Evidemment, il y a la rééducation après. Cela me mettait presque le moral dans les chaussettes alors que c'était une étape indispensable pour retrouver toutes les facultés motrices d'un bras laissé à l'abandon pendant un mois. Aussi, pouvoir le faire en compagnie d'une amie était une alternative réjouissante, et j'étais content et flatté que Iona propose l'idée. "Je te partagerai tous mes exercices et tu me partageras les tiens, et on verra ce qu'on peut faire" plaisantais-je en passant ma main valide sur son épaule valide également. Le bras et l'épaule n'avaient pas les mêmes besoins, mais il y avait certaines choses à travailler qui étaient tout de même similaires. Je sentis Iona se raidir sur le coup lorsque je fis ce geste, puis instantanément se détendre. "C'est mon travail" me justifiais-je lorsqu'elle me remercia de s'occuper de son fils. Mais je comprenais son ressenti. Moi aussi, je faisais confiance aux médecins traitant la maladie de Ian et je leur en était reconnaissant chaque jours de voir son espérance de vie évoluer.

Décidément, je ne savais pas si la jeune femme avait besoin de compagnie ou si elle souhaitait vraiment la mienne en particulier mais son enthousiasme faisait plaisir à voir et je riais de bon coeur. "Bien sûr qu'on va fêter ça !". Je ne savais ou ni comment, mais on ne nous laisserait pas revenir travailler dans l'ombre comme si rien ne s'était passé.

Je proposais enfin à la jeune femme de la guider vers la sortie et même jusqu'a l'arrêt de bus. Je ne savais pas si nous prenions le même, je ne savais même pas ou elle habitait car je n'étais jamais allé chez elle. Nous nous retrouvions quasiment tout le temps au parc, et j'avais cru comprendre qu'il n'était pas loin de nos deux logements, mais de là à dire que nous vivions dans la même rue ! "Ah ça, je comprends. Les hopitaux, c'est toujours un labyrinthe, même nous on s'y perd, alors imagine quand il y a des travaux". Je la suivais dans le couloir direction l'ascenseur. Attendant que la bête arrive, je réfléchissais à la question de Iona. "Tu sais, je ne suis pas là depuis si longtemps, alors j'ai encore quelques difficultés. D'ailleurs le plus souvent je me contente d'aller du parking au service pédiatrie, donc si tu me demandais de t'indiquer le bloc opératoire, je te regarderai avec des yeux de merlan frit". Et puis certaines personnes avaient plus de sens de l'orientation que d'autres. Je la laissais passer à l'intérieur en appuyant sur le bouton du 0 et les portes se refermèrent avec un petit cling. A l'intérieur, une femme, assez enceinte, descendait assurément à la maternité. Quand à savoir pourquoi elle déambulait à un étage supérieur, cela était toujours un mystère. Peut-être qu'il y avait un enfant, chez moi, qui venait de recevoir sa visite.

La femme s'arrêta en effet au premier nous laissant Iona et moi continuer en silence jusqu'au rez-de-chaussée. De là, nous parvenaient déja les bruits caractéristiques du hall ou des gens entraient et ressortaient chaque minute de chaque journée. "J'ai hâte de pouvoir conduire de nouveau aussi" grommelais en passant les portes vitrées de l'entrée. Le bus c'était bien mais on était conditionné aux horaires et à cotoyer des gens malades.

Iona rit et hocha la tête de haut en bas. Elle ne savait pas si leurs kinésithérapeutes respectifs seraient très contents de les voir se partager leurs exercices, mais pour Iona, cela pouvait être enrichissant. Elle ne ferait pas de bêtises de toute façon, elle avait bien trop envie de guérir pour ça. Elle inclina légèrement la tête alors qu'il balayait ses remerciements par une simple justification. C'était son travail, mais il le faisait bien. N'était-il pas normal de montrer sa reconnaissance ? Les médecins en avait besoin, non ? Elle se contenta de secouer doucement la tête de droite à gauche pour passer à autre chose.

-On aura qu'à aller prendre une glace avec les garçons.

Ce serait, assurément, plus une fête pour les deux petits monstres que pour leurs parents, mais c'était aussi une très bonne excuse pour se faire un plaisir coupable en tant qu'adulte.

Elle fut un peu surprise quand il lui avoua que les soignants aussi se perdaient dans l'hôpital. Elle avait du mal à l'imaginer mais finalement... Ce n'était peut-être pas elle qui avait un sens de l'orientation complètement nul, c'était peut-être simplement humain.

