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Nadeem Zaman
Nadeem Zaman
Questionable morality
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Pseudo : Nuit d'orage
Avatar et crédit : Riz Ahmed + moi
CW : Criminalité et violence
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Occupation : Avocat pénaliste, mais il sait à qui il doit sa réussite, Nadeem. Aux trafiquants, aux voyous, à sa moralité défaillante. (cabinet sur Princes St)
Âge : 42 Quartier : New Town (West End)
Situation familiale : Fiancé à Victoria, beau-père de Moïra, père de Neeli
Date d'arrivée à Edimbourg : 2010
Don : Empathe + Nadeem a une affinité particulière avec la tristesse. Il peut ressentir la mélancolie ou le désespoir des autres comme si c'était le sien. Il lui arrive même d'avoir un aperçu des souvenirs tristes de ses proches.

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Mar 19 Sep - 4:46
Traffic
La sonnerie du réveil fit grogner la forme sous la couverture. Le soleil était encore trop timide pour traverser le store et il aurait été aisé de retourner s'enfermer chez Morphée. Plus raisonnable qu'impulsif, Nadeem se décolla de sa fiancée pour chercher à l'aveugle son téléphone et arrêter le timbre aigue qui allait finir par réveiller toute la maisonnée. Après avoir heurté son verre d'eau et sa lampe de chevet, sa main finit par se poser sur l'hurleur. L'avocat n'eut d'autres choix que d'ouvrir les yeux et s'exposer à la lumière désagréable de l'écran, le temps de trouver le bouton qui annulerait tous les potentiels rappels. La mission était accomplie : il était réveillé pour de bon. Ce qui l'acheva fut la longue liste de notifications, des appels manqués aux textos de son père qui devait croire que faire imploser son téléphone réveillerait son fils.

Il quitta discrètement le lit, le regard rivé sur les messages qu'il parvenait à déchiffrer avec son cerveau en plein échauffement. Différentes idées contradictoires se mélangeaient. À côté d'un "pas grave", on retrouvait un "urgent" et d'un "si tu veux bien", un "dès que possible". Il remonta la conversation à la recherche de la source et la trouva plus détaillée qu'il n'aurait cru. Dans un long message sûrement écrit alors que ses mains tremblaient encore à cause du pic de stress, Anwar lui expliquait que leur tante avait eu un accident qui lui avait certainement cassé la jambe. Plus d'informations étaient à venir, avait-il ajouté, avant de décrire l'état de stress dans lequel la nouvelle avait mis leur mère. C'était une stratégie que Nadeem devait reconnaître comme efficace : mettre en avant la détresse de Shahnaz pour lui forcer la main. De plus, il s'agissait de Jennat : sa seconde faiblesse. Il n'était pas encore habillé qu'il savait déjà qu'il était bon pour monter dans sa voiture et programmer Leeds dans le GPS. La première étape était de téléphoner à sa sœur qui devait avoir reçu les mêmes messages et être arrivée à la même conclusion. C'était parti pour une nouvelle aventure pour les jumeaux. La dernière commençait à dater.

• • •


La première heure du trajet s'était écoulée facilement. Ils avaient mis de la musique très forte pour se réveiller, téléphoné à leurs collègues, employés ou associés respectifs pour justifier leur absence pour la journée. Leur pause avait été pour boire un café et avaler le petit-déjeuner qu'ils avaient oubliés tant ils avaient décollé rapidement de chez eux. Nadeem avait même pris un café plutôt que sa boisson de prédilection — un thé noir — afin de s'assurer d'être maintenu éveillé par un cœur menaçant de faire une crise cardiaque. Il détestait les effets de ce breuvage sur lui, il avait été très vocal sur le sujet entre deux refrains chantés à tue-tête.

Ils étaient pratiquement à la moitié du voyage. Les panneaux d'autoroute annonçaient Newcastle. Ils avaient le temps de les lire, ces lettres blanches réfléchissantes : le trafic était chargé, les voitures n'avançaient que d'un mètre par minute. Les jumeaux étaient coincés parmi les travailleurs cherchant à rentrer dans la ville qu'eux ne voulaient que contourner. Nadeem battait la mesure contre la vitre alors que sa main gauche restait sur le volant avec l'espoir de servir à quelque chose prochainement. Il grimaçait de temps à autre pour détendre les muscles de son visage fermés depuis leur départ. Depuis que son double et lui s'étaient enfermés dans l'Audi, il luttait pour ne pas montrer à Aizah que ses humeurs l'impactaient. Il y avait cette comédie un peu pitoyable entre eux, dont l'utilité échappait à Nadeem mais il n'osait pas poser ses questions à voix haute : quand Aizah était triste, on n'en parlait pas. Elle ravalait et ils faisaient semblant que cela suffisait à berner son frère. Il y avait un confort dans la suite et les jumeaux le savaient mieux que la majorité de la population. Ils choisissaient généralement le silence ou le repli sur leur duo pour échapper à ce que le monde pouvait leur apporter de négatif. Pour être entièrement honnête, Nadeem ne comptait pas remettre en cause cette stratégie vis-à-vis des autres. Il continuerait à les ignorer autant que possible et détourner le regard lorsque c'était possible. C'était l'application de cette stratégie à sa relation avec sa sœur qui commençait à le peser. Ces derniers mois, presque depuis un an, ils n'étaient plus eux-mêmes. L'enchainement d'événements marquants avaient fait que Nadeem n'avait jamais eu l'occasion (ou l'obligation) d'y penser, mais après deux heures dans cette voiture à éviter les sujets qui pouvaient blesser l'un ou l'autre, il avait le goût amer de l'hypocrisie au fond de la gorge.

— Je suis content que tu sois là.

Il tourna la tête vers Aizah pour lui adresser un vrai sourire, un sourire si franc qu'il ne pouvait pas cacher qu'il ne contenait pas tout à fait que de la joie. C'était une phrase un peu bizarre de la part de Nadeem, parce qu'il n'avait jamais douté que sa sœur montrait dans la voiture avec lui, mais il avait ressenti le besoin de la dire et il n'avait pas réfléchi plus que ça.

— Maman m'a dit que tu faisais la gueule.

C'était à présent de l'amusement qui l'habillait. Shahnaz, et il pensait ça avec tout l'amour qu'un fils pouvait ressentir pour sa mère, avait tendance à dramatiser les situations. Par téléphone, la sensibilité de Nadeem était absente et il n'avait pas cet outil pour mesurer la gravité de la crise.

@Aizah Zaman



Rappelle-toi avant l'orage, quand la ville était calme et tes mains autour de moi.


Aizah Zaman
Aizah Zaman
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Avatar et crédit : Deepika Padukone / Nuit d'Orage <3 (avatar), Gifs : Pow, Signa by Drake (icons : Nuit d'Orage, ellaenys)
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Occupation : Gérante d'une chaîne de magasins de cosmétiques
Âge : 42 Quartier : New Town
Situation familiale : Célibataire
Date d'arrivée à Edimbourg : Décembre 2009
Don : Aizah est une empathe. A l'inverse de son jumeau, elle ressent essentiellement le bonheur des autres et toutes les émotions positives qui en découlent

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Ven 6 Oct - 9:40
TRAFFIC
Son téléphone a vibré toute la nuit. Le frottement entre la coque de l’IPhone et le bois du meuble l’a maintenue dans un ersatz de sommeil si bien que, ce matin, Aizah est d’une humeur de chien. Ce sont ses parents qui ont essayé de la joindre, les messages demandant presque tous un rappel. Mais à en croire sa mère, puis son père, ce n’est « pas grave » ou « pas urgent » ou encore cela doit être fait « dès que possible ». Elle est donc arrivée à la conclusion que cela ne concernait ni Nadeem, ni les filles, ni Victoria. Et donc que cela pouvait attendre qu’elle soit décidée. Après le café, c’est un « dès que possible » acceptable. C’est assise sur le tabouret haut de sa cuisine, les yeux dans un breuvage noir et corsé qu’elle prend enfin connaissance de la dizaine de messages non lus qui font clignoter son téléphone comme une guirlande de Noël. Il n’est rien arrivé à son frère, c’est sa tante qui est hospitalisée. Les messages et les appels manqués proviennent presque tous de son père, seuls les deux premiers viennent de Shahnaz. Alors Anwar ponctue les derniers messages en accentuant l’état manifeste de stress de sa femme. Ce genre de chose fonctionne sur Nadeem, beaucoup moins bien sur elle.

Néanmoins, ce n’est pas pour autant qu’elle s’en fiche. Aizah a beau être fâchée contre sa mère, être de mauvaise humeur, elle n’est pas une fille ingrate et méchante. Elle prend donc le temps de répondre à son père, de lui dire qu’elle appelle Nadeem et qu’ils arrivent. Elle n’a pas besoin de le consulter avant. Elle sait qu’il doit déjà être en route à l’heure qu’il est, prêt à venir la chercher pour qu’ils covoiturent jusqu’à Leeds et l’hôpital. Elle répond uniquement quand c’est son jumeau qui l’appelle, elle prend sa voix la plus douce et promet d’être prête dans le quart d’heure. Le café, qu’elle n’a plus le temps de boire au risque de s’ébouillanter la langue, passe sous l’évier. Puis elle file prendre une douche et préparer un sac pour le périple qui s’annonce.

***

C’est uniquement dans la voiture qu’elle envoie un message à Nash et Anthéa pour qu’ils se débrouillent seuls à la boutique pour les deux prochains jours. Aizah ne s’est pas apprêtée comme elle peut le faire habituellement. Une robe pull confortable, un collant un peu plus épais et une paire de bottines plates. Son manteau est relégué sur la banquette arrière et elle est un peu avachie sur le siège. La première heure se passe sans encombres, le trafic est fluide et elle était maintenue en éveil par un frère qui pestait contre le café. Aizah ne sait même pas pourquoi il a choisi ça plutôt qu’un thé pendant leur pause, elle aurait pris le volant de sa sportive s’il se sentait pas de conduire jusqu’à Leeds. Elle aurait bien aimé conduire, cela lui aurait évité de penser aux retrouvailles avec ses parents. Même le concerto dans lequel ils se lancent sur leurs chansons préférées ne masquent pas le stress qu’elle ressent à l’idée de se retrouver nez à nez avec Shahnaz. Leur dernière conversation remonte à plusieurs mois, elle a clairement fait comprendre qu’elle ne rentrerait pas pour fêter l’Aid l’an prochain et ça, pour Anwar, cela revient à une déclaration de guerre. Et Aizah, comme depuis toujours, elle n’en parle pas. On fait comme si sa tristesse n’existait pas. Elle a pris l’habitude de la cacher sous la tapis et d’attendre qu’elle disparaisse d’elle-même. Parfois, cela est plus douloureux encore de se dire qu’elle ne peut pas se confier à la seule personne en laquelle elle a une confiance pleine et entière. Enfin, si, elle pourrait. Mais Aizah sait qu’elle ne doit pas le faire au risque de courroucer maman.

La verbalisation du fait qu’il soit heureux qu’elle soit là est étrange. Cela fait aussi partie des choses dont ils ne parlent pas. En réalité, ils ne parlent pas de tout ce qui pourrait les blesser, être source de conflit et plus largement, de ce qu’ils ressentent. De ce qu’elle, elle ressent. Parce qu’il ne faut pas perturber Nadeem et sa sensibilité hors du commun. « Où voudrais-tu que je sois ? » Le sourire de son frère réchauffe un peu l’atmosphère et elle lui adresse le même, un sourire dont elle espère qu’il transmettra toute la joie qu’elle éprouve à partager ce moment avec son jumeau. Elle pince les lèvres et baisse un peu la tête. « C’est exact, je fais la gueule. » Elle sent l’amusement dans la voix de son frère et même un début de tintement de clochettes à ses oreilles. Malgré les circonstances, ils sont heureux d’être là. « J’ai osé lui dire que tu n’étais plus un enfant et elle m’a raccroché au nez. Quand j’ai rappelé, j’ai essayé de lui dire que ce n’était pas la grande forme et elle m’a demandé comment toi tu allais. Alors franchement, j’abandonne. » Aizah pousse un soupir de soulagement. Cela lui fait du bien de dire cela à quelqu’un d’autre que son reflet dans le miroir. « Ce n’est pas de ta faute, hein… » Elle se sent obligée de préciser, alors qu’elle devrait savoir que Nadeem ne le prendrait pas pour lui. Leur mère, et sa tendance à surprotéger son fils, ont toujours faussé la relation des jumeaux. Leeds est encore loin, les bouchons dans la périphérie de Newcastle forcent à l’arrêt. Ils ont le temps de disséquer le problème.



