J'ai un immense sourire sur le visage malgré la pluie d'été qui rince la ville, et je ris comme une gamine, slalomant entre les gouttes, vérifiant pour la troisième fois que ma sacoche est bien arrimée et bien fermée. Rien que de repenser à ce que j'ai trouvé… j'en frissonne d'impatience et d'excitation. Je file entre les ruelles pour éviter le trafic, slalome entre les piétons, en insultant un au passage qui me hurle dessus avant de me garer au plus près de l'appartement de Gabriel, le meilleur ami de ma nièce. Il n'y a que lui qui peut m'aider dans cette nouvelle connerie qui doit rester secrète…

Je gare mon fier destrier bleu roi peint d'étoiles dorées, garde le précieux carton à dessin contre moi et pousse la porte du petit salon de thé tout proche, achète plusieurs scones et muffins et les bras chargés je sonne en bas de chez lui. Par chance il est là, et j'entre chez lui, mon sourire toujours scotché sur mon visage alors qu'il me fait face, la mine perplexe.

Gabriel, je suis désolée de te déranger mais une, je te ramène un truc incroyable, et de deux je te soudoie en nourriture. C'est un truc incroyable crois moi.

Sans trop lui laisser le temps de répliquer j'ôte mon ciré que je suspends dans l'entrée, secoue mes cheveux humides et après m'être essuyé les mains sur mon jean heureusement sec j'ouvre délicatement les rubans du carton à dessin que j'ai transporté jusqu'ici. J'en sors du bout des doigts une feuille de papier à dessin représentant un nu, ou plus explicitement, une scène de cul. Mais le papier est abîmé, il a du prendre la pluie ou l'humidité car quelques petites taches de moisissure piquettent le dessin et un coin est déchiré.

Est-ce que tu arrives à deviner de qui est ce dessin?

Toujours perplexe je laisse le dessin posé soigneusement sur l'intérieur du carton, fendu en deux sur la table basse de son salon et recule pour le laisser admirer.

Oui, c'est un vrai… Je l'ai trouvé en cherchant complètement autre chose dans les archives de l'université. Un putain de dessin préparatoire de Turner lui-même qui n'est même pas archivé dans les collections, il y a tout juste un tampon à l'arrière mais il n'est pas catalogué ni référencé.

Trépignant à moitié comme une gamine je me rapproche de lui et le saisis par les épaules pour qu'il me fasse face.

Gabriel, ça doit rester un secret. Je ne vais pas le vendre ou le signaler. Je veux donner à ce dessin une place qu'il mérite, à savoir auprès de quelqu'un qui sait en deviner la beauté. Est-ce que tu pourrais me le restaurer pour que je puisse l'exposer chez moi?

Par chance mon partenaire de crime cette fois là est bien présent chez lui, ce qui veut dire que une : le dessin sera entre des mains expertes d'ici peu, et que je n'aurai pas à le ramener chez moi, prenant le risque de l'abimer. Apaté semble veiller sur moi aujourd'hui, et s'activer à ce que mes noirs desseins s'accomplissent, en m'offrant un complice tout trouvé. Qui a dans son entourage un restaurateur de tableaux professionnel? Peu de monte, mais en l'occurrence ma chère nièce, donc moi par répercussion.

J'entre chez lui, me retenant difficilement de hurler la nouvelle ou de sauter partout comme si j'avais treize ans et qu'on m'annonçait que les Backstreet Boys allaient passer en concert dans mon collège. Je me surprends moi-même par mon calme et ma pondération, me faisant déposer les douceurs sur la table de sa cuisine, m'essuyer les mains avant de lui dévoiler le trésor que je viens d'exhumer, en vraie pirate des archives de l'université.

Au début il semble distant, perplexe en me voyant débarquer ainsi chez lui et je le comprends, mais quand ses yeux se posent sur le dessin plié que je dévoile lentement devant lui, tout son visage s'illumine. Une surprise sincère mêlée d'excitation apparaît enfin et je me recule pour le laisser se pencher sur le croquis toujours dans le carton à dessin.

Oui, Turner… Personnellement je trouve qu'il ne vaut pas les impressionnistes français mais j'aime ses travaux quand il s'essaie à autre chose que des marines. Comme des croquis érotiques. Il n'est pas incroyable?