-Ah oui... Ca doit être un sacré bazar ! Puis entre les patients et le personnel de l'hôpital, ça doit faire beaucoup de monde de perdu.

Et donc encore plus de monde à aiguiller pour les personnes en charge. Elle rit alors que, devant l'ascenseur, il lui avouait ne connaître que son propre service.

-Vraiment, à ce point ? Je suis bien contente de ne pas travailler ici alors !

Elle le regarda avec un petit sourire taquin.

-J'espère que tu n'as pas trop souvent à envoyer tes patients dans d'autres services... Ou à les récupérer.

Sinon il fallait faire les yeux doux à quelqu'un pour qu'on lui emmène ou lui rapporte et si tout le monde était dans le même cas que lui... Ca devait être une sacrée chasse au trésor dans les couloirs !

Installés dans l'ascenseur, Iona ne put s'empêcher de regarder le ventre de la femme enceinte et d'esquisser un sourire. Elle espérait qu'un jour, lointain sans doute, elle pourrait revivre ça elle aussi. Et le vivre sereinement. Avec quelqu'un qui l'aimait, ou seule, mais avec un homme qui exerçait une emprise sur elle, la battait, avait manqué de peu de la tuer.

L'ouverture des portes arrivé à leur étage la fit sortir de ses pensées. Ils marchèrent jusqu'au bus, au moins là, ils savaient tous les deux où ils allaient.

-Ah, je ne conduis pas alors ça ne change pas grand chose pour moi. A part que je dois me protéger des bousculades et des secousses, plus que d'habitude. Tu viens toujours en voiture sinon j'imagine ?

Une glace, c'était une très bonne idée. Ian adorait les glaces, et cela lui ferait plaisir qu'on en mange une tous ensemble. Je hochais donc la tête avec enthousiasme. "Allez, je suis partant" dis-je avec un sourire. Nous ne manquions de toute façon pas d'idée pour satisfaire nos deux petits loups.

Je lui avouais qu'il m'arrivait encore de me perdre dans les lieux. Lorsque j'aurais plusieurs années d'expérience, je connaitrais probablement l'hopital comme ma poche, y compris les raccourcis menant de service en service. Mais j'étais habitué au parking, au hall, à l'ascenseur et à l'étage pédiatrie, c'était un chemin devenu réflexe à force de le faire quasiment tous les jours. Il y avait aussi le chemin jusqu'à la maternité depuis que je cotoyais Poppy, et celui à la cafétéria, centre névralgique d'un endroit comme le Royal. "Je ne sais pas comment fait le personnel d'accueil. Les patients ont tout intérêt à bien écouter leurs indications pour arriver à destination ! Mais heureusement, on trouve des panneaux un peu partout, même si certains sont un peu... disons abimés" . L'hopital public était un hopital public, le Royal avait beau être immense, certains matériels pouvaient bien être améliorés. "A ce point peut être pas, j'ai des collègues dans d'autres services donc il m'arrive de les visiter mais c'est assez rare".

Je captais rapidement le regard de Iona sur la femme enceinte dans l'ascenseur mais ne disais rien. Je savais qu'elle élevait Logan seule, bien que le papa soit encore dans son entourage, mais ce n'était pas une situation très enviable. Je lui souhaitais de pouvoir être heureuse de nouveau avec quelqu'un, après tout, elle était encore bien jeune ! Au moins, nous arrivâmes rapidement à destination et sortâmes de cette usine qu'était l'hopital, direction l'arrêt de bus le plus proche, après que j'ai galéré quelques minutes pour enfiler ma veste malgré mon bras handicapé, m'attirant le regard de sympathie des passants. "Oui je prends ma voiture pour venir, je ne suis pas très habitué aux transports" confirmais-je alors que je consultais les horaires sur la plaquette informative accrochée sur l'abribus. Il n'y avait pas longtemps à attendre, et je laissais la place libre à la jeune femme au cas ou elle voudrait s'assoir. Ce n'était pas cette agression qui m'empêcherait indéfiniment d'aller dans le parking. "J'espère qu'il va arriver vite. Tu fais quoi de beau cette après-midi ?" demandais-je parce qu'il n'était pas encore l'heure d'aller chercher les enfants à l'école.

