J’ai attendu toute ma vie pour ce moment. J’en ai rêvé toute mon adolescence. J’ai passé des journées entières à m'entraîner sans relâche  en me répétant intérieurement qu’un jour, quelqu’un viendrait me demander de participer à un recrutement. J’ai toujours rêvé de grandeur et du sentiment d’accomplissement que ce serait d’arriver enfin à être celle que je suis supposée être. Je me suis imaginée que j’étais de ceux qui ont une grande destinée. Je veux qu’on parle de moi comme d’un personnage inspirant dans le monde du sport auto. Je veux que mon passage dans ce monde-là laisse des traces profondes. Une marque qui change vraiment les mentalités. Cette dernière année, ma carrière a décollé en flèche et tous les efforts que j’ai pu faire les dix dernières années commencent enfin à payer. Je suis entrée en F3 à la fin de l’année 2023 et là, 5 mois plus tard, je pars pour avoir une chance d’être recrutée par une écurie. Je vais aller m’entrainer à Chicago avec les meilleurs pilotes de mon niveau. C’est une opportunité de dingue dont rêvent tous les pilotes comme moi. Je suis extatique à l’idée de partir. Ça fait un mois que je compte les jours en essayant d’imaginer à quoi ressemblent les états-unis. Je me suis renseigné sur Chicago pour ne pas avoir l’air d’être la petite écossaise sortie de son bled plein de vaches. Il va y avoir des pilotes de toutes les capitales du monde. Je m’entraine sur mon accent aussi. Apparemment, ce n'est pas super apprécié, l’accent écossais. La ville à l’air immensément grande sur les photos que montrent google. Le lac Michigan ressemble carrément à la mer.  On dirait une ville côtière.  J’ai peur de me sentir très vite dépassée par l’immensité de la ville. Et j’aurais aimé ne pas être seul pour aller la découvrir.


A vrai dire, j’aurais surtout aimé que Dean soit là. Je crois que ça aurait été cool qu’on passe du temps ensemble, loin de tout. Je ne sais pas du tout où j’en suis concernant ma vie amoureuse. Il y a des jours où je pense être capable de tout pardonner, d’autres où j’ai l’impression qu’imaginer être de nouveau avec Dean me terrifie complètement. J’ai du mal à pardonner. J’ai du mal à oublier. Et même lorsque je m’accroche à ses mots et ses promesses, au fond de moi, il y a toujours une petite voix qui hurle dans l’urgence. Je ne suis plus capable de faire confiance. Pas plus que je ne suis capable d’être celle qu’il attend. J’ai réalisé ce jour-là que je n’y arriverai pas. Je ne serais jamais une petite amie idéale. J’aurais toujours l’impression qu’il me manque quelque chose pour le rendre heureux. Dean attendait une femme qui soit capable d’être une vraie partenaire de vie et j’ai l’impression d’avoir complétement faillit à cette tâche. Et puis au-delà de ça, c’est une trahison qu’il n’est pas facile d’oublier. J’avais vraiment une confiance aveugle en lui. J’ai plus confiance en personne, maintenant. Ça me blesse d’être dans cette position d’incertitude. Et ça me blesse encore plus d’être aussi naïve. J’ai l’impression qu’à chaque fois qu’on se rapproche, quelque chose en moi hurle comme une alarme. Ça s’agite pour me protéger.

«-T’as toutes tes affaires ? » Gigi toque à la porte de ma chambre, un sourire aux lèvres. Il a deux bières dans la main. Du salon, je peux encore entendre la TV. Je secoue la tête, je suis en train de tout remettre en place dans ma valise et je check une dernière fois que tout est bon. Je geins : «-J’suis nul pour faire les valises. J’ai toujours l’impression que j’ai trop pris ou pas assez.» Je tends le bras pour récupérer l’une des bières. Il est 17h et je suis supposé partir dans trois heures. J’ai l’impression que tout est bizarre. Mon chat dort paisiblement sur mon lit. J’espère que Angelo en prendra soin. Il s’assoit sur le sol et commence à m’aider à ranger les trucs dans ma valise. Il énumère tous les trucs dont je pourrais avoir besoin : «-Un veste de pluie ? » Je hoche la tête. «-Une tenue pour pécho ?» Je hausse les épaules en levant les yeux au ciel. «-Arrête de traîner avec Skye. Je vais pécho personne.» Il rit.

