TRAFFIC VIDEO Aizah est plutôt contente de clore cette dispute qui n’avait finalement plus ni queue ni tête. Les jumeaux se sont embrouillés, emmêlés les pinceaux et les sujets ont été mélangés les uns avec les autres. Il n’y avait plus aucun rapport et cela ne faisait qu’envenimer la situation. Ce n’est qu’une fois que la voiture s’engage de nouveau dans le trafic qu’ils se taisent, aidés par une playlist revenue tout droit de l’année de leur vingt ans. Elle se concentrait sur les voitures devant eux, sur les camions qu’il lui fallait dépasser pour garder une allure constante. La conduite d’Aizah a toujours été un peu sportive, bien que peu dangereuse, et elle n’hésitait pas à pousser la vitesse au-delà de la limite autorisée. Au pire, elle avait un avocat assis à sa gauche et un sourire qu’elle savait rendre charmant. D’ailleurs, elle le lui dit à son frère. Il est bon, même très bon. Il n’a pas été cueilli par Stud et sa bande uniquement parce qu’il était dans le mal au moment où la rencontre s’est faite. C’est pour ses compétences, sa pugnacité et sa moralité variable. Elle n’aimerait pas, Aizah, avoir à faire à Maître Zaman. Elle ne cessera de le défendre que lorsqu’elle sera six pieds sous terre mais elle n’ignore pas les méthodes auxquelles il peut avoir recours. Elle s’en doute et elle n’a jamais demandé le moindre détail, bien que ceux-ci ne suffirait pas à ternir l’image qu’elle a de son jumeau. Néanmoins, elle s’abstient de toute relance sur le sujet. Elle lui adresse un sourire en coin, qui témoigne de la fierté et de l’affection qu’elle ressent pour lui. Encore une fois, le sujet change. Ils n’auront fait que ça, enchaîner les sujets. Sans la dispute et avec un arrêt dans leur resto routier préféré et le trajet aurait eu des allures de road trip Edimbourg-Londres. Bien qu’il y ait plus de sept heures de route entre les deux capitales, Nadeem et Aizah privilégient toujours la voiture. Ils en profitent pour passer du temps ensemble, juste eux. Mais là, elle a hâte d’arriver et pas parce qu’elle a peur pour Jennat. Elle sait qu’ils retrouveront leur tante à faire des pieds et des mains pour sortir avant d’y être officiellement autorisée. Elle sautera sur le fait de voir ses neveux arriver pour qu’ils l’emmènent dans un bar, chose que les parents Zaman lui refuseront sur le seul principe de précaution. « Je te parie £100 que son sac est déjà prêt et qu’elle nous attend avec impatience. » L’image d’une Jennat qui trépigne dans le hall de l’hôpital fait sourire Aizah, tandis qu’elle fait dodeliner sa tête en rythme avec la musique choisie. Elle arrête à la question de son frère. Elle y répond néanmoins, lui expliquant combien la solitude a pu lui peser. Qu’elle a été l’une des raisons de son mariage avec Pablo, la raison principale de son appel à Porter. Elle perçoit la grimace de Nadeem quand elle prononce le nom de son meilleur ami. Il n’a jamais approuvé cette liaison, elle le sait et c’est un sujet qui demeure tabou, bien qu’ils aient cessé de se voir depuis de longs mois. Elle préfère ne pas s’engager dans cette discussion, elle aussi sujette à dispute. Et de toute façon, son frère précise son propos. « Je n’ai pas envie d’avoir un enfant, Nady. Je sais que c’est une décision que vous ne comprenez pas. Je trouve la démarche égoïste, qui plus est. Quel parent fait un enfant uniquement pour rompre la solitude ? Et en plus, je tiens à mon indépendance plus qu’à n’importe quoi d’autre. » Avoir un enfant, c’est s’enchaîner pour les vingt prochaines années au minimum. C’est avoir la responsabilité d’une vie qui n’est pas la sienne. C’est devoir renoncer à aller boire un verre après le travail, à partir en week-end quand elle en a envie. Renoncer au plateau télé dans le calme le dimanche soir. Avoir un enfant, pour Aizah, signifierait devoir passer par les voies médicales sans que cela ne soit concluant. Et elle n’a ni l’énergie, ni l’envie de s’engager la dedans. « Je n’ai pas la place pour un coloc. J’ai appris à cohabiter avec le silence. Et puis, j’ai deux nièces que j’adore. Et Mowgli. » Le petit chat noir trouvé dans les poubelles qui a repris du poil de la bête depuis. Toute à son monologue, elle manque de louper la sortie et doit se rabattre en dépit des règles élémentaires de sécurité. Fort heureusement, elle ne percute personne et s’excuse en levant la main. Nadeem la rassure en lui tapotant l’épaule, lui assurant qu’il a besoin d’elle. « J’ai besoin de toi. Pas d’un môme ou d’un étranger partageant mon appartement. » C’est cru dit comme ça, mais c’est vrai. Son frère lui suffit, il lui a toujours suffit. Et la vie lui a appris que les autres ne sont que de passage. Ils s’impriment dans sa vie, y laissent parfois une marque indélébile à l’image du chat derrière son oreille, caché par ses cheveux et son ruban. A l’image de l’alliance qui est rangée dans son écrin, dans sa table de nuit. Mais ils partent. Elle a appris à faire avec, du temps que son frère reste. « Bien. Cela nous laisse le temps de gérer la sortie de l’hôpital de Jennat. » Ils sont arrêtés à un feu rouge et quand il passe au vert, Aizah prends la première à gauche pour s’engager sur le parking, mettant fin à leur périple routier.