Iona hocha la tête quand il fit remarquer que les panneaux aidaient à se repérer. Ils étaient évidemment indispensables, au fond, l'hôpital était comme un espèce d'immense hall de correspondances de métro. Les différentes lignes étant les services de l'hôpital. Si Iona avait connu les urgences - beaucoup trop - et le service gynécologie - maternité, pour ce qui était de la chirurgie et du post-opératoire c'était tout nouveau, et ça lui avait rappelé à quel point cet endroit grouillait de monde de partout. Et que la vie tenait à un fil aussi, mais c'était bien trop déprimant pour en faire part à Alistair.

-Oui, c'est vrai que certains panneaux deviennent illisibles, et d'autres ne sont pas très clairs sur la direction indiquée. Mais j'imagine que ce n'est pas la priorité.

Le matériel médical, les soignants, tout cela était bien plus important. Vital. Iona ne s'y connaissait pas en politique et tout lui paraissait bien trop compliqué à comprendre pour elle, mais elle savait que sans cet hôpital, elle serait déjà morte. Alors elle espérait que tout le monde pourrait continuer à accéder aux meilleurs soins possibles.

Comme cette femme enceinte qui prenait l'ascenseur avec eux. Elle méritait qu'on prenne soin d'elle, comme de son bébé. Cette idée radoucissait la jeune femme et elle sortit de l'hôpital avec du baume au cœur. Elle tenta d'aider Alistair alors qu'il mettait sa veste d'un seul bras valide. Elle hocha la tête alors qu'il répondait à sa question. Elle savait que pour les personnes utilisant exclusivement leur voiture, les transports étaient une vraie plaie. Pour les personnes comme elle... Disons qu'ils s'habituaient aux désagréments et apprenaient à les anticiper et les contourner. Alors que Alistair s'était approché de la plaquette d'horaires, Iona avait sortit son téléphone avec l'application de transports pour savoir quand est-ce que le prochain bus arriverait.

-Ca doit pas mal chambouler ton organisation au quotidien alors.

Elle hocha la tête à sa remarque.

-Oui, à priori le mien ne devraient pas trop tarder, c'est bien. Et pour cette après-midi... Sans doute de la lecture et du repos. Même si j'ai l'impression d'être déjà un peu trop reposée. Et toi ?

S'il avait déjà circulé des rumeurs comme quoi on avait retrouvé des cadavres de patients dans des recoins perdus de l'hôpital, jamais cela ne s'était révélé être une vérité. C'était également une blague qu'on faisait aux nouveaux internes, qui pouvaient s'attendre à se retrouver enfermés toute une nuit dans le local à blanchisserie mais qui étaient délivrés dès le lendemain matin. Malgré la vétusté de certains locaux et les panneaux qui auraient demandé un petit rafraichissement, dans l'ensemble, tout le monde arrivait à retrouver les portes de la sortie, notamment parce qu'il y avait toujours du personnel, comme moi, qui se proposait d'accompagner les égarés jusqu'au bon service. Il suffisait parfois de trouver un ascenseur pour avoir une idée un peu plus précise de l'endroit ou l'on se trouvait. Iona avait raison sur un point : ce n'était en tout pas la priorité, quoique les conditions de travail pouvaient laisser parfois à désirer selon la politique en place. Je n'avais pas vraiment envie d'aborder ce sujet et manifestement, mon amie non plus.

Voir la femme enceinte dans l'ascenseur devait lui rappeler autant de souvenirs qu'à moi. Je pensais également à Poppy, qui avait du la prendre en charge à un moment ou à un autre de la journée. Il me suffisait de pas grand chose, de quelques escaliers pour arriver à la maternité et la saluer, mais je descendis avec Iona sans m'arrêter à son étage, pour ensuite sortir définitivement au grand air direction l'abri de bus. Je ne me faisais pas encore à cette habitude de devoir consulter les horaires, Iona était plus prévoyante que moi. "Oui, je dois faire attention à m'arrêter au bon arrêt, à bien faire contrôler mon ticket, ce genre de choses". Ce que faisait un Edimbourgeois normal, probablement. Il ne nous restait pas longtemps pour discuter ensemble, et les bancs pour s'assoir étaient déja pris par des personnes plus en nécessité que deux estropiés du haut du corps. "Oui un peu pareil, j'ai l'impression d'être plus que reposé. Alors je ne sais pas encore. Rien de bien folichon en tout cas. Si tu veux qu'on aille se poser quelque part pour grignoter un truc ça ne me dérange pas". Je ne savais pas trop pourquoi je proposais ça, nous nous voyions en règle générale avec nos deux enfants et puis, elle n'allait pas tarder à aller chercher Logan à l'école probablement.