Alors, souris.
“ Dans 150 ans, on s'en souviendra pas, de ta première ride, de nos mauvais choix. Du temps qui avance, de la mélancolie. De la chaleur des baisers, de cette pluie qui coule. De l'amour blessé et de tout c'qu'on nous roule.”
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Mar 14 Nov - 17:31
Traffic
Après un réveil stressant, Nadeem s'était apaisé. Leur tante n'était pas entre la vie et la mort et même s'il avait hâte de le voir de ses propres yeux, il n'imaginait pas les pires scénarios pour une fois. Son esprit était occupé par d'autres choses, au début la musique, puis par l'amertume du café qui lui remplissait la gorge. Il râlait plus pour occuper les silences que pour une autre raison. Il aimait ces roadtrips avec sa soeur. C'était simple et agréable, même quand les embouteillages les ralentissaient. La seule ombre au tableau était ces sentiments mélangés qui se répandaient dans l'habitacle et qui faisait naviguer Nadeem vers des songes plus obscures. Il partagea sa joie à voix haute pour conjurer le mauvais sort, dans un premier temps.

— Nulle part ailleurs. Mais ça ne change pas que je suis heureux que tu sois là.

Son sourire en coin trahissait un léger amusement. Ce dialogue était marrant, original pour eux. Ils étaient constamment heureux de se voir ou presque, Zaiah le captait et Nadeem le devinait. Il arrêta de taper la mesure contre la vitre pour se redresser sur son siège et poursuivre la conversation sur la confidence que sa mère lui avait faite le matin même. Ce n'était rien. Une phrase lancée peu de temps avant de raccrocher, pour tenir Nadeem à jour des dernières nouvelles.

Il sentit que le sujet était plus sensible qu'il l'avait cru. Shahnaz pouvait utiliser des mots plus dramatiques que ce qui était nécessaire alors son fils ne s'était pas inquiéter, au téléphone. Aizah faisait la gueule pouvait dire qu'Aizah était un peu fatiguée et lui avait répondu sur un ton las, par exemple. Aizah faisait la gueule pouvait également dire qu'Aizah avait hurlé au monde entier d'aller se faire foutre. Peu importe où le curseur se plaçait, la façon dont la mère expliquerait la situation serait la même : Aizah faisait la gueule. Connaissant sa sœur, Nadeem avait imaginé quelque chose proche du premier exemple. Qu'Aizah avait été agacée, un jour où sa mère avait téléphoné au mauvais moment. Ça arrivait. Les deux femmes entretenaient des rapports complexes.

Ses sourcils se fronçaient. Ses doigts cherchèrent à l'aveugle le bouton pour baisser le volume de la musique au point où elle n'était plus qu'un murmure, alors que ses yeux fixaient les feux de stop de la BMW devant eux. Il n'avait aucun mal à recréer le dialogue des deux femmes dans sa tête. Ce n'était pas tant ce que Shahnaz avait dit qui avait blessé Aizah, mais le fait que ce n'était pas la première fois que ça arrivait, il était prêt à le parier. Sa jumelle conclut sur une petite phrase qui lui fit mal au cœur. Même là, elle pensait à ses sentiments à lui. Une main quitta le volant un instant puis y revint alors qu'il s'empêchait d'avoir son tic nerveux. Il aurait préféré que la route soit dagagée ; il ne savait pas quoi faire de son corps dans cette voiture immobile.

Après un petit instant de réflexion, il haussa les épaules. C'était de sa faute, si. Il avait monopolisé l'attention de leur mère depuis qu'ils étaient enfants. Ce n'était pas pour rien qu'elle était plus protectrice avec lui qu'avec sa fille. Si Nadeem était plus mature émotionnellement, Shahnaz se consacrerait plus à sa fille. À moins que la situation soit plus complexe mais comme personne ne l'avait adressé à voix haute avant ce jour-là, il était dur de démêler le vrai du faux. Le cœur de Nadeem se serrait en réalisant qu'ils n'avaient jamais laissé l'espace nécessaire pour échanger là-dessus.

— Zaiah... Est-ce que tu te serais confié à elle ? Tu ne l'aurais pas mal pris si elle avait insisté ?

Il tourna la tête vers son double en levant un sourcil. Ce n'était pas une attaque, c'était une piste de réflexion qui était potentiellement blessante. Le bon fils prenait la défense de sa mère, c'était plus fort que lui, un juste retour de faveur puisqu'elle avait toujours été là pour lui quand les rôles étaient échangés.

— Maman ne sait pas comment s'y prendre avec toi. Elle ne sait pas non plus s'y prendre avec moi, mais c'est moins pire.

Il était désolé d'avouer son avis sur la situation. Il ne voulait pas dire qu'elle ne rendait pas la chose facile, mais l'idée lui traversait la tête. Aizah était forte, avec des limites qu'elle aimait parfois nier ou repousser. Lui, il était le genre d'enfant à réclamer du réconfort via des petits comportements que Shahnaz avait appris à repérer. Il se grattait la nuque, se cachait derrière sa sœur, se plongeait dans le mutisme. En essayant de ravaler sa peine, il la rendait visible.

@Aizah Zaman



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Mer 22 Nov - 15:17
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C’est dommage que leur périple ne les conduit pas jusqu’à Londres. Ce qu’Aizah préfère, quand ils se rendent dans la ville qui les a vus naître, c’est l’arrêt dans le dinner sur la route du retour. C’est un restaurant qui ne paie pas de mine mais qui sert les meilleurs Fish & chips qu’elle n’ait jamais mangés. L’horaire du retour est toujours fixé de manière à arriver au restaurant sur les coups de midi. Ou alors, l’horaire du départ calqué de façon à arriver au restaurant pour le repas du soir. Quand ils font ça, Shahnaz est vexée. Elle préfèrerait que ses jumeaux mangent à la maison en arrivant et ce, peu importe l’heure. Aizah elle, elle adore partager une énorme assiette de frites avec son frère avant d’affronter les journées dans l’appartement familial. Finalement, ce qu’elle attend avec le plus d’impatience quand ils rentrent chez leurs parents, c’est ce moment privilégié avec Nadeem.

Et ce matin, il n’y a nulle part d’autre où elle voudrait être. « Je le suis moi aussi. » C’est étrange de verbaliser leurs émotions. Pas déplaisant, ceci dit. Aizah sent une boule naître dans le creux de son estomac à l’idée de se retrouver face à ses parents après des semaines d’échanges froids et cordiaux. Les rapports qu’elle entretient avec leur mère ont toujours été compliqués, pour ne pas dire tendus et ce, dès leur plus jeune âge. Shahnaz, bien qu’elle soit une maîtresse de maison hors pair, n’a jamais su comment faire pour gérer les émotions et les sentiments de ses enfants. Les jumeaux allaient à l’école propres sur eux, bien peignés. Elle n’oubliait jamais leurs gouters, elle n’oubliait jamais de signer le cahier des devoirs. Mais elle ne leur a jamais donné les clés pour affronter le monde extérieur. Anwar, lui, ne parle pas des sentiments. Comme si cela était un sujet tabou et Aizah sait qu’il n’a jamais su comment s’y prendre avec un fils qui pleurait à la moindre occasion. Qui a senti la douleur de sa sœur quand, au retour de l’entraînement de cricket, elle est rentrée avec les genoux et les coudes écorchés d’être tombée.

Aizah tourne la tête vers son frère, visiblement surprise. Shahnaz a donc avoué qu’elle faisait la gueule. Elle imagine assez facilement ce que sa mère a pu dire. Juste ça. Qu’elle « faisait la gueule ». De toute façon, cela se traduit toujours comme ça. Si elle a le malheur de dire quelque chose qui déplait, de lui rappeler que son fils à quarante ans et n’est plus un bébé à couver, elle fait la gueule. Sauf que cette fois ci, c’est vrai. Sans avoir réellement coupé les ponts, cela blesserait trop Nadeem, elle se contente désormais du strict minimum. Elle confirme donc, triturant une peau qui se trouve autour de son ongle et qui n’a rien demandé. Mais ils sont coincés dans les bouchons et elle ne sait pas quoi faire d’autre pour évacuer la négativité qui l’assaille avant que son frère ne s’en imprègne. C’est à son tour de froncer les sourcils avant de laisser échapper un soupir las. Aizah n’est pas de nature à se confier. Jamais, à personne. C’est probablement ce qui a contribué à détériorer à ce point ses relations avec Victoria, une des raisons qui ont fait qu’elle a appelé Porter il y a presque deux ans de cela. Mais ce jour-là, elle avait besoin de parler à quelqu’un. Et elle pensait naïvement que sa mère, pour une fois, serait sensible à la détresse de sa fille.

Et aujourd’hui, ce qui l’agace, c’est le fait que Nadeem la pose encore en coupable. Si les rapports se sont encore refroidis, c’est forcément parce qu’Aizah a dit quelque chose de mal. Forcément parce qu’elle a mal pris les paroles de leur mère. La faute ne peut pas venir de Shahnaz. C’est forcément Aizah. « J’ai essayé, pour une fois. Mais tu sais comment est maman... Tout tourne toujours autour de toi. » Sa phrase est ponctuée d’un haussement d’épaule fataliste. Elle sait encaisser mais c’est arrivé dans une période de l’année où elle n’allait vraiment pas bien, pour tout un tas de raisons qu’elle n’a jamais évoquées à voix haute. Elle aurait aimé, pour une fois, que quelqu’un lui dise que ça va aller. Même si c’est que des conneries. Depuis l’eau a coulé sous les ponts. Elle s’est faite à l’idée d’être tante et elle adore les filles de son frère, elle est en bonne voie de réconciliation avec Victoria, Porter est sorti de sa vie et Cassius ne semble plus croire qu’il va disparaître du jour au lendemain. Elle ressent le bonheur de Nadeem, elle l’entend tinter doucement malgré les gestes de nervosité manifeste qu’il fait. Sa main, celle qui ne tient pas le volant, dont il ne sait pas quoi faire. « Elle n’a pas insisté. » Peut être que, pour une fois, Aizah aurait aimé que sa mère la force à parler. A parler d’autre chose que de son frère.

Aizah se trouve un peu injuste. Ce n’est pas la faute de Nadeem. Il n’a pas demandé à naître comme cela, avec cette sensibilité si particulière. Il n’a jamais demandé non plus à être couvé de la sorte, que ce soit par sa mère mais aussi pas sa sœur. Les phalanges d’Aizah se rappellent encore de la joue du type qui s’était moqué de lui, de son mutisme et de la manière qu’il avait à se cacher derrière elle. Elle revoit encore la toile cirée de la table de la cuisine de ses parents et de l’avoinée qu’elle a pris ce jour là. Mais si c’était à refaire, elle le referait. Autant de fois que nécessaire. « Je n’ai pas demandé grand-chose, Nady. Je lui ai dit que j’allais pas bien et maman m’a répondu de prendre des vacances. Je voulais juste, pour une fois, qu’elle m’écoute. » Elle se penche un peu, pour poser sa main sur celle que Nadeem fait voyager entre le volant et sa nuque, s’arrêtant presque systématiquement à mi-chemin. « Mais c’est entre elle et moi ça… Je sais pas pourquoi elle t’as mêlé à nos histoires. » Nadeem défend leur mère, Aizah protège son frère. Leur père, en spectateur impuissant de ce triangle familial dysfonctionnel. Les années passent mais finalement, rien ne change vraiment.