Je balaie sa remarque d'un geste de la main, secouant la tête.

On vole quand ça appartient à quelqu'un. Est-ce que c'est voler que de piquer des mûres sur un buisson dans la forêt? J'ai sauvé cette œuvre Gabriel, elle pourrissait entre deux liasses de correspondances militaires et des factures de matériel appartenant au fournisseur de Turner. En fait si elle est passée sous le radar c'est que Turner l'a dessinée à l'arrière d'une de ces factures. L'archiviste a du tamponner les rectos sans regarder les versos…

Du bout de mes doigts secs j'attrape le moins de papier possible et amène lentement et délicatement le dessin jusqu'à l'endroit qu'il me désigne, avant qu'encore une fois je ne recule pour laisser le spécialiste à l'œuvre.

Bien sûr que je veux l'avoir chez moi! Tu imagines, tous les jours, dans ton chez toi, au cœur de ton intimité, tu conserves un tel trésor que toi seul connaît… C'est… c'est fantastique, c'est extraordinaire non?

Je vois Gabriel tourner détourner lentement, comme à regrets le regard du croquis avant de le poser sur moi, l'air un peu gêné. A sa question je ris simplement.

Bien sûr que je connais ma nièce et je ne vais pas lui imposer ça au milieu du salon… Le tableau sera dans ma chambre, où elle ne va quasiment jamais. Si ça peut te rassurer je peux même la faire mettre dans une sorte de retable qui se ferme…

Je m'assieds sur le comptoir de sa cuisine alors qu'il est toujours en admiration sur la feuille de papier.

T'es mignon à t'inquiéter autant pour elle… Elle a de la chance de t'avoir… en tant qu'ami…

J'aime bien Gabriel, depuis la minute où Prue me l'a présenté, quelques mois après son arrivée ici. J'ai senti quelqu'un de doux et de solaire, qui en plus exerce un des métiers que j'aurais rêvé de pouvoir faire : restaurer des œuvres d'art. Lui et moi sommes des rats de musée et quand on se croise on a toujours des trucs à se dire sur une exposition, une vente ou un documentaire à regarder. Quand je suis invitée à des séminaires je lui ramène parfois des catalogues d'exposition sur lesquels ça m'arrive de travailler… comment un garçon comme ça aurait pu partir avec un apriori négatif? Mais j'aime surtout comment il se comporte avec Prue. Il la comprend d'une façon que je ne peux pas comprendre, et arrive à accéder à elle là où je me heurte à un mur… il est quelqu'un de précieux pour elle et j'espère qu'il va continuer à veiller sur elle…car ses sentiments pour elle crèvent les yeux, pour tout le monde sauf pour Prue…

Enfin, pour l'instant le sujet de mon passage chez Gabriel est surtout l'extraordinaire trouvaille faite dans les archives de l'université, alors que je fouillais pour exhumer totalement autre chose. Un diamant brut au milieu du charbon, une pépite au milieu de la boue. Evidemment je n'en ai parlé à personne. Evidemment je l'ai cachée et faite sortir en douce après avoir vérifié qu'elle n'apparaissait dans aucun registre, aucun catalogue. C'est donc qu'elle n'existe pas. Et quelque chose qui n'existe pas ne peut pas manquer. Logique. Mathématique.

Pourtant le jeune artiste n'est pas sensible à ma logique et mes arguments, et au lieu de s'enthousiasmer il s'inquiète.

Ces factures datent de 1836 et la dernière fois qu'elles ont été consultées c'était en 1923. Je pense vraiment que ça n'est pas la pièce maîtresse de leur précieuse collection… C'est pas du vol mais du sauvetage!

Mais l'appel de l'art est trop fort… je le connais car je le ressens aussi… cette pulsion puissante qui nous pousse à passer des heures devant une toile, à tourner lentement autour d'une statue pour admirer comment la lumière en caresse les textures et joue avec les ombres, à s'imaginer face à l'œuvre l'artiste en création. Je sais que là c'est de tenir entre ses mains, chez lui, un original de Turner qui fait taire un temps son inquiétude et ses considérations pour juste admirer. Pour le plaisir d'avoir un morceau d'histoire devant lui, derrière sa loupe.