Iona eut un petit rire aux propos d'Alistair. Tout cela lui paraissait si naturel : connaître les arrêts les plus proches, le ticket adéquat... Mais elle n'avait ni voiture ni permis alors évidemment c'était son quotidien depuis toujours.

-A force tu verras ce sera naturel !

Alors qu'ils constataient tous les deux qu'ils n'avaient pas grand chose à faire, Alistair lui proposa d'aller grignoter un truc. Elle leva les yeux vers lui, assez surprise. Ils ne se voyaient jamais juste tous les deux, et ils devaient sûrement y avoir pensé aussi. Était-il désœuvré à ce point ? Était-ce juste pour l'occuper ou presque un appel à l'aide ? Elle esquissa un léger sourire, doux. Elle hocha la tête de bas en haut.

-Pourquoi ne pas prendre une gaufre, ou quelque chose comme ça ? Ca sera notre secret, sinon les garçons seront jaloux !

Le bus arriva et elle fit signe à Alistair.

-Aller viens, je connais un truc simple.
.
Et ça ne la déposerait pas trop loin pour aller chercher Logan après. Bref, elle n'avait rien à perdre à passer un peu plus de temps avec le médecin. Elle valida son ticket, et deux places assises leur tendait les bras. Elle s'y installa et laissa son regard filé par la fenêtre.

-Au fait, ça fait longtemps que tu vis à Edimbourg ?

Iona était optimiste et elle croyait en mes capacités. J'étais médecin bon sang, évidemment que j'arriverai à me débrouiller dans un bus ! Je serais même hyper vigilant. "Quand ça sera devenu naturel, je n'aurai plus mon plâtre et je pourrai reprendre la voiture" répondis-je moi aussi avec un rire.

Puisque l'occasion se présentait, je lui proposait naturellement de continuer notre échange. Pour une fois que nous n'étions pas avec les enfants et que nous pouvions discuter de choses d'adultes ! Et puis, je n'avais pas particulièrement envie de retrouver la solitude de mon chez moi. Iona était mon amie et elle était d'une compagnie plutôt agréable. "Je peux me laisser tenter par une gaufre" acquiescais-je avant que notre attention soit détournée par l'arrivée du bus. "Un truc simple ?" questionnais-je. Mon amie fut plus rapide que moi à la montée, alors que je galérais un peu pour récupérer le ticket et le glisser dans la machine pour le valider, mais je réussis enfin à m'assoir à coté d'elle, à une place qu'elle avait réservée. Je lui faisais confiance pour nous arrêter au bon moment.

J'avais fait plusieurs aller-retours à Edimbourg, aussi répondis-je à Iona en soupirant. "J'y suis né mais j'ai déménagé vers dix ans avec ma mère. Je suis revenu il y a deux ans à peu près". Ce n'était pas des circonstances très joyeuses, je venais d'apprendre la tromperie de Mérédith et mettre de distance s'était avéré être la meilleure solution. "Et beaucoup de choses changent en vingt ans" ajoutais-je d'ailleurs pensivement. Puis, alors que mon regard suivait le sien vers l'extérieur : "Je suis pas mécontent d'être revenu, j'aime bien la ville. Et toi ?"

Elle eut un léger rire à sa remarque, un poil défaitiste même si sûrement réaliste. Elle hocha doucement la tête.

-C'est vrai, mais peut-être que ça te servira dans d'autres circonstances.

De plus heureuses circonstances, elle espérait.
Une fois dans le bus, Alistair sembla vouloir prolonger un peu le moment. Il n'était pas désagréable de parfois voir d'autres adultes finalement. Enfin, elle en voyait au travail bien sûr, mais ce n'était pas pareil. Elle ne se confiait pas, ni aux clients, ni à ses collègues. Enfin, elle n'était évidemment pas assez intime avec le pédiatre pour se confier intimement mais ils pouvaient au moins partager leurs craintes de parents.

-Oui, un petit endroit qui sert des glaces, des crêpes ou des gaufres, il y a quelques tables pour s'installer.