Alors, souris.
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Mar 5 Déc - 23:20
Traffic
Nadeem et Shahnaz avaient toujours eu une relation bien à eux, un mélange d'amour et de protection, d'infantilisation mutuelle, de culpabilité, d'inquiétude. Ils prenaient soin l'un de l'autre, plus pour s'apaiser eux-mêmes que pour de bonnes raisons. Il n'avait jamais ressenti le besoin de se confier auprès de sa mère sur la plupart des sujets de sa vie et encore moins sur sa carrière. C'était elle qui avait eu cette idée, l'école de droit. Si Nadeem lui disait qu'il ne voulait plus être avocat par exemple, elle se lamenterait qu'il choisisse une voie incertaine ou se flagellerait de l'avoir poussé dans un métier qui le rendait malheureux. Elle serait inquiète ou coupable et dans un cas comme dans l'autre, cela virerait au drame parce qu'elle ne parlerait plus que de ça pendant des semaines. Nadeem adorait sa mère, cherchait à la protéger autant qu'elle le protégeait lui, mais il s'était adapté à son tempérament et savait ce qu'il pouvait ou non lui confier. Pour lui, ce n'était pas une surprise, la réaction qu'elle avait eue en parlant à Aizah. Il l'estimait chanceuse. S'il avait dit la même chose à sa mère, elle serait partie faire ses valises pour se téléporter à Edimbourg pour prendre la vie de son fils en main. Il n'y avait pas de quoi en faire un drame ni un caprice. Shahnaz était comme ça, Nadeem l'aimait comme ça, il savait composer avec ses réactions extrêmes. Il n'attendait plus d'elle qu'elle change ou devienne lucide sur qui était devenu ses enfants. Il était injuste, en reprochant à sa sœur de ne pas simplement s'adapter à celle qui ne s'adaptait pas.

Il adressa un grognement songeur à la remarque de sa jumelle. Bien qu'il savait exactement pourquoi Aizah disait et ressentait ça, il n'avait pas le sentiment que tout tournait autour de lui, du vrai lui. Tout tournait autour du Nadeem que sa mère fantasmait encore, l'enfant sensible qu'elle comprenait et devait protéger. Elle n'écoutait pas plus Nadeem qu'elle écoutait Aizah, seulement, elle le prenait en pitié alors qu'elle estimait que sa fille était en capacité de se débrouiller et possédait une force à l'épreuve de tout. Shahnaz était dirigiste avec l'un, insensible avec l'autre. Ce n'était pas que son don qui avait été divisé et mal partagé entre les deux enfants, c'était également sa douceur et sa capacité d'écoute.

Il restait silencieux, la main agitée, les yeux sur ce paysage qui ne défilait pas. Ça ne l'amusait plus, cette petite dispute entre les deux femmes de sa famille. Ce n'était plus un sujet léger duquel il voulait discuter pour faire passer le temps. Sa sœur était blessée et sa mère devait l'être réellement aussi. Ce n'était plus une bête exagération de sa part, un jour de stress.

— Depuis quand tu t'adresses à maman, quand ça ne va pas ?

Il força une voix douce, pour qu'elle sache que ce n'était pas une attaque. Zaiah qui cherchait du réconfort chez leur mère, pour autant qu'il en savait, c'était une première. Mais il n'était pas là à écouter toute leur conversation. Ils devraient être en train de parler de ce qui ne tourne pas correctement, plutôt que débattre sur l'empathie à géométrie variable de leur mère.

— Parce qu'on est un duo, Zaiah. Si ça te concerne ou si maman veut te faire parvenir une info, elle m'en parle. Elle savait que j'allais t'en parler et espérait que je me positionnerais en médiateur. L'esprit qui t'amènerait à la raison.

Nadeem parvint à avoir un petit rire, en fin de tirade. Allez savoir pourquoi il était devenu l'expert relationnel. Il était surtout le trouillard qui ne supportait pas les situations de conflit, alors qui se portait volontaire pour les apaiser. Entre sa mère et sa soeur, l'avantage était qu'il les connaissait toutes les deux parfaitement et pouvait se mettre autant à la place de l'une que de l'autre. Il était plus dur avec Aizah parce qu'il la pensait plus facile à faire changer de positionnement.

— Mais tu le sais déjà, ça. Hein ? Tu sais pourquoi elle fait ça.

Les dons, la différence de caractère, la culpabilité. Shahnaz voyait Nadeem comme un enfant qu'elle avait loupé et auquel de qui elle devait se rattraper en étant très attentive à ses besoins. Tout autour du petit garçon avait dû être doux et agréable, parce que le monde serait plus violent pour lui qu'il ne le serait pour sa sœur. La mère avait voulu compenser, elle en avait trop fait et s'était éloignée de sa fille. Nadeem força sa main droite à rejoindre le volant et à s'y serrer, pour arrêter de s'agiter.

— Maman pense qu'on n'a pas changé depuis l'adolescence. C'est sûrement vrai, en partie, parce qu'on est pas devenu les adultes indépendants qu'elle espérait qu'on soit.

Il soupira en lançant un regard complice à sa sœur. Ils avaient contredit tout ceux qui disaient que plus tard, les jumeaux se décoléraient naturellement. C'était une fierté, pour l'avocat. Un petit doigt d'honneur au monde. On le voulait endurcit et normal, il avait résisté, au moins sur ce plan-là à défaut de l'avoir fait sur d'autres. C'était déjà ça.

—Si tu veux que j'arrête d'en parler, j'arrête d'en parler.

Il fit un petit geste en direction de la radio, montant le volume d'un ou deux crans à peine, juste pour signifier silencieusement qu'ils pouvaient remettre la musique et oublier cette histoire s'ils le désiraient. Quitte à être enfermés dans une voiture pour plusieurs heures, mieux valait le faire en étant de bonne humeur.

@Aizah Zaman



Rappelle-toi avant l'orage, quand la ville était calme et tes mains autour de moi.


Aizah Zaman
Aizah Zaman
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Don : Aizah est une empathe. A l'inverse de son jumeau, elle ressent essentiellement le bonheur des autres et toutes les émotions positives qui en découlent

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Sam 16 Déc - 12:08
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De plus en plus souvent ces derniers mois, Aizah se retrouve projetée vingt ans en arrière, sur les quais de la gare. Nadeem doit prendre le train qui le conduira à la faculté de droit, des études choisies et voulues par sa mère. Elle, elle se tient debout entre leurs parents, face à ce jumeau qui s’en va. Elle ne saura que quelques jours plus tard que la douleur qu’elle ressent dans le creux de ses entrailles n’est pas uniquement due au déchirement des « au revoir », mais aussi le début d’une inévitable fausse couche. Elle se demande à quoi ressemblerait leurs vies, à tous les deux, si elle avait osé s’opposer à eux. Si elle avait imposé le choix de son frère et si elle l’avait soutenu dans sa démarche. Nadeem le photographe ne serait probablement pas tombé aux mains d’un réseau criminel édimbourgeois. Une voie bien moins financièrement sécurisé que le droit mais finalement, ne serait-il pas plus serein ? Victoria a failli y penser l’an dernier, sans compter les menaces qu’elle a elle-même reçues et la mort plus que suspecte de Pablo. Comme quoi, une seule et unique décision peut influer sur le cours entier d’une, ou de plusieurs, existences.

Aizah se sent un peu injuste de verbaliser que tout tourne autour de Nadeem, bien que cela soit un fait avéré. Le fils que sa mère a façonné comme un colosse d’argile, morceau après morceau, le modelant comme elle aurait été qu’il soit. Celui qu’il a appris à être pour tout un tas de mauvaises raisons destinées à les apaiser. Aizah et Anwar ont toujours été un peu mis à part de cette relation privilégiée entre la mère et le fils. Il parait que c’est comme cela que le monde fonctionne, les mères couvent leurs fils quand les pères surprotègent leurs filles. Aizah n’a pas le sentiment d’avoir été surprotégée outre mesure par son père. Celui-ci, à défaut de pouvoir le faire avec Nadeem, a essayé de la convertir au cricket sans que cela ne soit un réel succès. Et il aura certainement pour éternel regret le désintérêt manifeste de sa fille pour la religion. Elle n’a jamais porté le voile, elle ne se rend pas à la Mosquée et il y a des années qu’elle ne prie plus. C’est une famille pour le moins dysfonctionnelle mais finalement, est-ce qu’il existe une famille réellement fonctionnelle ?

Elle hausse les épaules à la question plus que pertinente de Nadeem. Depuis quand elle s’adresse à Shahnaz pour espérer trouver une oreille et une écoute compatissante ? Elle détourne un instant le regard. C’est la bonne humeur qui règne dans la voiture, malgré les bouchons, l’inquiétude pour Jennat et la conversation sérieuse qu’ils ont. Il n’a pas besoin de dire qu’il est heureux qu’elle soit là. Aizah l’entend et, plus que tout, elle ressent la même chose. « C’était entre Noël et Nouvel An l’an dernier. » Nouveau haussement d’épaule. Son frère sait très bien ce qu’il s’est passé à cette période de l’année et surtout pour quelle raison elle ne s’est pas confié à lui. « Tout était un peu compliqué, pour tout le monde. » C’est de l’histoire ancienne pourtant la rancune qu’elle nourrit pour sa mère semble tenace. Ce n’est pas tant le fait qu’elle ait refusé la discussion, c’est la remontée de toutes ces dernières années à faire semblant. A faire comme si la situation était normale, à faire comme si cela ne la blessait pas. « Et pourquoi c’est forcément moi qui doit revenir à la raison, hein ? » Si le reste n’a pas été pris pour une agression, elle n’a pas tellement apprécié la dernière phrase de son frère. Celle qui part du principe que, forcément, c’est Aizah la fautive. Elle se déride un peu quand Nadeem rit, cela lui arrache un sourire en coin. Elle sait qu’elle a mal interprété ce qu’il voulait dire mais c’est toujours pareil et elle commence à en avoir un peu marre.

« Oui je le sais. Mais j’en ai ma claque, Nadeem. Elle préfère passer par toi pour me parler ou par moi pour savoir comment tu vas. Enfin, elle me reproche le fait que tu n’ailles pas comme elle voudrait que tu ailles. Tout ça parce que personne ne veut réellement parler de la sensibilité qui est la nôtre. Nous ne sommes pas des jumeaux ordinaires, il est temps que tout le monde le reconnaisse. » Cette fois, elle se tourne pleinement vers son frère et elle le défie de la contredire. Ils ne sont pas simplement des jumeaux. Ils sont liés par autre chose que le placenta qu’ils ont partagé. Leur sensibilité les rapproche, plus que n’importe quoi d’autre. « Oui, ça c’est vrai. Mais pourquoi nous forcer à l’indépendance quand on fonctionne comme ça ? Et puis, elle est bien contente de savoir que j’habite au bout de ta rue quand il faut me demander si tu as correctement mangé la veille. » Aizah exagère volontairement le trait mais, dans chaque exagération, il y a une part de vérité. Dans celle-ci également. Depuis son jeune âge, elle lui a été demandé de veiller sur son frère et c’est ce qu’elle s’évertue à faire. Parfois, elle s’est perdue en route mais elle a toujours fini par retrouver son chemin.

Le son de la radio est augmenté par son frère qui décide que, finalement, ils ne sont plus obligés d’en parler. Aizah tends le doigt et coupe l’autoradio. Ils doivent parler. Elle en a besoin, pour une fois. « Non, continues. Je sais que je n’ai pas toujours été la sœur et la fille parfaite. J’ai parfois le sentiment de ne pas être faite du même bois que vous. » Le vilain petit canard de la famille, c’est elle. Qui parle ouvertement de leurs dons, qui s’est affranchie de la religion et qui a décidé qu’un mariage routinier n’était pas quelque chose qu’elle désirait. « Je me demande souvent où nous serions si je m’étais opposée à nos parents, quand ils t’ont envoyé à la fac de droit. » Et avec le recul, cela restera probablement son plus grand regret.




