Le début d’année marche au ralenti. J’ai l’impression que rien n’avance comme je le voudrais et que ma vie est un peu en suspens. Il se passe des choses mais pas assez pour que je puisse crier victoire tout de suite. J’avance à tout petits pas. Le traitement de fond est efficace et même si j’arrive un peu à me retrouver, j’ai l’impression qu’il y a des tas de choses qui me manquent : une vie sociale, par exemple. J’ai du mal à me connecter avec les gens qui m’entourent. Je me sens comme un étranger quand je sors avec mon frère et ses amis. J’ai l’impression qu’on attend que je parte pour que la fête commence vraiment. C’est un sentiment bizarre, ça. C’est nouveau, aussi. Parce qu’avant Lola, j’étais chez moi partout et avec tout le monde. Je ne me sentais étranger à rien, même pas avec de véritables étrangers. Et ensuite, après Lola et pendant ma dépression, je ne voulais m’accrocher à rien. Pas même à ceux qui suppliaient que je leur laisse une place dans ma vie. Je me suis tellement distancié de tout et de tout le monde que je trouve particulièrement difficile le fait de me reconnecter à des gens. Ma psy dit qu’il faut que je continue d’aller vers les autres et que je ne pourrais pas me retrouver si je ne laisse pas une chance au monde de me prouver que ça vaut quelque chose, les liens sociaux.
Mia, elle fait partie de ces gens que j’ai croisé à mon pire et qui n’ont pas réellement comprit la place qu’ils occupaient pour moi. C’était juste un lien un peu pervers dans ses motivations et pas vraiment à double sens depuis le début. Le destin a voulu qu’elle finisse par faire partie de ma vie que je veuille ou non. Et si dans un autre cas, je ne lui aurais plus jamais répondu, le lien plus ou moins filial veut que je me montre présent et même… peut-être sincère. Je n’ai pas envie de lui dire la vérité concernant mes motivations premières parce que ça ne ferait que compliquer la relation déjà délicate que mon frère entretient avec la famille de sa fiancée. J’essaie d’être une meilleure personne. Et peut-être que chercher des amis en dehors du cercle amical de mon frère, ça pourrait être positif pour moi. Alors voilà. J’ai proposé un brunch à Mia. Un truc le matin, pour que Skye ne pense pas que je fais des promesses en l’air quand je dis que je l’attends.
En plus, je dois avouer que je suis super curieux concernant la rupture entre Mia et Fergus. Je n’ai jamais pu me blairer ce sale type. Je l’ai toujours trouvé contrôlant et violent dans ses interactions avec la jeune femme. J’ai jamais pu trop l’expliquer concrètement mais à la seconde où je l’ai croisé, j’ai eu envie de lui éclater la gueule. Je travaille sur ça aussi, maintenant. Je ne peux plus éclater la tronche de toutes les personnes qui ne me reviennent pas. Dans certains cas, c’est bien dommage.
Elle n'est pas venue. Je l’ai attendu pendant une heure et demi, j’ai téléphoné au moins 47 fois sur son portable mais, elle n'est pas venue. Et si habituellement, je me mettrais super en colère en me disant que cette meuf se fout de ma gueule, cette fois, je me suis surtout inquiété. Mia n’est pas du style à poser des lapins. Même si elle avait décidé qu’elle ne veut pas me voir, elle aurait prétendu un truc. Elle ne m’aurait pas laissé sans nouvelles. Ça me fout un sale pressentiment dans le ventre. Je me dis que de toute façon, si elle est pas venue sciemment, elle me prend déjà pour un creep alors ça changera pas grand chose que je fasse un détour vers chez elle pour m’assurer que tout va bien.
***
En bas de la résidence, il y a la voiture de Mia. Et quand je lève les yeux vers chez elle, les lumières sont allumées dans ce qui semble être le salon. Ça commence à vraiment m’inquiéter. J’attends une demi-heure de plus, adossé au capot de sa voiture pour être sûr qu’elle ne s’est pas absentée pour faire des courses rapides. Mais rien. Pas une seule trace de Mia et en haut, y’a pas de mouvements du tout. Ça ressemble au début d’un des documentaires terrifiants de true crime que regarde Skye le soir. Je regarde de nouveau l’heure. Il est midi passé. Je soupire. J’ai peur de faire une bêtise en sonnant à la porte mais, c’est pas grave. S'il n'est rien arrivé de grave, je pourrais m’en mordre les doigts plus tard.