Elle n'était évidemment pas contre l'idée d'une contre-proposition, mais Alistair n'avait pas l'air d'avoir quelque chose de spécifique en tête. Elle se dit qu'elle aurait peut-être dû essayer de l'aider avec son ticket, elle ne s'était pas rendu compte de sa difficulté à manœuvrer avec son plâtre. Elle ferait un peu plus attention à la descente. Bien qu'elle était elle-même handicapée, elle était du genre à faire attention aux autres. Un peu trop pour son propre bien parfois.

-Il y a une raison particulière pour laquelle tu es revenu ici ?

Était-ce un choix ou plutôt un fait du destin ? Iona était particulièrement curieuse de la vie des autres. Peut-être parce que la sienne eut été particulièrement triste. Même si le soupire d'Alistair ne lui annonçait pas des circonstances vraiment heureuses non plus. Mais pour compatir avec les gens, elle était sans doute une des meilleures. Pour leur remonter le moral, elle était moins sûre.

-C'est vrai ? Tu as remarqué des évolutions ?

Elle, elle ne savait pas si elle avait fait particulièrement attention aux changements dans la ville. A ce moment-là, elle avait d'autres préoccupations.

-C'est le principal, de se sentir bien dans le présent.

Elle lui sourit.

-Moi ? Je suis née et j'ai grandi un peu plus loin, à la campagne. Mais je suis arrivée ici encore enfant; Et je n'ai pas vraiment eu l'occasion de partir. Enfin je dis pas que je le voudrais mais... Je me dis qu'un jour, je retournerais peut-être à la campagne, j'ai de bons souvenirs.

La petite description de Iona était facilement alléchante, et puisque je n'avais rien de prévu, pourquoi ne pas prolonger notre rencontre par une petite sortie en ville ? Je me laissais facilement tenter par une gaufre ou une glace, d'autant plus si je n'avais pas de petit rejeton à mes cotés pour tenter de m'en piquer un bout. Et puis, cela faisait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de la jeune femme, et cela aurait été encore plus repoussé par l'absence de Ian dans les semaines à venir. "Ca me convient très bien" acquiescais-je donc sans forcément comprendre que la proposition pouvait en appeler une autre. L'important c'était de prendre l'air.

On s'installa dans le bus qui démarra en trombes. Même si je ne me faisais pas encore à ce mode de conduite, j'avais anticipé en m'accrochant à la barre juste devant moi, histoire de m'éviter encore un alle-retour aux urgences, pour ma jambe cette fois. En attendant, mon amie me demandait pourquoi j'étais revenu ici et je ne pus retenir une grimace. La vérité était simple mais encore douloureuse à dire pour moi : ma femme m'avait trompé et mon fils n'était pas le mien. Impossible de dire ça à Iona, cela l'effrayerait, même si c'était évidemment difficile de douter de sa maternité, à la différence de la paternité. "Des problèmes hum... conjugaux. J'avais envie de m'éloigner un peu de Glasgow". J'aurai pu aller dans n'importe quel coin de l'Ecosse, même partir en Afrique pour un voyage humanitaire si je n'avais pas eu mon fils, alors j'étais resté pas loin, et j'en avais profité pour me rapprocher de ma famille. "Et Edimbourg a l'un des meilleurs hopitaux de l'Ecosse" ajoutais-je rapidement pour encore plus me justifier. Ce n'était pas faux non plus.

Puis, comme j'avais grandi ici, que plus d'une décennie s'était écoulée depuis, j'avais effectivement pu assister à quelques changements : des bars qui n'en étaient plus, des boutiques qui s'étaient agrandies, des immeubles qui s'étaient construits. Seul le château restait pour l'instant intemporel, quoiqu'on aurait facilement pu dire que le nombre de touristes était exponentiel depuis mon départ. "Quelques unes oui, c'est tout à fait normal pour une ville de cette ampleur, j'imagine". Mon regard se perdit à cet instant à travers la vitre, une grande affiche publicitaire pour des vitamines pour la perte de poids montrait une femme moins habillée que la normale et se tenant le ventre. Parfois, le présent n'avait que du bon, quoi que puisse en penser Iona.

Je souriais quand elle me raconta sa vie à la campagne. Je n'aurai jamais pensé que Iona puisse y avoir vécu et qu'elle puisse éventuellement y retourner. Bon évidemment, cela avait été un temps réduit, mais moi j'avais toujours plus ou moins vécu en ville, heureusement, avec un jardin. "Il y a beaucoup d'avantages à vivre à la campagne. Moi je ne pourrai pas, déja parce que je n'aurai pas trop de travail, et ensuite parce que j'aurai l'impression de dépérir seul au milieu de nulle part. J'aime l'idée de faire des activité de toute sorte avec mon fils. Tiens d'ailleurs je ne t'ai jamais demandé, Logan fait du sport ou quelque chose ?". C'était important, pour nos petits bouts de se dépenser et que nous ne soyons pas toujours sur leur dos.

