Il y aurait bientôt une nouvelle exposition temporaire au musée. Dakota était donc chargé de préparer les lieux pour les visiteurs, de préparer la chose pour que cela se passe au mieux. Elle était devant son ordinateur depuis trois heures sans rien obtenir. Elle n’arrivait à écrire en boucle que les premières lignes de son plan d’action. Elle jeta un œil à son bureau, le musée lui semblait si calme, même la porte ouverte. Elle soupira et mit son ordinateur portable en veille avant de le fourrer dans son sac. Elle allait travailler dans le café. Elle ne savait pas pourquoi, mais parfois le brouhaha des habitants, des touristes et la vue des brumes l’aident à se concentrer. Elle n’avait jamais compris et pourtant, cela marchait. Était-ce parce qu’elle changeait simplement d’endroit ? Elle n’en savait rien. Elle commanda un late avant d’allumer son ordinateur, une table en face d’une demoiselle brune, elle-même devant son ordinateur. Avant de commencer, elle se fit la réflexion qu’elle pourrait aller voir les nouvelles du jour, peut-être qu’un élément l’inspirerait encore un peu plus. Elle ne put s’empêcher de s’arrêter sur l’article de l’ouverture d’un nouveau magasin près d’une zone naturelle. Elle l’envoya aussitôt au membre de l’association. Elle voulait leur avis sur ce qui semblait déjà être un futur désastre écologique.

Elle entendit un nouveau ping sur son téléphone, signe qu’on lui répondait, suivi de beaucoup d’autres. Elle mit rapidement son téléphone en silencieux afin d’éviter de déranger inutilement les gens. Les autres membres s’en offusquaient terriblement. Elle voulait les laisser parler avant d’intervenir. Elle attendait un instant, regardant les réponses et les personnes en face d’elle qui faisaient leur vie innocemment, sauf une femme. Cette personne venait de jurer et avait les larmes aux yeux. Qu’est-ce qui pouvait la mettre dans un état pareil. Elle abandonna rapidement l’idée de regarder à nouveau son téléphone. Elle se leva pour se diriger vers l’inconnue avec délicatesse et se mit à ses côtés, se penchant pour avoir son visage au niveau du sien.

– Je suis désolée de venir t’ennuyer, mais j’étais assise en face de toi, je t’ai entendu jurer et j’ai vu que tu n’avais pas l’air bien. Si je peux faire quelque chose pour toi, n’hésite pas. On m’a dit que j’étais une bonne oreille. Je peux également écouter quelqu’un se défouler, je fais régulièrement ce genre de chose. Et je le gère parfaitement. Si le cœur t’en dit.

Elle avança sa main gauche vers la demoiselle sans pour autant la toucher. Elle n’ignorait pas que certains ne voulaient pas être touchés, pour différentes raisons. Autrefois, elle avait connu une demoiselle qui savait ressentir vos émotions si vous la touchiez avant chaque contact, il fallait qu’elle se concentre pour se fermer. Depuis, elle préférait donc attendre que la jeune femme marque un signe qui permettrait de terminer ce geste. Elle avait vraiment la volonté de faire quelque chose. Il était dommage de voir une femme si jolie pleurer. L’espace de quelques secondes, son regard se posa sur l’ordinateur, découvrant le même article qu’elle lisait quelques instants plus tôt. Était-ce cela qui la mettait dans tous ses états ? Cependant, elle ne se voyait pas lui poser la question sans risquer de paraître un peu trop intrusive. Elle ne pourrait lui parler de cet article qu’en fonction de sa réponse.

Dakota n’aimait pas voir quelqu’un pleurer, et surtout si c’était une jolie fille. Pour ne pas le répéter. Elle avait tenté de l’approcher et d’avancer une main pour tenter de l’approcher avec délicatesse. Elle avait fait attention à l’accord même implicite de la jeune femme. En voyant le sursaut de cette dernière, elle reprit sa main. Elle voulait respecter son choix. Cependant, la jeune femme semblait accepter le dialogue. Elle s’installa donc en face d’elle. Elle posa ses mains devant elle, par principe de se montrer ouverte et de lui laisser l’occasion de vouloir un contact si elle en ressentait le besoin. Elle l’écouta s’excuser et secoua la tête en négation, associant ses paroles pour réfuter le dérangement.
 