J’ai une boule dans la gorge, moi. Je me sens vulnérable. Partir aussi loin, toute seule, ça me fait peur. J’espère que j’ai les bons papiers. Que le visa est correct. Que le passeport est bien à jour. Et que je n’aurais aucun souci à la douane. Évidemment, pour le voyage, j’ai mis le pull que Dean m’a offert à noël. Je vais arriver tard et il est bien chaud. Et puis c’est un peu comme s’il venait avec moi, aussi. Je fourre mon doudou au fond de mon sac à dos. Logan arrête pas de me répéter qu’il est hyper content de passer trois semaines juste avec moi et je me sens vraiment rassurée de le savoir dans le coin.  J’espère me faire des amis.  Il faut que j’arrête de penser à Dean et que je prenne un peu de distance avec ces histoires. Mon histoire d’amour. Ma famille. Tout ça. Il faut que je m’éloigne de tout ça. J’ai pas envie de penser à ma mère et encore moins à ma relation avec mon père qui se dégrade. On est en train de s’éloigner l’un de l’autre et ça me fait énormément de mal.


Je tire péniblement ma valise dans les escaliers de l'immeuble. J’ai mon gros pull qui tombe sur mes cuisses et qui me fait me sentir tout en sécurité. J’ai froid au bout du nez. Il pleut des cordes et des cordes. Le ciel est noir et chargé de nuage. J’ai pas l’habitude de prendre des taxis parce que je suis toujours en moto alors je galère avec l’application. Je suis en train de fouiller une énième fois dans mon sac pour vérifier que tous mes papiers sont là lorsque j’entends mon prénom être appelé au loin. Je me tourne en pensant que le chauffeur essaie d’attirer mon attention et qu’il a été se garer de l’autre côté de la rue mais, c’est la silhouette de Dean qui s’approche. Il a l’air affolé. Je fronce les sourcils.  J’ai immédiatement le cœur qui s’agite lorsqu’il s’approche de moi. «-Dean ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? » Un frisson me pique la colonne vertébrale. Il est beau avec les cheveux tout mouillés. Merde.  J'étais pas vraiment prête à le voir. Je ne m'y attendais pas et puis, j'avais promis que je ferais la fille insensible à ses charmes à mes amis. Au moins jusqu'à ce que je rentre de voyage. J'avais tout prévu. Je crois. Mais maintenant qu'il est là. J'ai comme un soulagement au fond de moi-même. Ça fait déjà quelques semaines qu'on ne s'est pas vus. J'avais pas vraiment envie de partir sans lui avoir dit aurevoir.

“Donc, ta copine, enfin ton ex, mais que tu appelles ta copine, s’en va un mois à Chicago ?”, je hoche la tête. Oui, c’est le résumé. Liam s’en va pour avoir une chance d’être recrutée dans une écurie. Pendant un mois. Je suis content pour elle, j’arrive même pas à exprimer correctement la fierté qui gonfle les poumons à chaque expiration. Elias s’assoit à côté de moi, les sourcils légèrement froncés. Il a un petit air pensif, je vois bien qu’il essaie de choisir ses mots : “Ok et … Logan ? Tu crois qu’il va rester les bras croisés en attendant que Liam retourne vers toi ?”. J’ai l’impression d’être sa nouvelle série à la mode. Il ne perd aucune miette des informations que je veux bien lui donner, sur ma relation avec Lils. Je fronce le nez : “Non. Je sais pas. J’espère.”. Il a un rire. Ses boucles blondes gigotent, tandis qu’il enfile son casque. Visière levée, il me dit : “C’est pas avec cet esprit-là que tu vas la récupérer, ta copine. Il a raison ton pote Charlie.”. Je sais. Je sais qu’il a raison et depuis que je suis coaché par le tatoueur, j’ai sacrément progressé. Mon jeu est plus agressif. Seulement, moi, Dean Rosier, j’arrive pas à me sentir légitime après ce que j’ai fait subir à Liam. Et même si je suis amoureux d’elle, même si je ne veux pas la perdre, il m’arrive de penser qu’elle irait mieux, si je la laissais tranquille. Elias me check, avant d’aller sur la piste. Si je ne fais pas un effort, il va finir par me battre et je n’ai pas envie de perdre ma place de premier. Esprit de compétition oblige.