Je lance une perche mais il ne la saisit pas. Au contraire, bien trop sérieux il revient à la charge avec son éthique en carton qui me fait soupirer.

Je ne dirai rien du tout. Ils vont la ranger dans les collections et elle ne va voir le jour que le temps d'une expo une fois tous les dix ans voire plus. Cette œuvre doit être vue, admirée et aimée… et toi mieux que personne comprend exactement de quoi je parle. Tu n'aimerais pas avoir une œuvre comme ça, rien qu'un dessin, une esquisse d'un artiste que tu aimes, juste pour toi? Pour le plaisir de la contempler quand tu veux?


Pendant qu'il manie sa loupe je remplis sa bouilloire que je mets à chauffer et fouille ses placards pour trouver deux tasses et du thé.

Et sinon tu penses quoi de Simon?

Deux pas derrière lui, appuyée au comptoir de sa cuisine, je l'observe avec tendresse poser un regard émerveillé sur l'esquisse que je lui ai ramenée. C'est quelque chose qu'on partage et je sais mieux que personne l'émotion que peut procurer le fait d'avoir un tel morceau d'histoire entre les mains, un objet qu'un tel artiste a touché, sur lequel il a fait courir son crayon avec soin, morceau de papier qui en quelques traits est devenu œuvre… Pour beaucoup ça n'est qu'un dessin, mais pour des gens comme Gabriel et moi c'est presque viscéral, mystique même. Et je ne compte pas le nombre de fois où je me suis pris un syndrome de Stendhal dans les nombreux musées d'Europe que j'ai visités…

En tant que restaurateur il a l'habitude de pouvoir toucher les pièces qu'on lui confie, les manipuler, les regarder pendant des heures dans un tête à tête privé, où la sculpture comme le tableau ont tout le temps et la place pour lui murmurer ses secrets, lui confier ce dont ils ont été témoin et ce qu'ils ont vécu. Moi je suis reléguée en posture d'observatrice, même si j'ai le privilège de pouvoir observer de près… j'utilise mes mots pour écrire, lui son talent pour les ramener à la vie et leur redonner leur éclat d'origine… bien sûr qu'il veut que je la rende, parce qu'il ne sait pas ce que ça fait de pouvoir, pour une fois, avoir un tel objet juste un peu pour soi…

C'est un croquis de cul, bien sûr qu'elle ne sera pas exposée ou admirée dans une collection permanente, ça choquerait trop… Elle apparaîtra dans une publication ou deux, peut-être une expo sur le côté sulfureux de Turner et ça sera tout… Elle sera encore une fois rangée et oubliée, à la seule différence qu'elle sera cataloguée et aura un numéro de référence…

J'ai un soupir en voyant que le bougre et coriace et je hausse les épaules tout en farfouillant pour faire du thé.

Je te propose un marché : laisse-moi en profiter un an ou deux pour mon propre plaisir et ensuite au bout de ce temps là je prétendrai l'avoir découvert. Ok? Laisse-moi juste faire l'expérience d'avoir un Turner chez moi pendant quelques temps…

Puis il se replonge dans l'examen et la contemplation de l'esquisse pendant que je prépare deux tasses fumantes, idéales sous cette pluie écossaise, et lance la conversation l'air de rien sur Simon. Je sais très bien qu'il me voit venir à dix kilomètres mais bon, à un moment il faut arrêter d'être subtil et passer aux choses sérieuses.

Alors, tu me surestimes si je penses que je serais arrivée à trouver un Turner non recensé juste pour trouver un prétexte pour venir te voir… c'est juste que maintenant que je suis là, que je t'ai ramené un Turner et des scones… je ne vais pas tourner autour du pot.

Je porte la tasse à mes lèvres et en bois une gorgée avant de faire rouler le liquide ambré sous ma langue et l'avaler. Sa chaleur m'apaise un peu et je reprends maintenant que j'ai ménagé mon effet de suspense.

Tu crèves d'amour pour elle, ça saute aux yeux. Non, c'est pas une critique bien au contraire. Je t'aime beaucoup Gabriel, et je vois à quel point tu fais du bien à Prudence. Tu la connais mieux que moi, tu la comprends mieux que moi… vous avez une connexion spéciale tous les deux. Et ne me dis pas que vous n'êtes que des amis ok? Quand vous êtes ensemble il y a une tension à couper au couteau.