Alors, souris.
“ Dans 150 ans, on s'en souviendra pas, de ta première ride, de nos mauvais choix. Du temps qui avance, de la mélancolie. De la chaleur des baisers, de cette pluie qui coule. De l'amour blessé et de tout c'qu'on nous roule.”
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Jeu 18 Jan - 16:56
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Jennat n'était plus le centre de ses pensées. Nadeem l'imaginait dans un lit d'hôpital, à scroller sur son téléphone en mangeant un beignet au chocolat. Leur tante était une de ces figures quasi-mythologique, l'héroïne de leur enfance. Nadeem préférait écouter sa sœur de leur mère, car elle n'avait pas la force de leur tante. L'année dernière avait été étrange et lourde pour tout le monde. Il s'était passé un milliard de choses qui justifiaient que les jumeaux aient fait des mauvais choix. Mais c'était derrière eux, Dieu merci. Il tenta un sourire, même un rire, en direction de sa sœur pour calmer la situation.

— Parce que j'ai plus confiance en toi qu'en elle pour ça. Je lui dirais pareil si je la pensais capable de prendre du recul, mais c'est pas le cas. Vois ça comme un compliment.

Il n'y avait pas de quoi grimacer, il avait envie de lui donner un petit coup d'épaule pour la dérider, mais c'était impossible en voiture, avec les ceintures qui les maintenaient contre leur siège. Il resta sage, prêt à discuter de ce qui devait l'être jusqu'à ce que Zaiah dise une phrase qui le fit réagir vivement.

— La nôtre ?!

Il aurait pu rire jaune. Si elle voulait en parler, ils pouvaient en parler, mais l'honnêteté devait aller dans les deux sens. Ils ne partageaient pas la même sensibilité. Ça ne voulait pas dire qu'Aizah et lui étaient des jumeaux ordinaires, mais parler de ça comme s'ils le vivaient de la même façon, c'était débuter cette conversation sur un mensonge. Aizah avait pu aller faire du sport en étant enfant. C'était chiant, mais elle en avait la capacité là où Nadeem se serait mis dans un coin, les mains plaquées sur les oreilles, en attendant que ça passe. Elle n'aimait pas les enfants, mais pouvait être près d'eux s'il le fallait. Elle avait la capacité de faire des choses plus simplement que son jumeau. Alors son choix de mot restait légèrement en travers de la gorge de Nadeem. Il ne retourna pas sur le sujet de leur mère, laissant ça de côté pour le moment. Il ne veut plus parler, préfère remettre de la musique que sa sœur coupe pour revenir à la charge.

— T'es pas fait du même bois que nous, Zaiah. Et y'a pas de quoi s'en lamenter, crois moi.

Il secouait la tête sur le côté pour essayer de se calmer. Ses doigts se serraient autour de cuir du volant. Son corps se crispait. Sa soeur restait la seconde moitié de lui, mais ils n'étaient pas entièrement similaire pour autant.

— C'est ça, le problème. Tu te demandes ce que tu aurais fait. Et moi, je suis encore le frère passif pour qui les autres doivent décider ou parler à la place.

Il donna un petit coup du plat de la main contre son volant. Il était agacé et plus il parlait, plus ça se muait en colère. Pas la colère froide de quand il voulait se détacher de quelqu'un, une colère plus brute et sans aucune maîtrise. Il ne réfléchissait pas pour trouver le mot parfait ou la formulation qui décrirait le mieux sa situation. Il parlait comme il ressentait les choses.

— C'était pas à toi de faire quelque chose. C'était à moi. Tu te rends compte que tu fais la même chose que Maman ? Avec vous, dès qu'on parle de moi, en fait on parle de vous. De ce que vous devriez faire. De ce que vous pensez. De ce que vous ressentez face à ma situation.

Son regard restait sur les feux de la voiture devant eux. C'était plus simple que se tourner en direction de sa jumelle. Il détestait s'énerver sur elle, mais il fallait que cette situation s'arrête, que le comportement des deux femmes changent.

— Je sais pas où on serait, si j'avais pas été à l'école de droit. Par contre, je sais que Neeli n'existerait pas. Je n'aurais jamais rencontré Victoria, ni Bear, ni Porter ni personne. Alors si tu veux absolument te tenir responsable de ma situation, sois en fière, au lieu de te flageller. C'est ridicule.

Il remit l'autoradio dans un geste rageur. Hors de question de débattre de ça. C'était sa vie, ses regrets, ses "et si ?". Il était très agacé et continuait à grogner quelques mots incompréhensibles, destinés à lui seul. Il n'en voulait pas profondément à sa sœur, mais il y avait ce trop-plein depuis trop longtemps. Il était temps que Zaiah et Shahnaz arrêtent d'oublier qu'il était responsable de sa propre situation, que personne (en dehors de Stud) n'avait un flingue pointé sur sa nuque. Il était allé à l'école de droit à contre-cœur, pour soulager l'anxiété de ses parents, mais il aurait pu tout envoyer en l'air, demander une bourse, rentrer dans une école d'art de lui-même. La merde dans laquelle il était restait sa merde, il n'autoriserait personne à dire le contraire.

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Mar 6 Fév - 11:35
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La route lui semble interminable. Les kilomètres défilent lentement depuis qu’ils sont pris dans le bouchon et l’atmosphère semble s’alourdir à mesure qu’ils ouvrent la bouche. Pourtant, la discussion est nécessaire. Les thèmes qui comptent ne sont jamais réellement abordés. Comme par exemple, le comportement excessivement protecteur de leur mère envers Nadeem ou bien le détachement de leur père, qui ne semble pas avoir envie d’être mêlé à tout ça. Aizah ne semble plus si inquiète pour leur tante, elle survivra. Jennat survivrait à n’importe quoi, cette femme est un vrai roc. Elle a longtemps été l’ancrage des jumeaux, quand leur mère faiblissait. Aizah sait qu’elle est injuste avec Shahnaz et qu’elle a probablement fait du mieux qu’elle pouvait. Qu’à un moment de sa vie, elle a du composer avec un fils hypersensible, une fille bagarreuse et un mari infidèle. Cela n’a pas du être simple tout les jours. Mais Aizah lui en veut de trop pour se raisonner. Alors elle s’offusque quand Nadeem lui demande de faire un effort. Cela fait quarante ans qu’elle fait des efforts, elle n’en a plus envie. Elle n’est plus émotionnellement capable de faire une telle chose. « J’en ai marre de brasser du vent avec maman, je ne suis pas un moulin. A chaque fois que je me persuade de faire un effort, elle fait trois pas en arrière. » Et Aizah n’a plus le temps pour ça, elle n’a tout simplement plus l’énergie nécessaire.

Il bondit presque de son siège quand elle ose évoquer leur sensibilité. Oui, la nôtre. Ils n’ont pas la même mais c’est quelque chose qu’ils partagent quand même, quoi qu’il en dise. Celle d’Aizah est peut être plus facile à vivre que celle de son jumeau, mais elle existe et elle apporte avec elle son lot de désagréments. Elle aimerait pouvoir être triste, elle aimerait savoir ce que ça fait parce que c’est salvateur. Parce que c’est perturbant d’être consciente que c’est le moment d’être triste mais ne pas savoir comment elle doit se comporter. Parce qu’elle n’en peut plus des sinistres cloches émanant d’un bonheur malsain qui résonnent en elle pendant des jours et des jours comme on sonne le glas d’une église. Cependant, Nadeem a raison. Aizah n’est pas faite du même bois que le reste de sa famille, et pas uniquement sur leur sensibilité. Elle s’est libérée de la religion, elle est divorcée et n’a pas d’enfant. Elle ne se remariera jamais, elle refuse l’idée même d’être mère un jour. La simple idée qu’une autre vie humaine dépende d’elle la terrifie à un point qu’elle ne saurait nommer. Elle adore Neeli, cependant. Même Moira, elle a apprit à l’aimer. Être tante, faire du baby-sitting ponctuel et les couvrir de cadeaux, lui convient parfaitement. « Et crois moi, ce n’est pas simple de se sentir à part tout le temps. » Il y a chez Aizah un sentiment de solitude presque permanent. La sensation de ne pas être totalement la famille, sentiment qui fut comblé par son frère avant qu’il ne se monte en ménage. Une solitude qui l’a conduite à faire des choix stupides et des choses qu’elle devrait regretter. Le premier appel à Porter découle d’une soirée où elle se sentait si seule qu’elle avait l’impression d’étouffer. « La solitude, Nadeem. » Sait-il seulement ce que c’est, lui qui a toujours été entouré ?

Néanmoins, elle n’est pas mécontente de ne pas être comme son frère. Elle aurait simplement aimé que sa mère l’élève comme sa fille et pas comme l’auxiliaire de vie de son frère. Aizah a toujours veillé sur lui, parce qu’elle tient à lui plus qu’à n’importe qui sur cette terre. Parce qu’il sera toujours le choix numéro un, bien qu’elle se soit perdue en route. « Bien sur que je me demande ce que moi, j’aurais fait. Parce que c’est ce qu’on attends de moi, Nadeem ! C’est comme ça que les parents m’ont éduquée. Toute petite, on m’a sommée de prendre soin de toi. De faire attention, de t’aider. Tu peux pas me le reprocher maintenant, c’est profondément injuste ! » Injuste et la négation de quarante ans d’existence, une remise en cause de sa manière de fonctionner. Elle tourne si vivement la tête vers son frère qu’elle s’en fait mal au cou. Elle a horreur de ça. De tout ça. De la manière dont ils se disputent, de la manière dont ils ont été élevés, de l’incapacité qu’ils ont à affronter le monde extérieur. « C’est là que tu te trompes. Il ne s’est toujours agi que de toi. Toi, toi et toi. J’ai dû arrêter le cricket parce que tu ne supportais pas que je revienne avec des bleus. Maman s’est cassée le coude en courant dans les escaliers parce que tu te sentais mal. C’est simplement nous qui essayons de trouver une place dans tout ça. C’est pas facile pour toi mais ne t’imagine pas que ça l’est pour nous. » Aizah n’a jamais aimé le cricket. Elle trouve ce sport ennuyeux à mourir et ne comprendras jamais l’engouement des indiens pour cela. Néanmoins, c’est quelque chose qu’elle faisait pour elle, un moment qu’elle partageait avec leur père. « J’en reviens pas que tu me balances ça comme ça après toutes les nuits que j’ai passées à te consoler. Et toutes les fois où tu m’as appelée pour que je vienne quand tu étais à la fac. » Elle baisse les yeux. Mine de rien, c’est un peu à cause de cela qu’elle et Pablo ont divorcé. Avec le temps, Aizah s’est rendue qu’elle ne l’aimait pas comme elle aurait du et surtout, qu’elle n’aurait jamais du l’épouser. Mais quand même, il ne s’agit pas de Pablo. Elle aurait agi de la même manière, fusse-t-elle éperdument amoureuse de son époux.