– Oh non ! Non, tu ne me déranges pas. Ce n’est pas un souci, c’est juste que je suis désolée de te voir mal. Et je souhaite t’apporter mon aide.
 
Elle la regarda prendre un mouchoir et tenter de s’éponger les yeux. C’était bien l’article concernant le magasin qui la mettait dans un état du genre. Pire encore pour la jeune femme, elle avait bien émis un avis négatif contre cette construction. Elle hocha la tête, elle comprenait et cela la révoltait ! Peut-être qu’elle pourrait tenter de faire deux pierres d’un coup avec la jeune femme, et pourquoi pas même plus. Elle avait certainement bien plus d’informations qu’elle ou ses amis activistes, elle pourrait probablement publier son avis de manière bien plus officielle. Elle pinça les lèvres un instant, réfléchissant à la manière de lancer le sujet. Elle devait être délicate et ne pas brusquer la jeune femme dans ses propos.
 
– Figure-toi que je lisais l’article quand je t’ai entendue. J’étais également offusquée alors même que je n’ai pas fait de rapport. J’en parlais à des amis qui tiennent à l’écologie. Je ne sais pas en quoi concerne ton document, mais je me dis que même si moi, je réalise que c’est dangereux pour la nature, c’est qu’il est facile de le comprendre. On peut sûrement trouver une solution pour manifester contre le sujet. Je ne veux te forcer à rien ! Je suis juste révoltée, probablement pas autant que toi, c’est certain. Ce n’est pas normal que ce genre d’individu puisse faire comme ils leur chantent ! Depuis quelques années, je me bats contre ça avec des amis.
 
Elle émit un faible sourire qui se voulait réconfortant. Elle savait bien que les choses ne seraient pas simples. Elle était sincère dans son idée de la soulager un peu et tout autant dans son principe de trouver une solution pour manifester avec la jeune femme. Elle serait un atout non négligeable. Elle devait essayer. Elle le répéterait mille fois, elle ne l’avait pas approché pour ça à la base, elle ignorait son implication au niveau de cette construction ou plutôt son refus concernant ce nouveau bâtiment et son emplacement. Elle espérait que la jeune femme en face d’elle saute sur l’occasion pour se défendre et faire entendre sa voix, ce qu’on n’avait pas voulu lui laisser dire.

Dakota était contente de voir que le nuage de la jeune femme s’évaporait. Elle préférait la voir souriante, comme en cet instant. Elle se promit de rester légère, souriante et de tenter de tourner les choses de manière plus positive. Elle savait que la situation était assez grave, qu’il y avait de quoi être préoccupé. Elle ne voulait pas le nier, elle avait raison d’être en colère et de s’inquiéter. Les dégâts pourraient être importants, elle devait mieux le savoir que Dakota. Et cette dernière en était totalement consciente. Elle ne voulait pas qu’elle se tracasse de nouveau en lui demandant des explications plus complètes sur les dangers.

Elle semblait complètement désemparée. Elle pensait que le mal était déjà fait, Dakota espérait que l’on puisse éviter le pire. Elle voulait y croire encore. Elle voulait croire qu’on puisse encore faire quelque chose pour éviter une destruction inévitable. Dakota ne voulait pas croire qu’on ne puisse pas arriver à sauver le monde. Elle était persuadée qu’il y avait moyen de faire quelque chose, qu’on pouvait encore corriger les choses. Elle pensait qu’on pouvait encore soigner la Terre. Elle désirait y croire. Elle avait besoin d’y croire, elle ne pouvait pas imaginer qu’il n’y avait absolument aucun soin à faire pour qu’on puisse réparer un tant soit peu les dégâts.