Je me glisse à l’intérieur de l’immeuble lorsqu’une petite dame d’un certain âge en sort pour aller promener son chien minuscule qui m’aboie dessus comme un damné. Je souris à la dame, je dis bonjour et je grimpe les marches jusqu’à l’étage où se trouve l’appartement de la jeune femme. Je sonne à la porte mais, il n’y a aucune réponse alors je me dis que peut-être qu'elle n'ose pas me répondre. Je parle à travers la porte, j’essaie d’avoir une voix douce. C’est pas mon fort :
«- Mia ? C’est Charlie..» J’ai la voix hésitante. J’ai un peu peur qu’elle se dise que je suis cinglé de venir carrément taper chez elle.
«- Écoute, je sais que c’est bizarre mais, t’es pas venu et… C’est pas trop ton genre...» Toujours aucune réponse. C’est vraiment chelou.
J’hésite. Je sonne de nouveau. J’hésite encore un peu et puis je soupire :
«-Bon. Nique.» Je souffle et je recule de deux pas pour mettre un immense chassé dans la porte de la jeune femme. Y’a aucun bruit dans l’appartement. Mais le sac à main de Mia est dans l’entrée. Je sens mon ventre se retourner. Je croise les doigts pour ne pas retrouver la jeune femme avec la gorge tranchée parce que vu ma tronche, les 40 appels manqués, les sms et puis l’historique de violence, je vais me retrouvé en taule pour meutre avant d’avoir eu le temps de dire
“avocat”. Je prends soin de ne toucher à rien. Je ne sais pas pourquoi j’agis comme un coupable mais je crois qu’en fait, je me fais beaucoup trop de films. Le salon est vide. Dans l’évier de la cuisine, il y a un verre et rien d’autre. Je souffle :
«- Mia ??» Personne ne répond. Putain, c’est grave mauvais signe. Aucune meuf ne sort sans son sac à main. J’avance dans le couloir, j’ouvre doucement la première porte, c’est visiblement la chambre de Zoe. Y’a des trucs de hippies partout et un tapis abandonné devant la fenêtre. Je referme la porte.
La chambre d’à côté est plongée dans la pénombre. Il ne fait pas complètement sombre parce que la lumière extérieure s’infiltre discrètement au travers des volets mais assez tout de même pour comprendre que la pièce n’a pas été ouverte ce matin. L’air est un peu lourd, ça manque un peu d’air et Mia est complètement endormie dans son lit. Normalement, avec le bruit de la sonnette que j’ai bourriné pendant trente minutes et le fracas de la porte défoncé, elle aurait dû se réveiller. Même avec un sommeil très lourd.
«- Mia ? Mia ? Hey…» Pas de réponse. Je m’approche et je réalise qu’elle n’a pas l’air vraiment endormie. Elle a l’air inconsciente. La différence est assez flagrante. Je fais demi-tour et je contourne le lit pour aller ouvrir les volets. Je capte que quelque chose cloche quand j’aperçois un flacon de médicaments bien entamés. Je n’ai pas de mal à les reconnaître : ce sont ceux que je prenais lorsque j’étais encore sous traitement. Je secoue la jeune femme mais rien. Je prends son pouls. Elle est bien vivante.
«- Mia. Allé. Réveille-toi..» Je l’attrape par les hanches pour tenter de la redresser un peu.
«-Allé. Réveille-toi, Mia. Tu fais une overdose.» Putain. Elle fait une overdose. Je ferme les yeux et je m’insulte mentalement. D’un geste vif, je vire les draps et je l’attrape sous mes épaules. Ce sont des poids plume dans la famille de toute façon.
«-Merde, elle est où cette foutue salle de bain ?! » Je cherche la salle d’eau avec la jeune femme sur les épaules. Heureusement, l’appartement n’est pas trop alambiqué. Après avoir ouvert la dernière chambre, je trouve rapidement celle-ci et je dépose la jeune femme dans la baignoire.
«- Désolé, ça va pas être un réveil agréable.» J’allume l’eau glacée. Elle reprend enfin conscience. L’adrénaline, ça marche toujours. Je me laisse tomber sur le carrelage de la salle de bain et je soupire de soulagement.
«- Putain de merde.»