Iona sentit, à sa réponse, que sa question avait été indiscrète. Elle se mordit la lèvre et hocha simplement la tête de haut en bas pour montrer qu'elle n'allait pas insister. Elle n'allait pas lui mentir en disant qu'elle comprenait parfaitement, en réalité elle n'avait aucune idée des difficultés que pouvaient traverser un couple normal ! Elle avait été battue, puis, elle avait été avec Yohann malheureusement sa maladie avait fait des ravages. Non, elle n'avait aucune idée de comment c'était, un couple, rangé, marié, heureux, au moins par intermittence. Alors elle ne lui ferait pas l'affront de faire comme si elle comprenait ses difficultés. Mais elle sourit à sa dernière justification.

-Oh, c'est rassurant.

Elle eut un léger rire.

-J'irais à l'hôpital avec encore plus de confiance !

Elle hocha de nouveau la tête quand il confirma que la ville avait changé, mais rien qui ne lui avait semblé anormal. Elle se demandait ce que ça lui ferait, si elle retournait dans le village de son enfance, et qu'elle voyait des lieux fermés, ou de nouveaux lieux. Qu'est-ce que ça lui ferait ? De revoir sa maison d'enfance ? Cette idée était si déroutante qu'elle se dépêcha de secouer la tête de gauche à droite pour l'oublier. Ce n'était pas le moment de se lancer dans de grandes introspections et de s'ouvrir à la mélancolie. D'ailleurs, en parler conjurerait peut-être le sort. Elle eut un sourire un peu amusé en voyant à travers ses mots, l'idée qu'il se faisait de la campagne. Vu qu'elle n'y avait été qu'enfant, son avis était peut-être biaisé lui aussi après tout.

-Pour moi ce n'est pas être seul au milieu de nulle part c'est... une façon différente d'être avec les gens, par rapport à la ville.

Au final, elle avait très peu de contact avec ses voisins, ici. Pour plusieurs raisons, sans doute.

-Mais c'est vrai que les activités sont plus accessibles ici. Et oui il fait du sport, en fait, il en change tous les ans presque, il se lasse vite, il veut essayer plein de choses. Mais ça ne m'embête pas, tant qu'il s'amuse, il finira sans doute par trouver sa vocation. Je l'emmène souvent faire des petites balades en poney le week-end, ça il aime toujours.

Elle appuya sur le bouton en voyant que leur arrêt se rapprochait.

-Prépare toi à descendre, et attention à ton bras.

Il avait raison. Tout le monde était toujours pressé. Souvent elle l'était aussi, à courir entre son boulot, l'école, la maison, les activités... Elle ne prenait le temps de ralentir que quand elle voyait les personnes auxquelles elle tenait. Et heureusement, elle prenait encore ce temps là. Cela lui faisait toujours du bien, elle avait l'impression de se ressourcer avec ceux qu'elle aime. Et d'avoir de nouveau l'énergie de courir partout.

-Je crois que les enfants ne nous aident pas à prendre notre temps. Enfin... l'addition du travail et des enfants plutôt.

Elle esquissa un sourire amusé.

-Je pense qu'on peut apprécier, tous ces immeubles, dans le centre ancien. On a tellement l'habitude qu'on les voit plus.

C'est vrai que la situation de Ian était différente de celle de Logan. Les enfants agissaient tellement naturellement ensembles qu'elle l'oubliait parfois. Elle hocha la tête quand il lui parla des activités artistiques.

-Logan adore faire de la peinture ! Le plus embêtant c'est quand il faut nettoyer tout ça...

Elle eut un léger rire. Ca c'était toujours le boulot des parents, de passer derrière les bêtises. Mais en réalité elle n'avait pas trop à se plaindre, son fils était souvent de bonne volonté. Elle acquiesça d'un signe de tête quand il évoqua le poney. Iona trouvait cette activité géniale mais évidemment, elle n'était pas la plus objective.

-Si tu veux, on pourra les emmener ensemble.

Le bus arriva à leur arrêt et ils descendirent prudemment. Iona s'assura bien que Alistair suivait. Une fois en bas, ils entrèrent dans le parc. C'était rare de ne pas voir des enfants courir partout, mais ce n'était pas encore la fin de l'école. Elle pointa une direction à Alistair du doigt.