Il pleut des cordes à Edimbourg. Le bruit de la pluie sur l’asphalte me donne un peu de courage. Je ne veux plus passer à côté de Liam. Je veux lui prouver que je ne suis pas ce type qu’elle a vu sur Maya, ce connard qui saute sur son ex à la moindre occasion. C’est pas moi, ça. C’est des mois d’incompréhension, de frustration, de colère, de non-dits, de déception. Autant de son côté que du mien. Mais c’est pas moi. Moi, je suis pas ça. Liam va partir. Dans quelques heures, son avion décolle. Dans quelques heures, on sera séparés par un océan, et sur des continents différents. Cette simple pensée me fout le cafard. Parce que même si elle voulait plus de moi, on était tout proches. Là … si elle veut plus de moi, on est à l’autre bout du monde.

Je ferme les yeux. Je repense à notre rendez-vous, dans le restaurant de nouilles qui a ouvert, dans New Town. Un sourire se dessine sur mes lèvres. On n‘était pas très à l’aise, mais j’ai profité de chaque instant. Surtout quand je l’ai vu mangé avec appétit. Y’a un truc entre Liam et la bouffe, assez dingue. Et moi, ça me rend beaucoup trop heureux de la regarder manger. Je rouvre les yeux, pousse un soupir. J’ai besoin de courage. J’ai besoin de force. J’ai besoin de charisme. J’ai besoin de parler avec mon cœur pour une fois et pas avec ma tête. Sur le trottoir en face, elle sort de son immeuble. Elle a l’air stressée, elle fouille dans son sac. J’ai le cœur qui fait un looping, parce qu’elle est trop jolie, ma petite-amie. J’inspire. Je ne peux pas reculer, pas maintenant. Je suis en bonne voie, je suis en bon chemin. Je ne peux pas tout lâcher maintenant. Et puis, si elle partait un mois sans que j’ai la chance de lui dire au revoir, je crois que je m’en mordrai les doigts pour les prochaines années à venir.

“LIAM !”, ça sort comme un cri du cœur. Mes jambes s’actionnent, je quitte le pavé du trottoir pour rejoindre le goudron de la route, après avoir regardé si aucune voiture ne passait au même moment. “Attends !”, j’arrive à sa hauteur. La pluie a collé mes cheveux sur mon front et le sac plastique que je tiens est décoré de centaines de petites gouttes d’eau. L’eau de pluie s’infiltre dans mon col, mais je n’en ai que faire. Elle est devant moi, Liam. Elle a le regard interrogateur, la surprise se lit sur les traits de son joli visage rond. Je souris : “Je ne pouvais pas partir sans te dire au revoir.”. C’est vrai, je ne pouvais pas. Ça aurait été stupide. Je lui tend le sac plastique : “Tiens, c’est pour toi. J’allais pas te laisser partir un mois entier sans que tu ne penses à moi, quand même.”. J’ai un petit rire, parce que je ne suis pas du tout sûr de cette phrase. C’est le genre de pickup lines que dirait un gars complètement sûr de lui. Moi, c’est pas le cas. J’ai de la confiance sur beaucoup de choses. Pas sur l’état de ma relation avec Lils.

Dans ce sac en plastique, il y a mon sweat. Celui qu’elle a bien aimé, sur mon dernier post Instagram. J’ai mis un peu de mon parfum dessus. J’espère faire bonne impression. Je sais pas. J’ai plus envie d’être à côté de la plaque. J’ai plus envie de rater quelque chose avec elle.

Je veux la rendre heureuse.

“Alors, t’es prête ? Tout est ok ? Passeport ? Visa ? Doudou ?”, je ne quitte pas ce sourire, ce ton jovial. Je suis un peu triste de la voir partir, c’est vrai. Mais quand j’imagine toutes les opportunités qui l’attendent, ça me rend heureux pour elle. Sincèrement. “T’oublie rien du tout ?”, je demande, les yeux qui s’ancrent aux siens. Je souffle : “J’adorerais avoir la taille requise pour être dans cette valise. C’est un peu glauque, non ?”. Je ris. Parce que je panique. Peut-être bien qu’elle s’en fout de mon sweat. Qu’elle s’en fout de mon rire, de mes questions à deux balles. Peut-être bien qu’elle va me dire : Dean, arrête, tu me stresses. En tout cas, je suis presque sûr qu’elle oublie un truc. J’attend juste qu’elle trouve de quoi il s’agit. Moi, je sais.