– On peut tenter de limiter, d’arrêter les dégradations et peut-être même réparer ce qu’on peut.

Dakota n’était pas naïf ni innocent. Elle savait bien que le monde semblait si proche de la fin. Elle savait qu’il y avait des guerres, des famines, la pauvreté et différents conflits armés, tous plus dangereux les uns que les autres. Elle savait bien que les choses pouvaient paraître désespérées. Elle savait qu’on ne savait pas faire l’impossible. Il fallait faire les choses les unes après les autres. On ne pouvait pas tout régler d’un coup. Certaines manifestations ne pouvaient pas arrêter des guerres. Difficile de faire cesser les conflits. On ne peut pas faire en sorte que tout le monde s’écoute. On ne pouvait pas tout régler malheureusement. Elle aurait tellement voulu faire de miracles, mais elle savait qu’à l’impossible, nul n’est tenu.

Elle dut sourire alors qu’elle demandait si elle faisait partie d’un groupe. N’avait-elle pas été claire ? Oh, bien sûr, elle ne le prenait pas mal. Elle avait peut-être donné trop d’information dans son discours.

– Tu peux me tutoyer. Oui, je fais partie d’un groupe d’écologiste qui veut faire bouger les choses. Je peux te proposer de nous rejoindre. On peut commencer par quelques réunions. Si tu en as envie, bien sûr.

Cela avait autant un intérêt stratégique que personnel. Une personne qui semblait avoir droit à ce genre de dossier devait avoir pas mal à dévoiler. Mais elle devait avouer qu’elle appréciait aussi la compagnie de la jeune femme. Elle aimerait avoir plus d’occasions de la croiser à nouveau. Et d’autant plus, lorsqu’elle déclara l’intitulé exact de son job. C’était vraiment intéressant. Elle chercha à comprendre ce qu’était son travail exactement.

– Pas uniquement, je fais aussi le lien entre les visiteurs et le musée. Et les artistes et le musée. En fait, c’est moi qui prépare chaque nouvelle exposition, enfin la partie lien.

Elle émit un grand sourire, c’était compliqué d’expliquer ce qu’elle faisait précisément. C’était assez compliqué et parfois, elle-même cherchait les limites et ses compétences.

Dakota remarqua que la jeune femme semblait gênée de son offre. Elle se pinça les lèvres, elle avait peut-être été un peu trop vite dans sa demande. Elle devrait probablement tenter d’amener les choses en douceur. Elle se rendait compte que tout le monde ne fonçait pas en prenant à peine le temps de réfléchir.
 
– Je suis désolée, j’ai été un peu brutale dans ma demande. Je ne vais pas trop insister, mais pour moi, tu y as ta place. La seule chose qui nous importe, c’est qu’on veuille protéger la terre. Le reste, ce n’est pas important. Je ne veux pas que tu te sentes obligée ou quoi que ce soit. Ce qui est sûr, c'est que tu trouveras des soutiens pour ce genre de chose. Et si tu le veux, je serai toujours ton premier soutien, groupe ou pas. Je peux te donner un moyen de me contacter si tu le souhaites…
 
Elle espérait que Mia ne se sentirait obligée en rien et prendrait le soutien qu’elle lui offrait. C’était une raison pour Dakota de tenter de revoir la jeune femme. Elle n’allait pas tenter de la draguer en cet instant. Le moment était mal choisi pour ce genre de chose. Cela risquait de la faire passer pour ce qu’elle n’était pas. Elle voulait respecter la jeune femme et surtout ses sentiments.
 
Elle dut sourire alors que Mia lui posa des questions sur son travail. Il y avait beaucoup à dire, en vérité. Elle s’interrogeait notamment sur les artistes.
 