Même si crever l’abcès est nécessaire, il n’en reste pas moins douloureux. Elle croise ses bras dans un geste protecteur, l’écoutant lui demander d’être fière d’elle. Elle allait ouvrir la bouche mais il la coupe dans son élan en montant le son de l’autoradio si brusquement qu’il n’entendrait pas si elle venait à parler. Aizah tourne ostensiblement la tête de l’autre côté, observant le paysage morne de l’autoroute. Sans la fac de droit, elle ne serait pas là non plus. Elle n’aurait pas rencontré Victoria, ni Neeli, ni Moira, ni Porter non plus. Ni Cassius, ni Charlene. Son commerce est florissant. La vie à Edimbourg est belle, quoi qu’elle en dise. Il se passe des longues minutes avant qu’elle ne baisse la musique. « Sans la fac de droit, je n’en serais pas là non plus. Tes actes ont aussi eu des conséquences sur ma vie, que tu le veuilles ou non. Il n'y aurait peut être pas Victoria, ni Neeli. Mais il n'y aurait pas non plus les types pour qui tu bosses. Tout serait peut être plus paisible sans... Sans tout ça. Je ne regrette pas les choix que j’ai fais ces dernières années, même s’il y en a des plus discutables que d’autres. Et peut-être que ça n’aurait rien changé mais je suis désolée de n’avoir rien dit, le jour où tu es parti. » Aizah, sur le quai de la gare, était en train de perdre le seul enfant qu’elle a porté et elle avait d’autres choses en tête. Si elle ne regrette pas la vie qu’ils ont, elle s’en voudra toujours de ne pas s’être opposée. Ou de ne pas être montée dans le train. « Arrête toi à la prochaine aire, j’ai besoin d’une pause. » Elle remonte le volume de l’autoradio. Elle ne veut plus en parler pour le moment. Sa main tremble, son corps réclame une dose de nicotine.



Alors, souris.
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Lun 19 Fév - 18:26
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Nadeem commençait à avoir hâte d'être à l'hôpital, ça en disait long sur son état d'esprit. Ça lui faisait physiquement, mal de se disputer avec sa jumelle, peu importait si c'était nécessaire ou non. Il détestait encore plus parler de sa sensibilité. Il préférait souvent ne pas parler des soucis. C'était plus facile, repousser indéfiniment le problème. Le souci était que dans une voiture, la fuite n'était pas une option, de plus, ils semblaient tous les deux trop lancés dans cette conversation pour faire machine arrière.

— Je te crois.

Il grognait un peu. La solitude, Nadeem l'avait connu toute son enfance. Peut-être qu'elle était plus facile à supporter pour lui, il s'était convaincu que c'était un choix éclairé de sa part, mais à l'école de droit, il l'avait subie. Il n'avait réussi à se faire aucun ami et avait été largement moqué par les autres étudiants. Quant à la maison, Nadeem avait eu l'attention de leur mère, mais avait été largement ignoré par Anwar. Chacun avait eu son parent attitré.

— Je ne te le reproche pas, je te dis qu'il serait peut-être temps de changer si ça nous fait du mal, tu ne crois pas ?

C'était rhétorique. Ils avaient quarante ans. Quarante ans. Ils étaient temps d'arrêter ce gâchis, de se remettre sur un chemin qui les rendrait heureux et ne les sépareraient plus. "Tu détestais le cricket !"Sa protestation ne coupait pas sa sœur, elle continuait. Était-elle en train de blâmer l'enfant qu'il était pour la blessure de leur mère ? Il eut un rire aigue, presque hystérique. Ça ressemblait à une mauvaise blague.

— Tu es en train de prouver ce que je dis ! On parle pas de moi dans ces exemples, on parle de vous. On parle de vos vies. Maman a couru pour moi, mais c'est elle qui a couru. Je n'ai jamais demandé à ce qu'elle accoure quand je pleure, au contraire, je préférais être avec toi ou seul, mais elle n'en faisait qu'à sa tête. Ce n'était pas à propos de moi. C'était à propos de sa culpabilité d'avoir fait un fils défaillant. Et ne me lance pas sur le cricket car tu détestais y aller. J'ai fait une crise pour t'aider à avoir la paix, pas par égoïsme.

Si Aizah avait adoré ce sport, il ne se serait jamais permis d'interférer. Elle faisait la gueule d'être obligée d'y aller. Anwar était le seul qui y tenait vraiment.

— Je suis heureux de notre relation et je te serais toujours reconnaissant pour ce que tu as fait pour moi. Mais si tu les fais pour pouvoir me les reprocher par la suite et non pas parce que c'est ce dont tu as envie, je préfère que tu t'abstiennes.

Il pensait que la musique couperait court à la dispute. Il n'aimait pas se prendre le nez avec sa sœur, encore moins sur des choses de plus de vingt ans qu'ils ne pouvaient pas changer. Il commença à taper le rythme avec ses doigts, pour se forcer à lâcher prise. Ça commençait à fonctionner, pile quand Aizah redescendit le volume pour reprendre la parole.

Il leva les yeux au ciel, mais serra les dents pour ne pas devenir réellement blessant ou insultant. La musique, se reconcentrer sur la musique. Il ruminait et s'imaginait lui dire que si elle regrettait tant cette histoire d'école, rien ne l'empêchait d'agir depuis. Elle n'avait rien fait pour l'éloigner de la criminalité quand il lui avait avoué s'être mis dans des histoires qui le dépassaient. Il bossait pour des gars similaires à celui avec qui elle avait entretenu une liaison, sans y couper court en découvrant ce qu'il faisait dans la vie. Elle avait décidé de laisser une grande place aux "mauvais choix" de son frère dans son intimité au point de les inviter dans son lit. Alors elle pouvait prétendre détester ce qu'il avait fait de son diplôme, mais Nadeem se demandait où s'était caché ce dégoût, l'année précédente.

Lui aussi avait besoin d'une pause. Ce silence entre eux le rendait plus claustrophobe encore que la dispute. Il se déporta sur la file de gauche et attendit qu'une aire apparaisse pour s'y arrêter, toujours sans rien dire, toujours les dents serrées. Il fouilla frénétiquement la boîte à gants à la recherche d'un paquet de cigarettes oublié, mais il n'y en avait plus depuis quelques semaines. Il sortit et claqua la portière, fit les cent pas, revint vers sa sœur lorsqu'il sentait qu'il allait exploser s'il ne se mettait pas à parler.

— Imaginons un instant que je n'aie pas fait l'école de droit. Tu sais ce qu'il faut pour percer dans l'Art ? Un réseau. Ta réussite dépend de qui tu connais, c'est comme ça que fonctionne le marché et c'est terrible, c'est injuste, mais c'est la réalité. Avant le droit, je ne connaissais personne. Je n'aurais jamais pu vivre de l'Art et je me serais retrouvé avec un diplôme qui n'aurait eu aucune valeur sur le marché du travail. Si je n'avais pas fait l'école de droit, nous serions en train de nous disputer parce que tu en aurais marre que je vive sur ton canapé. Et j'aurais fini de la même façon, à bosser pour les sales types, mais plus bas dans l'échelle. J'aurais été la chair à canon des mecs qui me mangent actuellement dans la main grâce à mon diplôme. Alors si tu regrettes et que tu as besoin de t'en plaindre, payes un psy mais arrête de me le répéter parce que pour moi, c'est d'une violence inouïe et tu n'as pas l'air de t'en rendre compte.

Il lui tourna le dos pour s'éloigner et respirer un grand coup. Sa colère ne passait pas. Il aurait aimé avoir un truc dans lequel mettre un coup de pieds rageur et s'y possible se casser quelques orteils. La douleur l'aurait forcé à se calmer, ça aurait mis un réel point d'arrêt à tout ça. Il n'était plus en état de conduire, il tremblait et ne parvenait pas à regarder un point précis plus d'une seconde.

— J'ai forcé personne à se mêler de ma vie, bordel. Personne !

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Aizah Zaman
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M(o)use
Pseudo : Elo
Avatar et crédit : Deepika Padukone / Nuit d'Orage <3 (avatar), Gifs : Pow, Signa by Drake (icons : Nuit d'Orage, ellaenys)
CW : Consommation d'alcool, drogue, sexe
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Occupation : Gérante d'une chaîne de magasins de cosmétiques
Âge : 42 Quartier : New Town
Situation familiale : Célibataire
Date d'arrivée à Edimbourg : Décembre 2009
Don : Aizah est une empathe. A l'inverse de son jumeau, elle ressent essentiellement le bonheur des autres et toutes les émotions positives qui en découlent

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Mer 6 Mar - 22:15
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Quand Nadeem lui dit qu’il la croit, Aizah n’a aucune raison de mettre sa parole en doute. En règle générale, elle n’a pas pour habitude de remettre en cause son frère. Aujourd’hui ne fait pas exception, bien qu’ils soient coincés dans un habitacle avec aucune échappatoire à la dispute qui se profile. Les clochettes du départ ont disparu, le silence qui les remplace est presque angoissant. Elle n’a pas l’habitude qu’il ne soit pas heureux en sa présence. Elle n’a pas l’habitude que la conversation s’élève d’un ton non plus. Les jumeaux Zaman ressemblent au reste de la famille, ils glissent les soucis sous le tapis en espérant les faire disparaître. Dans la vraie vie, cela ne fonctionne pas de cette manière. Elle devrait le savoir pourtant. Ils deviennent des monstres tapis dans l’ombre, prêts à leur sauter à la gorge. C’est ce qu’ils font, au pire moment. Ils sont pris au piège dans une voiture lancée à vive allure, ou presque, sur l’autoroute. Le trafic est plus ou moins dense et elle a hâte d’arriver à Leeds, même si elle va devoir affronter le regard de ses parents auxquels elle n’a pas parlé depuis plusieurs semaines.

Le changement. Il n’effraie pas Aizah. Pas toujours. Dans sa relation avec Nadeem, c’est quelque chose qui la terrifie. Ils sont fusionnels. Ils le sont probablement depuis leur conception et il n’y a aucune raison que cela change. L’année dernière, ils se sont perdus en route. Enfin, surtout elle. Elle s’est égarée, prise dans quelque chose de bien plus fort qu’elle. Elle n’est pas du genre à baisser les yeux et à abdiquer mais là, elle a rendu les armes avant de perdre tout ce à quoi elle tenait vraiment. Son frère, en première ligne. Alors le mot qu’il emploie, le changement qu’il propose, la fait grincer des dents. « Je sais pas, Nad. On a toujours fonctionné de cette manière. » Pourtant, elle le trouve injuste dans ses propos. Elle n’a pas plus aimé l’espèce de reproche qu’il nie avoir fait. Dans le fond, il a raison. A quarante ans passés, il n’a plus besoin de personne pour savoir ce qui est bon ou pas pour lui. Il n’a pas besoin qu’on se mette à sa place mais que quelqu’un écoute, même sans comprendre. « Je m’inquiéterai toute notre vie pour toi, tu ne pourras jamais changer ça. » Il aura beau s’agacer, s’énerver ou même l’abandonner sur la prochaine aire. C’est comme cela et il n’en sera jamais autrement.

Finalement, cette conversation n’est qu’une pluie de reproches. Toutes ces choses qui auraient dû être dites bien avant aujourd’hui, bien avant d’en arriver là. Mais pour cela, encore faut il communiquer. Echanger. Le rire sans joie de son frère lui vrille les tympans et elle sent ses narines palpiter sous la colère qui menace d’exploser. Elle ne veut pas Aizah. Elle freine des quatre fers pour ne pas se mettre à hurler à son tour. « Et toi tu nies que tes actes ou tes sentiments ont un impact sur notre vie. Il n’y a pas un coupable en particulier. Nous avons réagi à une situation qui t’arrivait, point. Comme tu réagiras à ce qui arrivera à tes filles ou à Victoria. Ta vie n’est pas complètement indépendante des nôtres, il serait temps que tu l’imprimes. » Elle tourne ostensiblement la tête à gauche. Elle fixe un point dans le vide, elle ne s’excusera pas et elle ne veut plus en parler. « C’est toi qui te poses en ‘fils défaillant ‘. Maman n’a jamais dit une chose pareille. » Elle a mimé les guillemets avec ses doigts. Peut-être qu’Anwar l’a murmuré, un jour. Mais certainement pas Shahnaz. « Tu ne comprends pas… C’est pas la question d’aimer ou pas. Laisse tomber. »  Peu importe, finalement. Oui, elle n’aimait pas. Oui, elle boudait de devoir y aller parce qu’on l’y contraignait. Oui, elle rentrait souvent couverte de bleus. Surement que sur le coup, elle a été reconnaissante envers Nadeem de faire abdiquer ses parents. Mais c’est une activité qu’elle avait avec leur père. Elle aimait passer du temps avec lui, plus que le sport en lui-même. « En quarante ans, je ne t’ai pas reproché grand-chose. » Elle persiffle presque, avant de réclamer une pause.