-C'est de côté-ci ! Ton cerveau essaie de l'oublier pour avoir une bonne raison de ne pas en proposer à ton fils on dirait.

Elle eut un nouveau rire avant de les guider jusqu'au petit stand, qui était bien là. Elle commanda une glace sorbet citron puis attendit que son ami passe sa propre commande, puis qu'ils soient servis pour aller s'installer sur l'une des petites tables à disposition. Elle regarda le parc, les arbres, le vent dans les feuilles. Un sourire sembla naturellement se dessiner sur ses lèvres.

-C'est fou comme cet endroit est différent quand il est calme ! Tu ne trouves pas ?

Je partageais l'avis de Iona : les enfants, c'était super, je ne regrettais absolument pas cette décision, mais il fallait bien assumer toutes les conséquences qui en découlaient, notamment l'absence de temps pour soi, ou le temps défilant à toute vitesse sans qu'on ne puisse l'arrêter. En plus, pour moi qui n'avait Ian que quatre jours par mois, les week ends étaient particulièrement rythmés. J'aurai bien voulu échanger ma place pour le voir toute l'année en continu, malheureusement, les choix que sa mère et moi avions fait n'étaient plus compatibles avec cela. Iona, elle, s'occupait de son enfant toute seule, elle n'avait pas de relais. Nous étions bien plus similaires qu'il n'y paraissait. "A qui le dis-tu" soufflais-je à cette pensée. "Et quand nous l'avons, ce n'est vraiment pas les immeubles que nous regardons, aussi beaux soient-ils". Il faudrait que j'emmène mon fils au chateau une prochaine fois, il adorerait faire semblant d'être un chevalier. Ca au moins, c'était une réelle beauté de la ville.

J'expliquais que Ian était plus artistique que sportif. Lui aussi était très peinture ! "Je ne te le fais pas dire. Je pense que Ian appréciera la compagnie de Logan au poney, il verra qu'il s'y éclate et cela lui donnera peut être d'autres envies. Et un jour ou se trouvera à faire des balades au triple galop tous les quatre quand on décidera de les accompagner". Je plaisantais bien sur, je lui fis savoir en éclatant de rire à cette idée. Je n'étais pas branché animaux, je préférais monter sur des patins à glace que sur un canasson imprévisible, c'était sans doute la raison pour laquelle je n'avais jamais pensé à faire visiter un centre équestre à mon fils.

Enfin arrivés à destination, je demandais la direction du stand de glaces et elle se moqua gentiment de moi. "Mais pas du tout !' dis-je avec un air offensé en posant mon unique poing libre sur ma hanche. C'était de la fausse bouderie, je souriais immédiatement de nouveau et avançais dans la direction qu'elle avait indiqué. Je pris une glace citron, dans un cornet cette fois étant incapable d'utiliser deux mains pour tenir un petit pot, et on s'installa tous les deux à une table. Il faisait assez bon, je parvenais à manger sans en mettre partout. Le vent faisait voleter les cheveux de Iona ce qui lui compliquait un peu plus la tâche. C'était vraiment bizarre de se retrouver ici sans les enfants. Il n'y avait aucune ambiguité, nous étions deux parents contents d'avoir un peu de calme, qui demeuraient heureux malgré les évènements. "Tu veux dire, sans les cris de nos chérubins ? C'est vrai, on profite autrement". Et on pouvait parler d'autre chose que d'eux, théoriquement, même si le sujet revenait toujours à un moment ou à un autre sur le tapis, ce qui n'avait rien de très étonnant finalement.

Iona esquissa un sourire, elle n'allait pas le contredire là-dessus. Contempler les immeubles n'était pas vraiment dans ses passe-temps. Mais peut-être devrait-elle y faire plus attention les prochaines fois. Elle découvrirait sûrement des choses, qu'elle porterait un œil nouveau sur ce qui l'entourait. Il faut dire qu'il fallait bien qu'elle s'en contente, elle n'avait pas vraiment de budget voyage.

La brune éclata de rire alors que son acolyte les imaginait déjà en train de chevaucher dans de grandes plaines à toute allure. Evidemment, avec leurs garçons haut comme trois pommes - qui grandissaient tout de même trop vite - cette idée semblait totalement irréaliste. Mais en tant que parents ils savaient que le temps passait souvent plus vite qu'on ne le pensait, et surtout, qu'il pouvait arriver des évènements particulièrement inattendus.