Je m'approche de lui et lui tends sa tasse, afin qu'il détache son regard de l'esquisse et croise le mien.

Qu'est-ce qui te retient de te lancer? Je suis sûre qu'elle t'aime aussi, je le sens bien…

Bon sang on dit que les écossais sont têtus mais les français n'ont pas à rougir… j'en ai la preuve dans cette cuisine, où on est deux têtes de buche persuadés d'avoir raison. Même si j'ai plus raison que lui, il ne le sait juste pas encore. Il ne lâche rien, en chevalier blanc de l'art face à moi, vilaine égoïste qui souhaite garder un trésor pour elle… Bien sûr je le comprends, et dans d'autres circonstances moi aussi j'aurais dit à quelqu'un dans la même situation que moi que comme DrJones ''Sa place est dans un musée" mais le destin a mis cette esquisse, ces quelques traits de crayon sur une vieille facture sur mon chemin. Si c'est pas un signe, qu'est-ce que ça peut être alors? Si Apollon, Bastet, Huehuecóyotl ou Saraswati ont décidé qu'après des siècles sous la poussière j'étais celle qui allait exhumer cette esquisse perdue, qui suis-je pour m'opposer? A ceci près que, c'est vrai, le quoi faire de cette œuvre n'est pas vraiment explicite et ouvert à interprétation.

Finalement, grande seigneuresse je tends le rameau d'olivier et propose un compromis. Intérieurement j'espère qu'il va juste oublier cet incident et que d’ici deux ans assez d'eau aura coulé sous les ponts pour qu'il ne s'en rappelle pas… mais au moins il accepte.

Tu es dur en affaires mais ok. Deux ans et je la ramène.

Je change de sujet à la fois pour ne pas qu'il rajoute d'autre condition ou qu'il insiste sur l'obligation morale que j'ai de rendre l'œuvre publique et surtout parce que maintenant que je suis là je me rends compte que c'est l'occasion rêvée d'aborder un sujet qui me brûle la langue depuis longtemps. L'occasion ne s'était jamais présentée de pouvoir discuter seule à seule avec Gabriel loin d'oreilles intruses alors, comme on dit, l'occasion fait le larron. Je hausse une épaule quand il me fait remarquer que je n'ai pas encore donné mon opinion sur Simon et souffle sur la tasse avant de répondre.

C'est un con. Je ne l'aime pas. Quel type normalement constitué sortirait avec quelqu'un qui a l'âge de sa fille? Ce n'est pas quelqu'un qui lui fait du bien et ça me rend folle qu'elle ne voie pas le problème, et qu'elle ne s'en rende pas compte.

J'ai un rire amer quand il parle de la rendre heureuse.

Vraiment? Tu crois qu'elle est heureuse avec lui? Avec cette vie là? Gabriel j'ai beaucoup de défauts et t'en as eu la preuve il y a encore cinq minutes mais je ne suis pas bête. Je connais ma nièce, même si tu la connais encore mieux que toi. Je vois comme son visage s'illumine quand elle te voit et j'ai remarqué la même chose chez toi. Vous finissez les phrases l'un de l'autre, vous vous comprenez. Tu veilles sur elle et tu ne veux que son bien. Je sais ce que c'est que d'avoir des amis hommes, je sais bien qu'elle existe. J'ai Yoni, j'ai Jeremiah et autres mais ce que vous avez c'est différent.

Je pose la tasse sur le comptoir, inspire profondément et soupire en me passant les mains sur le visage.

Je connais le don de Prue et je sais que es au courant. Un des drames de ma vie, et je suis sérieuse quand je te dis ça, est de ne pas arriver à la faire changer d'avis sur le fait de se laisser occuper par ses fantômes. Je vois… je vois bien tout ce que ça implique, je vois bien que ça la brûle à petit feu. Simon c'est la cerise sur un océan de conneries dans sa vie et elle aurait vraiment besoin de quelqu'un comme toi à ses côtés. Et pas seulement comme ami. Regarde-moi dans les yeux et dis moi que tu n'en as pas envie. On s'en fout de Simon et du fait qu'elle soit potentiellement en couple avec un crétin. Si là maintenant elle venait te voir en te disant qu'elle t'aimait et qu'elle voulait faire sa vie avec toi, ose me dire que tu lui dirais non…

Plus les minutes passent plus l'affaire du Turner s'éloigne, prend un fauteuil en salle d'attente et attend son tour, remplacée par une discussion que j'aurais aimée avoir avec lui depuis bien longtemps, mais l'occasion ne s'était jamais présentée. Jusqu'à maintenant. C'est un peu ironique que c'est l'art qui m'a fait venir ici, alors qu'il aurait été simple, depuis plusieurs années maintenant, de simplement sonner à sa porte et faire du thé. Harper parfois tu es épuisante.