Aizah n’attends presque pas avant de bondir de l’habitacle. L’Audi est à peine garée que la portière claque dans son dos. Elle laisse Nadeem calmer ses nerfs en cherchant un fond de tabac dans sa boite à gants. Il lui suffirait qu’il lui en demande une, elle la lui donnerait bien que cela déplaise à sa fiancée. Elle ouvre son sac à main et en glisse une entre ses lèvres, elle allume et en inspire la première bouffée en se laissant tomber contre l’aile de la voiture. Elle profite des quelques secondes de calme avant que Nadeem ne revienne à la charge. Une leçon de moral, presque. Elle plisse les yeux sous l’agacement. Il parle et parle encore. Il s’énerve et le voit à la couleur qui prennent ses joues malgré leur teint de peau halée. C'est lui, qui est blessant. Vraiment. Si elle avait été capable de pleurer, elle l'aurait fait à ce moment là. Mais sur l'aire d'autoroute, sa colère et sa tristesse sont parasitées par la joie du départ en week-end. Par les enfants sur le toboggan. Par les amoureux qui partagent un café. Il lui tourne le dos après sa tirade et c'est tant mieux. Aizah se mord la langue pour ne pas être méchante, injuste et réellement violente pour le coup. Ses narines palpitent et elle allume une seconde cigarette avec le mégot de la première. Elle n'a personne pour lui dire qu'elle fait une connerie.

Finalement, après quelques minutes, elle se décolle de la voiture pour aller se planter devant Nadeem. Il ne fuiera pas cette discussion. «C'est bon, t'as fini ? Tu sais ce que j'en pense, moi ? C'est des putains de conneries tout ca ! C'est peut être vrai ton histoire de réseau, mais c'est juste des excuses ! Des autodidactes, il y en a dans tous les domaines. Ça, c'est juste les couleuvres que tu te forces à avaler pour te rassurer et te convaincre que ton choix était le bon. Et c'est ca, les ambitions que tu as pour toi ? L'Art, le droit ou la criminalité ? C'est tout ? Si t'es  pas avocat, t'es dealer. Bravo. C'est vrai qu'il n'y a que deux carrières au Royaume-Uni. Très bien, on en parle plus, de mes regrets. Mais moi tu vois, je pensais que les frères servaient à ca, aussi. Écouter les regrets d'une sœur mais visiblement, ça ne marche que dans un sens. Donc ok. Et pour ta gouverne, à partir du moment où tu t'es engagé avec Vaughn et ses comparses, tu nous as tous entrainés avec toi ! Tes problèmes sont les nôtres que tu le veuilles ou non ! C'est nous qui n'avons jamais demandées à y être mêlées. Demandes donc à Vee, je suis sûre qu'elle sera d'accord avec moi ! Donc arrête avec tes grands discours, tu ne vaux pas mieux que nous !» Elle le fusille du regard avant d'aller récupérer son sac dans le coffre. Hors de question de continuer dans ses conditions. « Tu sais quoi, j'en ai marre ! Je continue en Uber. » Elle a oublié Aizah, tout à sa fureur. Oublié que les types comme Vaughn ont probablement des yeux et des oreilles partout. Oublié que son principal comparse est Porter qui est, avant toute autre chose, un ami de son frère. Oublié qu'elle n'est pas sensée être au courant et que tout n'est pas si simple. Le monde n'est pas manichéen, il n'est pas fait de noir et de blanc. Mais là, elle n'est pas capable de voir autrement. Son point de vue opposé à celui de son frère. Aizah a un caractère et des épaules suffisamment solides pour affronter ce genre de discussion mais, aujourd'hui c'est elle qui fuit. Aujourd'hui, face à Nadeem, elle est juste humaine.




Alors, souris.
“ Dans 150 ans, on s'en souviendra pas, de ta première ride, de nos mauvais choix. Du temps qui avance, de la mélancolie. De la chaleur des baisers, de cette pluie qui coule. De l'amour blessé et de tout c'qu'on nous roule.”
Nadeem Zaman
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Occupation : Avocat pénaliste, mais il sait à qui il doit sa réussite, Nadeem. Aux trafiquants, aux voyous, à sa moralité défaillante. (cabinet sur Princes St)
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Situation familiale : Fiancé à Victoria, beau-père de Moïra, père de Neeli
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Don : Empathe + Nadeem a une affinité particulière avec la tristesse. Il peut ressentir la mélancolie ou le désespoir des autres comme si c'était le sien. Il lui arrive même d'avoir un aperçu des souvenirs tristes de ses proches.

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Jeu 21 Mar - 23:50
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Nadeem commençait à avoir le sentiment qu'ils tournaient en rond. Il répétait que les regrets d'Aizah lui brisaient le cœur, elle insistait pour les lui envoyer au visage quand même. À part pour blesser l'autre, la conversation devenait inutile. Ce n'était pas totalement à qui hurlerait le plus fort, car un certain respect demeurait entre eux. Il ne suffisait pas d'un peu de tension pour tout balayer non plus, pas entre eux. S'ils ne s'aimaient pas, ils ne se disputeraient pas à propos de ça, à propos de celui qui s'inquiétait le plus pour l'autre.

- Tu ne peux pas vivre qu'à travers moi.

Il grinça, amer. Ce n'était pas plus un reproche qu'une demande. Elle devait vivre sa vie, avoir ses projets, ses aventures et Nadeem serait là pour elle autant qu'elle était là pour lui. Elle n'avait plus besoin de mettre sa vie entre parenthèses à chaque variation d'humeur de son jumeau. Il se gérait, à sa façon, un peu bancalement, en s'appuyant tantôt sur elle, tantôt sur Victoria ou sur un autre de leurs proches.

- Maman n'a pas besoin de le dire. Il y a des choses que je peux comprendre même sans mot.

Il ne pouvait pas répondre à tout mais sélectionnait là où il avait les meilleurs arguments. Il était vrai qu'il y avait des déceptions qu'il captait dans le silence. Sa mère portait une culpabilité vis-à-vis de son fils qu'elle n'avait pas en regardant sa fille. Elle ne se sentait pas coupable d'avoir mis au monde quelqu'un qui n'était pas adapté aux challenges qui l'attendaient.

Il aurait aimé laisser tomber avec plaisir, quand Aizah l'invitait à le faire. Ça commençait à faire trop, trop pour qu'il puisse le démêler comme ça le méritait. Mais il restait une lourdeur dont il voulait se dégager avant de réfléchir à une trêve. Il se lança dans une tirade qu'il jugeait nécessaire, au point d'en être essoufflé.

- Victoria a fait son choix. Je lui ai laissé le choix, elle a pris sa décision. Je ne l'ai pas mise devant le fait accompli après avoir eu un enfant avec elle. Elle m'en a voulu et m'en veut encore mais tout n'est pas aussi blanc et noir que tu le dis. Et un frère écoute les regrets de sa sœur, oui, sauf quand les regrets est l'existence de Neeli !

Sa sœur faisait déjà le tour de la voiture, sous l'air agacé de Nadeem.

- Super !

Il donna un coup de pied dans le premier gravillon que sa semelle trouva, juste pour jouer au petit garçon mécontent. S'il ravalait ses autres émotions, la colère était toujours celle qui s'échappait avec le plus de facilité. Il ignorait comment la retenir. Il verrouilla la voiture et s'éloigna, dans une quête désespérée pour un thé. Peu importe s'il n'aurait qu'un goût d'eau vaseuse à cause du mauvais entretien de la machine de l'aire d'autoroute. Il voulait qu'une eau chaude vienne cramer ses muqueuses et que de la caféine calme les tremblements de sa main. Il en bu deux, d'une gorgée chacun, avec l'espoir irrationnel que cela accélérerait l'apparition des premiers effets.

Il réussit à trouver une cigarette, offerte par un groupe de jeunes hommes et femmes de maximum 30 ans visiblement en route pour des vacances, avec qui il resta deux minutes pour écouter les blagues et taquineries qu'ils s'échangeaient gaiement. L'un d'eux ressemblait à Raj, avec des cheveux noirs légèrement trop longs, qui s'échappaient par mèches folles d'une casquette grise. Il n'était pas plus grand que Nadeem, pas plus épais non plus, mais avait le même sourire que son ami d'enfance. Un fossé les séparait. Eux, dans l'innocence du moment, excité par l'idée de partager une maison louée spécialement pour l'occasion. Lui, qui se forçait de sourire alors que les cris échangés avec sa sœur tournaient encore dans son crâne. Il savait qu'il y avait des blessures qu'ils ne pouvaient pas entièrement partager, peu importe à quel point ils étaient proches et à quel point ils s'aimaient.

Il avait languit sa dose de nicotine pendant plus de dix minutes mais l'écrasa dans le cendrier avant qu'elle ne soit consommée à moitié. Ses pas le ramenèrent vers la voiture où sa jumelle était encore là. Il ne fut ni surpris ni déçu, encore moins agacé. Il lui fit un sourire pour signifier que la paix était faite, si elle en avait elle aussi envie. Il avait eu le temps de remuer et comprendre le point de vue de sa sœur, sans trahir ses propres émotions et ressentis sur les choix qu'ils avaient fait.

- On repart ou t'as encore besoin de quelque chose ? J'ai de la monnaie, si tu veux un truc à boire.

Il tapota sa poche et fit carillonner les dernières pièces qui y restaient. À peine assez pour un thé ou un café au lait, mais ce n'était pas comme s'ils allaient s'installer pour prendre un cocktail sur le bord de l'autoroute. C'était simplement pour offrir à Zaiah ce dont elle avait besoin pour le reste du trajet, en espérant que les bouchons se déssèrent dans les vingt minutes à venir, avant que Nadeem ne devienne fou.

- Tu prends le volant ?

Il proposa d'un ton léger, quoi qu'abîmer par la cigarette. Il avait besoin d'un peu plus de temps pour se calmer et peut être même d'une vingtaine de minutes de sieste. Non, mieux qu'une sieste, une vingtaine de minutes de karaoké sur une radio diffusant du rap de la première décennie des années 2000.

@Aizah Zaman



Rappelle-toi avant l'orage, quand la ville était calme et tes mains autour de moi.


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Lun 15 Avr - 10:42
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C’est facile à dire, en fait. Aizah coule un regard en coin à son jumeau avant de tourner ostensiblement la tête du côté de la vitre. Il ne comprend pas, il voit les choses dans son prisme à lui. Depuis leur naissance, on lui a demandé de vivre au travers de Nadeem. Toute la famille vit au travers de lui, sous l’impulsion d’une mère bien trop protectrice. Peut-être que si elle n’avait pas fait une montagne d’une écorchure au genou ou de la moindre larme roulant sur ses joues, les jumeaux n’en seraient pas là non plus. Leurs parents ne leur ont jamais donné les armes pour affronter le monde extérieur et avoir la maîtrise complète de leurs propres émotions. Ils sont des adultes dysfonctionnels et c’est dans des moments pareils qu’Aizah est bien contente de ne pas avoir, en plus, à gérer les émotions d’un enfant. D’un doigt, elle frotte la peau entre ses sourcils parfaitement dessinés, sentant venir le mal de tête. La conversation devient une compétition pour savoir lequel des deux s’inquiètent le plus pour l’autre. C’est le serpent qui se mord la queue, c’est inutile et blessant. D’autant que l’atmosphère s’alourdit à mesure que le ton monte entre eux.