-Qui sait ? Peut-être que nous devrions prendre un pari là-dessus. Un jour on se retrouvera, sans trop savoir comment, embarqués dans un galop sur la plage.

Alistair fit semblant d'être offensé alors qu'elle le taquinait à propos du stand de glace, lui tirant un sourire amusé. Elle se rendait compte qu'il y avait très peu de gens avec qui elle pouvait agir de cette façon. Avec qui elle pouvait être naturelle, parler de choses et d'autres, et surtout d'enfants sans qu'ils ne soient agacés. Elle n'était pas proche de beaucoup de parents d'élèves. On aurait pu croire, comme ça, qu'elle aurait sympathiser avec d'autres moments, mais elle savait bien que les autres famille avait plutôt tendance à la trouver bizarre. Elle n'insistait pas, tant que Logan se faisait des amis, c'était bien tout ce qui comptait.

Ils étaient enfin installés pour déguster leurs glaces. Iona secouait souvent la tête pour se débarrasser de ses cheveux, pis riait quand elle se rendait compte que ça ne faisait qu'aggraver la situation. Elle finit finalement par les écarter d'une main et releva la tête vers Alistair.

-Oui voilà, sans hurlements, sans avoir besoin d'avoir les yeux partout sans les surveiller... C'est étrangement vide à vrai dire.

Elle esquissa un sourire à ses mots. Le paradoxe des parents : vouloir avoir la paix quand ils étaient avec leurs enfants, et être incapables d'en profiter quand ils ne sont pas là.

-Mais au moins, je comprends maintenant pourquoi certaines personnes viennent pour lire ou écouter le chant des oiseaux.

Imaginer l'avenir était un processus simple et compliqué à la fois. Déjà, parce qu'il était facile de me voir continuer mon petit bonhomme de chemin, aller travailler, faire évoluer ma relation avec Poppy, voir Ian et mes neveux et nièces grandir. De l'autre, un réel esprit optimiste voulait me voir marié avec une tripotée de nouveaux enfants, chef de service à l'hopital, roulant en Ferrari et prenant des cours de golf. S'imaginer galoper sur la plage avec des amis n'aurait jamais fait partie de mes projets si je n'y avais pas pensé à l'évocation des cours d'équitation de Logan. Mais après tout, pourquoi pas ? Peut être que je changerai définitivement de carrière pour me consacrer à mon seul et unique fils malade, ou pour suivre une troupe itinérante de cirque, pourquoi pas ? Bref, pour dire, cette idée rocambolesque ne verrai probablement jamais le jour, mais cela n'était pas déplaisant de spéculer là dessus. "Du moment que nous sommes heureux, avec des gens que nous aimons et nous apprécions". Je lui jetais un regard de connivence tout en souriant sincèrement.

Je n'avais certes pas de cheveux à remettre en place, mais avez vous déja essayé de manger une glace avec une seule main ? L'autre, celle bandée, tenait uniquement fermement la petite serviette afin d'éviter qu'elle ne s'envole. Au moins, cette blessure me permettrait sûrement de devenir plus habile et de tourner les cones avec uniquement cinq doigts. Et puis, ne pas surveiller d'enfants nous simplifiait la tache. Je comprenais tout à fait les propos de Iona. Nos enfants, nous ne pouvions pas nous en passer, même s'ils étaient horribles nous continuons de les aimer avec force. Je laissais ainsi mes yeux trainer dans le vide en pensant à ce petit bout de chou que j'avais tenu entre mes mains et que j'avais éduqué. Evidemment, dit comme ça, il était évident qu'il était mon fils et que j'étais son père, mais il n'y avait que très peu de personnes qui savaient la vérité pour la tromperie de Mérédith, et mon amie n'en faisait pas partie. '"Je crois effectivement qu'il faut en profiter" ajoutais-je calmement en poussant un long soupir et en m'asseyant un peu plus confortablement.

L'heure viendrait bientôt pour elle d'aller chercher Logan. Quant à moi et bien... C'est la tranquillité de mon appartement que je retrouverai, sa solitude aussi. C'est pourquoi je n'étais absolument pas pressé de partir et m'en remettait donc à mon amie pour donner le signal du départ. Je finissais ma glace le plus proprement possible, fit passer la serviette d'une main à l'autre pour en retirer les dernières traces.