan. Elle était un peu surprise, il n'avait toujours eu qu'un intérêt modéré pour les enfants, elle avait bien compris pourquoi depuis - elle ne lui en voulait pas.

-Il n'y a pas d'ateliers en ce moment, mais il y retournera sûrement oui, il aime beaucoup. Je ne sais pas vraiment de qui il a hérité cette fibre artistique.

Elle eut un léger rire. Tant que son fils s'épanouissait, que ce soit une passade ou durable, peu importe.

-Peut-être qu'un jour tu te retrouveras dans une galerie à interprété ses œuvres, et ce jour-là je serais meilleure que toi à ce jeu !

Elle redevint un peu plus sérieuse, prenant les dernière gorgées de son thé.

-Il a 7 ans. Pourquoi, tu lui cherches un cadeau ?

Iona fronça légèrement les sourcils. Elle comprenait ce qu'il entendait par là, enfin, il lui semblait. Elle n'était pas sûre de savoir définir virilité. Était-ce le fait d'avoir des muscles ? Ou des poils ? De plaire aux femmes ? Si on y réfléchissait bien, les hommes de la vie de Iona, Clément, Yohann... Ils ne correspondaient sans doute pas aux clichés d'hommes virils.

-Nous n'aurions pas été amis sinon, je crois.

Si Iona n'était pas une femme particulièrement déconstruite, elle savait qu'elle préférait les hommes doux et gentils. Elle savait ce qu'étaient les coups, et ne retournerait jamais avec un homme qui roule des mécanique. Ca n'avait rien de surprenant, pourtant, quelqu'un serait-il étonné qu'on lui explique un jour que tous les hommes n'étaient pas les mêmes, qu'elle avait besoin qu'on la protège et que ce n'était pas parce qu'un homme était rustre qu'il était violent ? Heureusement, Iona n'avait pas ce genre de personnes dans son entourage. Seulement des hommes et des femmes qui pensaient que trouver un partenaire aisé serait plus confortable pour elle.

Ce bonheur-là, un autre, oui, ce qui comptait c'était qu'elle soit heureuse. Et était-elle malheureuse ? Elle était triste de cette séparation, mais elle savait qu'elle avait un tas de choses auxquelles se raccrocher. Nadeem n'en était-il pas la preuve aujourd'hui ?

Elle fut surprise quand Nadeem lui avoua vouloir ouvrir une galerie. Elle releva le nez de son thé. Elle se demanda un instant si c'était une blague - le fait d'exposer son fils oui sans aucun doute - ou s'il s'agissait vraiment d'un de ses projets.

-C'est vrai ? Tu veux vraiment ouvrir une galerie ?

Un sourire sur les lèvres, elle semblait avoir oublié toute sa peine en se projetant dans l'envie de son ami. Elle ne savait pas si c'était à cause de son don, ou simplement sa façon naturelle d'être et de vouloir le bonheur des autres.

-Evidemment que je viendrais !

Elle eut un léger rire.

-Je pourrais même préparer des gâteaux.

Elle n'était pas certaine que ça se faisait à un vernissage. Mais pourquoi pas ? Elle pourrait tenter de petite verrines sucrées très classes. Il devait bien y avoir des tutos sur internet ?

-Et ce serait un plaisir de rencontrer Victoria. Tu sais, je pense que ça t'irait beaucoup mieux qu'avocat.

Il s'agissait d'un jugement personnel ne valant pas grand chose, et se basant seulement sur sa façon de voir Nadeem. Et elle évitait de le voir en tant qu'avocat. Alors, elle était sans aucun doute biaisée.

Iona n'avait aucune idée de comment devait se tenir un vernissage, mais Nadeem ne sembla pas opposé à sa proposition, ce qui la fit sourire davantage encore.

-De rien ! Je te dois bien ça !

Son sourire était sincère, ses intentions et ses mots aussi. Elle savait que Nadeem ne considérait pas qu'elle avait une dette envers lui ou quelque chose comme ça. Mais ils étaient amis. En tant qu'amie, il était naturel de faire tout ce qu'elle pouvait pour lui faire plaisir. Des gâteaux, ce n'était pas grand chose. Et dans son monde, ça mettait toujours les gens de bonne humeur.

Elle pencha la tête sur le côté à ses mots. Avait-elle dit quelque chose de déplacé ? Est-ce qu'il était vexé ? Il n'en avait pas vraiment l'air pourtant.

-Je n'ai pas dit le contraire. Et je ne vois pas comment je pourrais juger ce genre de choses...

Elle n'y connaissait rien, en droit, en procès, ou ce genre de choses. Et elle n'avait pas suivi les affaires de Nadeem pour savoir s'il avait gagné ou perdu.

-Mais ce que je veux dire c'est... Est-ce que ça te rend heureux ?

Ce n'était pas l'impression qu'elle avait, mais elle avait peut être tort. Après tout, il ne lui parlait jamais de sa vie professionnelle, et elle n'en avait pas vraiment envie non plus. Elle finit par lui adresser un sourire, hochant doucement la tête de bas en haut.

-Réalise ton rêve, je suis sûre que tout le monde te soutiendra. Fais-le pour toi, et pour les autres.

Pour tous ses proches qi préféreront le voir sourire que s'apitoyer sur son sort au fond de son canapé, et pour tous ceux qui ne pouvaient pas réaliser leurs rêves.

Iona esquissa un léger sourire, même s'il était rabat-joie, ce côté-là de lui la faisait sourire. Parce qu'en étant si ennuyeusement imperturbable, il y avait aussi une infection sincère.

-Je te dois soutien et solidarité non ? On devrait prêter serment un peu comme dans les mariages. Genre, moi, Iona Swan, accepte de prendre Nadeem Zaman comme ami, pour le meilleur et pour le pire...

Elle eut un léger rire, elle ne savait pas si ça amuserait l'avocat. Après tout il devait bientôt se marier, non ? Elle était un peu perdue.

Iona l'écouta sans l'interrompre alors qu'il exposait le fait que son métier actuel le rendrait heureux. Pourtant, ce n'était pas son métier qui le rendait heureux, mais clairement son salaire. Ce n'était ni un reproche, ni un jugement de valeur - elle ne faisait pas son propre métier pour autre chose que son salaire et son indépendance - mais ça voulait bien dire qu'avocat ou autre chose, ça lui importait peu.

-Est-ce que tu as un jour aimé le droit ?

Ou est-ce qu'il l'avait fait par obligation ? Depuis qu'elle connaissait Aizah, elle avait eu un aperçu de leur vie familiale et de l'attitude de leurs parents, ça ne l'aurait pas vraiment surprise qu'il soit poussé dans une direction - par autre chose que le vent.

Pas aussi simple, elle s'en doutait. Il devait falloir de l'argent, déjà, mais il en avait, non ? Sans être Crésus bien sûr... Et après... un réseau, et pour les fois où il l'avait emmené en exposition, elle avait l'impression que c'était le cas, mais qu'est-ce qu'elle y connaissait exactement ? Seulement ce qu'il avait pu lui dire.

-De mon point de vue, il y a beaucoup de points positifs et pas tant d'obstacles que ça.

Elle esquissa un sourire.

-Tu n'es peut-être pas formé académiquement mais... Tu l'es quand même par expérience à force de fréquenter ces lieux et ces personnes non ?

Sur le coup, Nadeem semblait drôlement manquer de confiance en lui, ou bien était-elle complètement à côté de la plaque ?

-En tout cas, quoi que tu décides, et quand, préviens-moi !