Le sujet de Simon est rapidement abordé, car d'un commun accord on décrète que c'est un con et que Prudence n'a rien à faire avec lui. Elle devrait plutôt se trouver quelqu'un qu'elle aime, qui l'aime et qui la comprenne, qui l'accepte pour ce qu'elle est, avec son don et ses faiblesses. Enfin ça c'est surtout ce que moi je décrète, Gabriel est plus mitigé, plus… Gabriel quoi. Il a quelque chose de doux et tendre dont Prudence a besoin, pas un type qui fait une crise de la cinquantaine et qui teste son pouvoir de séduction sur une fille naïve et influençable.

Tu m'as comprise… c'est un con voilà tout. Et là on a passé le stade de simplement approuver. Il ne lui fait pas du bien… Elle a besoin de quelqu'un…comme toi.

Et à ma grande surprise, alors que la conversation a pris son indépendance et suit son cours gaiement sans que j'aie le moindre contrôle sur elle je sens une vague d'émotion qui me surprend. Depuis que j'ai récupéré Prue, depuis que je l'ai trainée depuis la maison de ses parents jusqu'à chez moi, j'ai espéré pouvoir l'aider. J'ai espéré qu'auprès de moi elle sortirait de l'influence de ses parents et qu'elle aurait la liberté d'être qui elle voulait… La maison est assez grande pour qu'elle y reste autant qu'elle voulait mais sitôt arrivée elle s'est laissée posséder, littéralement, trop gentille pour refuser que ces quatre esprits se servent d'elle comme d'un jouet ou d'une passerelle, la poussant même dans les bras d'inconnus pour satisfaire Léonie. Gabriel ne se doute pas de ce que ça fait que de vivre avec Prudence et de ne jamais être sûre que ce soit à elle que je parle. De ne pas savoir ce qu'elle fait quand elle donne les clés de son enveloppe à quelqu'un d'autre… Il ne sait pas ce que c'est que d'avoir peur chaque jour d'une des conquêtes de Léonie ne commette pas l'irréparable, ou qu'un autre ne pousse à se faire du mal. Il ne sait pas ce que ça fait d'avoir traversé une mer pour la sauver, mais se rendre compte que personne à part elle ne peut la sauver d'elle-même. Elle et Gabriel. Le masque se fissure et ma voix se brise un peu. C'est la première fois que je parle de tout ça parce que jusqu'à présent je n'avais personne à qui en parler… et peut-être qu'enfin les choses vont changer? Le petit coup de pouce du destin qui va être aussi délicat que la caresse d'une rangers cloutée? Je ferme les yeux une seconde. Je suis peut-être sur le point de faire une énorme connerie, une connerie qui pourrait foutre un bordel monumental mais qui pourrait peut être débloquer enfin cette situation digne d'Emily In Paris arrosée de Haggis. Je fais mentalement un signe de croix avant de me lancer.

Si, elle t'aime. Elle… me l'a dit un soir. On avait un peu trop bu et elle m'a avoué que ça faisait longtemps qu'elle t'aimait mais… qu'elle avait peur de perdre votre amitié si les choses se passaient mal entre vous.

C'est faux, totalement faux. Mais maintenant c'est trop tard, la boite de Pandore a été ouverte et il n'y a plus de possibilité de marche arrière. Je termine mon thé et pose la tasse vide dans l'évier.

Oh merde il est tard il faut que je file. Tu… tu me tiens au courant quand tu as avancé sur le Turner? Bye Gabriel!

J'attrape mon sac et commence à me diriger vers l'entrée, espérant sortir de là avant que la bombe que je viens de lancer n'explose.