– En vrai, je ne dois pas trop les satisfaire. C’est assez complexe à expliquer. Même si je suis le lien entre les artistes et le musée, c’est davantage concernant des informations sur leurs œuvres. Après, il y a des personnalités plus ennuyantes que d’autres. Pour simplifier, imaginons que le musée décide d'exposer les œuvres d'Anton, un prénom pris au hasard. Je dois alors demander à Anton ce qu'il souhaite pour figurer dans notre programme, et communiquer sa réponse aux organisateurs d’événements du musée. Je dois aussi informer les guides des demandes spécifiques d'Anton concernant l'explication des œuvres. Si Anton doit être logé, ce sera le rôle des organisateurs d’événements. Je dois juste transmettre l'information sur son besoin de logement et ses demandes spécifiques. Parfois, j'ai l'impression d'être davantage un intermédiaire qu'autre chose. Ensuite, je peux suggérer des options d'exposition ou établir des liens entre les œuvres exposées et l'actualité. Enfin, tout en restant professionnel, je ne dois pas faire une propagande qui n’a pas sa place. Il faut trouver le « milieu », d’où le nom de médiatrice. Je me rends compte que j’ai beaucoup parlé, mais je ne sais pas si j’ai été claire.
 
Elle eut un sourire un peu désolé. Elle avait beau faire ce travail depuis des années, l’expliquer était toujours un peu plus complexe. Il n’y avait pas mal de liberté et de nuance dans ce qu’elle faisait. Ce n’était pas non plus quelque chose de particulièrement défini.

Dakota regarda Mia dans les yeux alors qu’elle lui demandait comment elle pouvait lui proposer de venir dans le groupe. Elle émit un léger sourire, elle avait probablement été trop vite.
 
– Je suis désolée, je vais sûrement trop vite dans mes demandes. Tu m’as l’air d’être une personne vraiment sympathique. Je pense aussi que tu peux être d’une grande aide pour nous avec tes connaissances. Je n’ai pas envie de te forcer et encore moins à faire des choses que tu ne connais pas. Je ne te demande pas non plus de faire des choses illégales. Je comprends que cela puisse te mettre mal à l’aise. Je te présente encore une fois mes excuses.
 
Elle pouvait avoir fait peur à la jeune femme, qui semblait littéralement freinée des quatre fers devant cette proposition. Elle n’était pas vraiment adroite sur le coup. Elle aurait bien voulu insister qu’on avait toujours une place dans un groupe. Il n’y avait pas que des actions à mener, ni à manifester, il y en avait d’autres pour cela. On pouvait simplement se contenter de donner des renseignements, des avis professionnels, des avis que d’autres pourraient utiliser de manière plus visible. Dans ce genre d’organisation, il y avait toujours des membres qui jouaient les ombres et ceux en pleine lumière. Il y avait aussi ceux qui étaient un peu entre les deux, comme Dakota. Elle observa la jeune femme et décida de ne pas continuer dans la situation au risque de la faire fuir.
 
– Je ne t'ennuierai plus avec ça, promis.
 
Elle voulait tenir sa promesse et préférait laisser la jeune femme venir à elle si c’était nécessaire. Le sujet du travail semblait apaiser l’autre demoiselle. Dakota se décida à continuer sur la lancée dans le but de la mettre un peu plus à l’aise.
 
– Je ne peux pas dire si c’est impressionnant ou pas, j’ai l’habitude. J’ai parfois l’habitude de rencontrer des personnalités que j’apprécie. C’est avec ce travail qu’on peut également voir derrière les coulisses des artistes. Et ce n’est pas toujours glorieux. Je préfère tous les traiter de la même manière : comme des êtres humains.
 
Peut-être qu’à force de travailler avec des noms connus et des moins connus, elle avait fini par être un peu blasée de côtoyer des personnalités. Au départ, il y avait bien ce petit frisson, mais plus depuis un bon moment. C’était devenu tellement régulier. Ce qui lui arrivait parfois, c’est d’avoir envie de crier au monde à quel point un tel était imbu de lui-même ou un tel était monstrueux avec ceux qui travaillaient pour lui.