Nadeem est ce genre de personne qui a réponse à tout. Aizah le sait, depuis le temps. Mais il retourne systématiquement tous ses arguments contre elle mais le dernier, il lui arrache un sourire en coin entre le sarcasme et la moquerie. « T’es bien prétentieux. Tu sais ce que pense les autres maintenant ? Je sais qu’il s’agit de maman mais quand même, nous ne sommes pas dans sa tête. » C’est sûrement plus facile comme ça. Se poser en fils défaillant pour excuser tous ses écarts de conduite. C’est une excuse toute trouvée, chapeau. Seulement, Aizah sait que leur mère ne le pensait pas. Elle en est persuadée. Shahnaz le voyait comme une petite chose à protéger mais certainement pas comme défaillant. Anwar peut être, mais certainement pas leur mère. Ils n’ont pas été aimé de la même manière par leurs parents. Anwar compensait la fragilité de son fils par l’apparente force de caractère de sa fille et Shahnaz s’en servait comme d’un bouclier. Nadeem a été bien trop couvé par leur mère et brusqué par leur père. Rien n’allait, Aizah s’en rend compte maintenant.

Le ton est tellement monté qu’une pause fut nécessaire avant de planter la voiture dans une barrière de sécurité. Ils n’auraient pas risqué grand-chose vu la vitesse réduite par les bouchons mais quand même. Aizah répond à sa tirade par une diatribe du même acabit. Cela commence sérieusement à l’agacer toutes les excuses qu’il se trouve pour justifier la carrière dans laquelle il s’est lancé. Le choix prétendument laissé à Victoria par Nadeem la laisse perplexe. Aizah a en mémoire tout ce que son amie lui a dit le soir où elle est allée dormir chez eux. « Elle est rentrée pour toi ! Tu crois vraiment qu’elle allait faire un choix différent ?! Quand on est sûr de la réponse, c’est pas tellement un choix qu’on laisse. » Elle commence à faire le tour de la voiture avant de se stopper quand il évoque Neeli. Aizah a eu du mal à aimer ses nièces. Cela lui a pris du temps, vraiment. Plusieurs longs mois mais maintenant, elle n’imagine pas tellement un monde où elles sont absentes. Alors, elle fronce les sourcils, son regard devant encore plus sombre qu’une nuit d’orage. « Tu sais ce que je regrette, moi ? Je regrette les nuits que tu as passées sur mon canapé à pleurer. Je regrette de pas avoir compris ce que tu fabriquais à Londres alors que Victoria s’imaginait tout et n’importe quoi. Je regrette que tu aies pas trouvé le courage de me parler de son retour. Et oui, même si c’est violent pour toi, je regrette de pas t’avoir encouragé à commencer une autre voix. Et tu sais quoi, je compte pas m’excuser pour ça ! Mais jamais, je ne regretterai la naissance de Neeli. » Et puis qu’il aille au diable, après tout. Il vient bien de lui dire qu’elle ne peut pas vivre qu’à travers lui alors elle compte bien retrouver seule le moyen de se rendre à Leeds. Ce n’est plus si loin.

Le coffre claque quand elle le ferme après avoir repris son sac. Comme Nadeem s’éloigne, elle s’appuie sur la carrosserie et, une énième cigarette coincée entre ses lèvres, elle scrolle sur son téléphone pour chercher un Uber. Mais ses doigts tremblent et ses yeux regardent l’écran sans réellement le voir. Elle n’a pas tellement l’habitude de bouder, ni même de se fâcher avec son frère. La dernière dispute, si violente, remonte à plusieurs mois maintenant. Et dans toute leur vie, elles doivent se compter sur les doigts d’une seule main. Alors, quand il revient, elle lève la tête vers lui. Il sourit de ce sourire qu’il fait quand il veut faire la paix. Son coeur tambourine encore violemment dans sa poitrine, encore emballé par la pression mise par l’engueulade. Elle jette son mégot par terre et l’écrase du bout de sa bottine. Ils sont là pour apporter du soutien à leur tante, pas pour se déchirer de la sorte. « Non, c’est bon. On peut y aller. » Se retournant, Aizah remet son sac dans le coffre de la voiture de son frère avant de contourner le véhicule pour reprendre sa place. « Si tu veux. » Elle attrape les clés du véhicule puis prend l’autre aile pour arriver du côté conducteur.

Elle manœuvre pour sortir de l’aire puis s’engage sur l’autoroute. Les quelques premiers kilomètres se font toujours à pas de loups parce que c’est embouteillé mais quand le trafic devient plus fluide, Aizah appuie sur le champignon en zigzaguant entre les voitures. « Si je me fais arrêter pour excès de vitesse, je trouverai sans peine un bon avocat. » Elle lui coule un regard en coin avant de sourire. Il va lui falloir du temps pour oublier tout ce qu’ils viennent de se dire mais elle ne peut pas rester fâchée avec Nadeem. « Alors, qu’est ce qu’on chante ? » Un road trip avec son jumeau n’en est pas vraiment un sans karaoké et sans fish n’ chips.




Alors, souris.
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Lun 29 Avr - 16:01
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Ça commençait à aller trop loin. À chaque nouvelle réplique, Nadeem avait l'impression de se prendre une gifle. Il avait toujours cru que sa jumelle le connaissait mieux que personne, mais en l'écoutant, il comprenait qu'il avait enjolivé la situation. Elle aussi était perdue quant à la sensibilité de son frère. Elle l'accusait de ne pas être dans la tête de leur mère, c'était un choc. Une froideur subite qui se répandait dans ses veines et congelait ses muscles. Il aurait voulu arrêter de regarder la route pour se tourner vers elle et lui laisser voir à quel point il était surpris par ce qu'elle venait de dire. Comment pouvait-elle être si loin de la réalité, après quarante ans à le fréquenter ?

— Bien sûr que je sais ce que les gens pensent quand ils sont tristes. C'est ce que j'essaie de t'expliquer ! Nous sommes dans la tête de maman. Du moins, moi je le suis et je pensais que tu l'étais avec. Comment tu peux me balancer ça, bordel ?! Si je suis prétentieux, toi tu es aveugle.

Il continuait à s'énerver. C'était là tout le problème de son enfance : il était dans la tête des gens lorsqu'ils allaient mal. Il avait été dans le crâne de sa mère trompée et de la voisine qui avait fait une fausse-couche tardive. Il connaissait la culpabilité de Shahnaz pour avoir mis au monde un fils qui ne subissait que le pire côté de son empathie. Tout ça avait créé de vraies fragilités en lui, les fragilités l'avaient obligé à trouver des stratégies pour les compenser, les stratégies avaient mené à de mauvais choix.

Au moins, arrêté sur une aire d'autoroute, Nadeem était plus libre de ses mouvements. Il pouvait sortir et s'agiter pour passer son énergie autrement qu'en haussant le ton. Il y avait eu une erreur stratégique qui l'empêchait de passer à autre chose ; rajouter le prénom de Victoria dans la dispute ne pouvait pas apaiser les Zaman, au contraire. Il y avait deux relations dont Nadeem n'aimait pas discuter avec les autres : celle à sa sœur et celle à sa fiancée. Combien de fois Victoria avait-elle entendu "ne te mêle pas de ma relation avec Zaiah !", parfois crié, parfois sifflé entre des dents serrées.

— Je n'étais sûr de rien et elle est rentrée pour mille raisons qui ne sont pas toutes liées à moi. Elle est la raison pour laquelle je veux décrocher, alors je ne sais pas pourquoi tu me la jettes au visage comme si je ne savais pas ce que je lui ai fait subir. Mais elle avait le choix.

Subir à Victoria, mais aussi à sa sœur et certainement à Shahnaz également, car si lui était dans la tête de sa mère, l'inverse était d'autant plus vrai.

— Tu sépares les choses comme si rien n'était lié.

Il grogna une dernière fois abandonnant pour de bon la conversation pour aller prendre un thé et une cigarette. N'importe quoi qui pouvait lui occuper les mains et lui donner des sensations physiques pour l'arracher à la spirale de ses pensées. Nadeem avait toujours été de ceux qui ruminaient et qui finissaient par ne pas dormir de la nuit à force de se refaire les conversations dans la tête. Il avait besoin de comprendre comment sa sœur et lui avaient pu déraper à ce point. Alors qu'il commençait à avoir des vagues débuts de réponses, il estimait que c'était suffisant pour le moment. Le nœud nécessitait plus de dix minutes pour être démêlé. Ils ne devaient pas oublier le motif de leur voyage et leur tante blessée.

La tension était encore présente mais il souffla son soulagement lorsqu'Aizah accepta de remonter en voiture. Il la laissa ajuster le siège conducteur en s'enfonçant dans le sien, le corps fatigué d'être resté énervé aussi longtemps. Il ferma les yeux, conscient qu'il ne trouverait pas le sommeil. La reprise de la conversation le fit sourire. Les choses s'apaisaient à leur rythme.

— Je serais nul pour te faire éviter le PV. J'ai la fâcheuse tendance à aggraver les affaires où je mets mon nez.

C'était son ressenti, depuis quelques mois. Les procureurs en avaient marre de l'avocat qui tordait les règles du jeu. Les flics devenaient méfiants à force de voir leurs collègues commettre des erreurs qui libéraient les clients de Nadeem. Le système pénal d'Édimbourg l'avait pris en grippe. Il était vraiment temps qu'il raccroche. Il n'eut pas besoin de le dire à voix haute, pour le coup il était certain qu'Aizah devinait que sa situation devenait insoutenable.

Pour répondre à sa sœur, il sourit et alluma la radio. Ils tombaient sur du Calvin Harris, ce qui lui fit froncer le nez. Il n'avait pas vraiment d'affinité particulière avec la musique électro. Il lança une playlist top 50 - 2002 qui démarrait par un titre qui se rapprochait déjà plus de ses goûts. Il chantonnait à voix basse, concentré ni sur la musique ni sur la route. Il rêvassait, repensait à sa tante à l'hôpital. Il aurait préféré passer la journée bloqué dans cette voiture et les embouteillages plutôt que mettre les pieds dans un lieu de soin, mais il le ferait pour Jennat. Ils étaient partis sans hésiter, sans tenter de négocier pour repousser le voyage.

— Il y a une chance sur deux pour qu'on arrive et qu'on découvre Jennat debout, à dire à son médecin qu'elle préfère se soigner sur un roof top à Brighton.

Il ne savait pas s'il y avait beaucoup de roof top là-bas, mais l'ambiance collait. Sa tante avait décidé de vivre pleinement sa vie. Elle était la plus sauvage des Zaman, devançant de très peu Aizah.

— Comment ça se fait, que la solitude ne vous fasse pas peur ? Enfin, tu m'as moi, tu m'auras toujours. Mais sur le reste.

La question avait glissé toute seule. Aizah avait été plus heureuse divorcée que mariée. Jennat n'avait jamais gardé un partenaire très longtemps. Nadeem, après sa rupture avec Victoria, s'était mis en couple avec toutes les femmes qui avaient bien voulu de lui. Il n'arrivait pas à comprendre.

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Jeu 23 Mai - 9:48
TRAFFIC

La conversation était en train de leur échapper. Jamais les jumeaux ne se sont disputés à ce point, jamais ils ne se sont balancés de telles horreurs à la tête. Aizah est injuste mais aussi terriblement en colère. Elle sait que ce sentiment ne va pas rester trop longtemps, qu’il va s’évaporer aussi vite qu’il est apparu. Mais là, tout l’agace. Le fait que Nadeem se pose encore en vilain petit canard de la fratrie alors qu’il a toujours été l’enfant choyé. Leur sensibilité n’a jamais été un sujet de discussion alors que cela aurait dû être le cas. Leurs parents étaient censés leur donner les clés pour affronter le monde en composant avec leur empathie. Cela n’a jamais été trop compliqué pour Aizah. Le bonheur sonne à ses oreilles comme une mélodie tantôt réconfortante, tantôt entraînante. Elle se rappelle des samedis après-midi passés au musée avec son frère, la journée rythmée par un carillon doux. C’est comme cela que se manifeste le bonheur de Nadeem. Un carillon qui serait balloté par une brise légère. Mais là, dans la moiteur de l’habitacle, il n’y a pas de carillon. Il n’y a pas de bonheur, pas de joie. « Et ça t’étonnes que je ne sache pas, vraiment ? Vous avez toujours refusé d’en parler ! Que cela soit toi ou maman. Papa on en parle même pas. Cela a toujours été un sujet tabou à la maison. Et voilà où on en est, quarante ans plus tard. » Aizah sait ce que son frère ressent quand il est aux prises avec des émotions négatives. Elle sait qu’il les ressent lui aussi, qu’elles le touchent lui aussi d’une manière plus ou moins incapacitante. « Je ne suis pas dans la tête des gens… La joie sonne à mes oreilles comme des cloches. Mais je n’entends pas leurs pensées, heureusement. » Sa voix est un peu plus calme, elle a balancé ça en vitesse avant de se tourner vers la vitre passager.

Aizah saute de la voiture à peine celle-ci stoppée sur l’aire d’autoroute. Tout se mélange, la colère et la culpabilité. Elle s’en veut un peu. Son empathie est un million de fois plus supportable que celle de son frère. Elle n’entend pas les pensées, seule l’intensité des cloches varie en fonction des situations. Il n’y a que Stud qui a détraqué ce métronome, avec sa joie malsaine et le bonheur de voir les gens tomber. Un gong assourdissant, semblable au glas d’une cloche d’église, l’a assaillie durant des jours et des jours. Sa tristesse est sans cesse polluée par les petits bonheurs quotidiens des gens qui l’entourent. Mais elle a la satisfaction de se dire qu’elle n’est dans l’esprit de personne. Le fait d’être garés et à l’air un peu prêt frais n’apaise pas les tensions pour autant. Victoria est mêlée à leur échange alors qu’elle n’a rien à y faire. « Il n’empêche que tu es l’une des raisons pour laquelle elle a refusé de se marier avec Mark. Elle m’a dit, le soir où tu m’as envoyée chez vous : ‘je n’avais rien à lui reprocher mais il n’était pas ton frère.’ Alors peut être que tu n’es pas la seule raison de son retour mais arrête de faire comme si tu en étais étranger ! Je sais même pas pourquoi on discute de ça, putain. » La situation dans laquelle se trouve Nadeem a été imposée à l’ensemble de la famille. Victoria a peut-être eu le choix, mais ce n’est pas son cas à elle ni à celui de ses parents. « Je ne sépare rien du tout. » Son frère est injuste. Comment lui reprocher la naissance de sa fille ? Il savait que, si Aizah a eu du mal avec Moïra, elle s’est tout de suite montrée enjouée à l’annonce de l’arrivée de Neeli. Bien qu’elle ait eu du mal à supporter de devoir partager l’attention de son frère avec sa belle-sœur avec qui les rapports étaient compliqués à l’époque.

Si l’idée de départ était de prendre un Uber pour continuer la route jusqu’à Leeds, Aizah scrolle son téléphone sans forcément regarder ce qu’il s’y passe. Elle ignore comment ils en sont arrivés là mais elle a le sentiment que cela était nécessaire. Elle ne saurait dire exactement comment elle se sent mais elle ne peut s’empêcher de penser que cela est un mal pour un bien. La pression retombe et sa colère avec. Elle reste à proximité de la voiture, pour être sûre de retrouver son jumeau quand celui-ci aura fini de bouder et qu’il daignera revenir. Cela lui prends le temps de deux cigarettes, fumées coup sur coup pour s’occuper la main libre. Elle accepte de remonter en voiture et même de conduire. Elle replace son sac dans le coffre, ils ne doivent pas perdre de vue la réelle raison de ce voyage. La blessure de Jennat. Même si franchement, Aizah est certaine de la retrouver à péter le feu et à râler après les médecins qui ne voudront pas la laisser sortir. Elle tente un trait d’humour, pour détendre l’atmosphère, après avoir lancé la voiture dans le trafic. « Tu es un bon avocat, Nadeem. » Ce n’était pas ses études de prédilection mais il y excelle, on ne peut pas lui retirer ça.

Le pauvre Calvin Harris est zappé pour une playlist convenant mieux aux jumeaux. Du rap du début des années 2000. Elle chantonne les paroles, en oubliant la moitié parce qu’elle est concentrée sur les voitures devant eux. Chanter et conduire lui permet de penser à autre chose qu’à la dispute qu’ils viennent d’avoir. « Je dirais même qu’il y a plus d’une chance sur deux pour que cela se passe comme ça. Je suis sûre qu’elle va nous demander de l’accompagner boire un verre ce soir. Tant pis si elle est en béquille. Elle trouvera encore le moyen de danser ! » Aizah sourit à l’image. Jennat est un membre important de la famille, que cela soit pour Nadeem ou pour elle-même. Jennat est la seule même des Zaman à partager son mode de vie.

La question de son frère la prend au dépourvu. Un peu plus tôt dans la journée, elle lui a pourtant dit qu’elle n’avait pas vécu très bien le fait de se sentir seule. Aizah comprends, à la fin de sa question, où il veut en venir. « Longtemps, elle m’a effrayée tu sais. J’ai accepté de me marier à Pablo, poussée par maman. Quelques années après, j’ai appelé Porter. Je l’ai fait parce que je ne voulais pas me sentir seule. C’est une sensation horrible, j’avais l’impression d’un poids sur la poitrine. Mais avec le temps, j’ai compris que ce n’était pas une fin en soi. Je veux dire, je n’ai pas tellement besoin d’un homme dans ma vie. Si j’en trouve un, tant mieux. Il vaut mieux être seule que mal accompagnée. » Aizah sait désormais qu’elle n’est pas faite pour être une bonne épouse et une bonne mère au foyer, n’en déplaise à ses parents. « Tu m’auras toujours, aussi. J’ai pas été la meilleure des sœurs ces derniers mois. » Elle hausse les épaules, elle sait que les choses ne peuvent aller qu’en s’arrangeant désormais. « Tu crois que papa et maman seront déjà là ? » Ils dépassent une pancarte annonçant Leeds à une vingtaine de miles seulement et Aizah sent son appréhension grandir.  




Alors, souris.
“ Dans 150 ans, on s'en souviendra pas, de ta première ride, de nos mauvais choix. Du temps qui avance, de la mélancolie. De la chaleur des baisers, de cette pluie qui coule. De l'amour blessé et de tout c'qu'on nous roule.”
Nadeem Zaman
Nadeem Zaman
Questionable morality
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Pseudo : Nuit d'orage
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CW : Criminalité et violence
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Occupation : Avocat pénaliste, mais il sait à qui il doit sa réussite, Nadeem. Aux trafiquants, aux voyous, à sa moralité défaillante. (cabinet sur Princes St)
Âge : 42 Quartier : New Town (West End)
Situation familiale : Fiancé à Victoria, beau-père de Moïra, père de Neeli
Date d'arrivée à Edimbourg : 2010
Don : Empathe + Nadeem a une affinité particulière avec la tristesse. Il peut ressentir la mélancolie ou le désespoir des autres comme si c'était le sien. Il lui arrive même d'avoir un aperçu des souvenirs tristes de ses proches.

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Dim 2 Juin - 16:27
Traffic
La voiture était à l'arrêt, mais les jumeaux étaient encore lancés. Ils profitaient de leur élan pour voir jusqu'où ils pouvaient aller sans s'essouffler et la réponse était : pas bien loin. Déjà en temps normal, Nadeem préférait couper court aux disputes, mais l'apparition du prénom de sa fiancée dans le mix renforçait cette envie. Aizah l'avait balancé là, son frère abandonnait.

— Moi non plus.

Avouait-il en un soupir agacé. Elle ne lui disait rien qu'il ne savait pas déjà, mais il avait perdu le fil ou n'avait pas saisi le rapport entre ça et la conversation initiale. Son esprit commençait à fatiguer de ces cris et de cette dispute sans queue ni tête. Après quelques dernières balles envoyées sans viser, il quitta tout. Il voulait de la nicotine et un thé, même le plus dégueulasse sorti d'une machine d'aire d'autoroute.

• • •

Reprendre la route redonnait un rythme normal à la journée. Nadeem aurait pu observer le paysage morne de l'autre côté des petites barrières. Une végétation grisée par la pollution. Il préférait fermer les yeux et se reposer. Il se sentait vidé de son énergie, après une matinée à tourner à l'adrénaline. La tentative de sa sœur réussit à lui arracher un sourire. Il secouait la tête pour corriger le léger malentendu qu'il s'installait. Il ne disait pas qu'il était mauvais. Il énonçait une vérité qui ne remettait pas en question ses compétences. C'était parce qu'il était bon que les flics étaient en tension en le voyant.

— Je suis un avocat incroyable. Le meilleur avocat de la ville ou presque.

Du moins, dans sa spécialité. Il ne se pensait pas meilleur que maître Bowen et il ne disait pas ça en se sentant vantard, simplement lucide, car de ce statut de quasi-#1, il peinait à tirer de la satisfaction. Il n'ignorait pas pourquoi il était si bon : parce qu'il s'affranchissait des règles qui ne lui convenaient pas. Félicitations à lui, pas vrai ? Cette pensée le rendait cynique. Il remua pour s'installer contre la fenêtre et alluma la radio. La bonne playlist trouvée, il put laisser sa main retomber.

— Ça m'inquiéterait qu'elle ne tente pas de s'enfuir de sa chambre d'hôpital par sa fenêtre. Là, on saurait que c'est grave.

Il rit à cette image. Aizah avait raison : ils finiraient leur soirée dans un bar. À un moment ou à un autre, il aurait une cigarette dans la bouche et cette pensée lui plaisait. Il pourrait blâmer sa tante pour la reprise de cette mauvaise habitude et se promettre pour la millième fois qu'il arrêterait prochainement. Un prochainement très flou et sûrement temporaire. Il y avait une nostalgie attachée à son addiction, peut-être était-ce pour cette raison qu'il lançait des sujets qui n'avaient rien de joyeux. Il retenu du mieux qu'il pouvait une grimace à l'évocation du prénom de son ami, par respect pour sa jumelle qui ne faisait que répondre à la question qu'il venait de poser.

— C'est pas forcément un homme...

Il réalisait que ses propos prêtaient à confusion.

— Je veux dire, pas forcément un couple : un enfant, un colocataire, quelqu'un vers qui rentrer le soir, tu vois ? Une personne au-delà de toi et moi.

Il ne planifiait pas d'abandonner sa jumelle et il ne disait pas ça pour l'inciter à trouver quelqu'un pour le remplacer. Il était simplement curieux, car ni Jennat ni Aizah ne semblait être terrorisée par l'idée de ne pas avoir d'enfant, de ne rien laisser derrière elles après leur mort. De simplement disparaître. À force de fricoter avec la mort, Nadeem s'était accoutumé à des pensées noires.

— Je n'ai pas besoin de la meilleure des sœurs, j'ai besoin de toi.

Il tapota gentiment l'épaule de sa jumelle, dans un mouvement maladroit à cause de sa fatigue. Il ne croyait pas en la perfection, alors il ne voyait pas pourquoi elle s'excusait. Lui aussi pourrait demander pardon. Il s'était mêlé de ses affaires et, face au sentiment d'impuissance que ça lui produisait, avait fait la gueule de son côté. Nadeem n'avait pas seulement été un frère bancal ces derniers temps, il avait aussi été un être humain pourri.

— Je ne pense pas. Ils arriveront ce soir ou demain, j'ai pas vraiment compris.

Il s'était fait téléphoniquement sauter dessus par ses parents dès le réveil, il n'avait pas pu écouter, comprendre et retenir chaque mot prononcé. Ça aurait été surhumain. Il regarda la pancarte annonçant l'entrée en ville sans réaction, sans être capable de décider s'il était soulagé d'être arrivé ou non.

@Aizah Zaman



Rappelle-toi avant l'orage, quand la ville était calme et tes mains autour de moi.


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