Bah oui, Cam', ça t'aidera à extérioriser. Peut-être même à t'ouvrir à d'autres formes d'art. Il n'y a pas que le dessin, dans la vie, tu sais ? Merci Elton, j'ai suivi trois ans d'études à l'université d'art d'Edimbourg ; avec des modules tous plus incohérents les uns que les autres autour de la danse contemporaine ou même du théâtre vivant alors, un cours d'improvisation ? Merci mais non.

« Avant de vous lâcher sur scène et vous demander d'improviser sur des thèmes que nous avons choisis, nous aimerions commencer par un petit tout de parole pour apprendre à vous connaître »

Pourquoi est-elle venue ? Camryn se le demande, à moitié avachie dans son siège, ruminant un peu. Si Fabok apprenait ce qu'elle faisait alors qu'ils prévoyaient de lancer un nouveau projet et qu'elle était déjà en retard dans ses croquis, il menacerait très certainement de la virer pour en trouver une autre. Cependant, l'écossaise avait fini par le percer à jour : c'était toujours la même chanson et, jusqu'alors, il n'en était jamais venu à exécuter ses menaces. Pourtant, ce n'était pas l'occasion qui manquait à chaque fois ...

Non, en vérité, si elle était là, c'était parce que depuis l'accident, elle n'osait plus dire "non" à son meilleur ami. Elle lui avait pourtant fait comprendre par quelques allusions, une voix hésitante, des épaules qui se haussent et se dé-haussent, des grimaces, des mimiques confuses que, sincèrement, ce n'était pas pour elle ... Par procuration, peut-être qu'il demandait à Camryn ce qui lui était devenu impossible de faire ; prisonnier de sa maison, assailli par les ombres du logis, mâchouillé par ses murs qui se contractaient petit à petit autour de lui jusqu'à le digérer et le faire disparaître dans leurs tapisseries. Puisqu'elle se sentait coupable de tout, Cam' acceptait tout. Elle lui raconterait ainsi, la prochaine fois qu'elle lui déposerait son courrier et un bouquet de tulipes, ô combien le cours l'avait emmerdé mais ô combien elle y avait pourtant participé pour lui. Pour lui faire plaisir. Parce qu'elle n'était pas la seule à s'inquiéter dans leur duo, assurément. Lui aussi voyait clair en elle et lui aussi savait que quelque part, elle s'était rendue prisonnière à ses côtés d'un quotidien morne alors qu'elle aspirait encore à voir la vie haute en couleurs.

Assis en cercle sur des chaises, dont une, en la possession de la petite blonde, qui avait le malheur de n'avoir que trois pieds touchant le sol et un jouant l'équilibriste, ce qui la faisait légèrement tanguer quand le poids était mal réparti, les élèves du jour prirent la résolution de se présenter successivement. La première qui prit la parole fut une jeune fille aux cheveux roux qui se présenta comme une influenceuse. Elle disait s'appeler Effie. Loin d'être technophobe, Cam' ne vivait cependant pas vraiment avec son temps et, même si elle avait bel et bien un compte TikTok ou un Instagram, elle n'utilisait en réalité ses applications que pour suivre des dessinateurs professionnels ou amateurs à travers le globe ; ou des comptes fans d'Harry Potter, parfois les deux en même temps. Effie, ainsi, malheureusement, ne rentrait pas vraiment dans sa ligne éditoriale. Si elle ne se filmait qu'elle, il n'y avait aucun problème, pensa la blonde en plissant ses lèvres l'une contre l'autre en remuant sur sa chaise qui pencha vers l'avant.

Inspectant les participants à leur cours, Cam' remarqua qu'elles étaient huit filles pour quatre garçons. Un petit groupe de six personnes. Celui qui prit la parole ensuite fut un homme assez efféminé si l'on en oubliait les points de barbe qui enchâssaient sa mâchoire et descendaient jusqu'à sa pomme d'Adam, il avait des petites lunettes sur le bout du nez et des cheveux noirs mi-longs, une chemise blanche à rayures rouges. Il disait s'appeler Marcus et venir d'une petite ville en périphérie de Glasgow. Il était promoteur immobilier. Drôle de métier pour un élève de cours d'improvisation, se mit à penser la blonde avant d'être interrompue dans ses pensées par l'une de leurs professeures du jour qui, face à l'initiative de Marcus de parler après Effie, décida de continuer les présentations en suivant l'ordre des aiguilles d'une montre. Là, elle constata qu'elle était donc la suivante. Sursautant presque de surprise en constatant les regards qui obliquèrent naturellement vers elle, la blonde se redressa et tira sur les manches de son petit pull mauve afin de camoufler ses mains dessous. Tu fais chier, Elton ...

« Moi je m'appelle Camryn. Je suis illustratrice de livres pour enfants. » Dit-elle en préambule. « Je comptais passer ma soirée à dessiner, comme d'habitude.. » Le "comme d'habitude" la fit remarquer malgré elle son quotidien devenu robotique. « Mais mon meilleur ami a vu passer une brochure à propos de votre cours. Une brochure qu'il a reçu par courrier. Il m'a inscrit. Sans trop me consulter. Parce que je n'ai pas trop envie d'être ici ... Je ne me sens pas vraiment à l'aise avec mon corps et je ne suis pas du genre trop démonstrative. Je n'ai rien d'une comédienne, en fait. » Avoua t-elle avec une certaine franchise qui déconcerterait peut-être certains ici.

L'enseignante en profita pour rebondir là-dessus et, alerte, se releva en face de la blonde afin de réparer quelques sottises dites qui pourraient effrayer les plus réticents des élèves ici présents. Elle corrigea ainsi certaines tournures, leur indiquant qu'ils étaient là pour apprendre, fit valoir les bénéfices d'une pratique improvisée dans la vie de tous les jours où rien n'est sûr et tout est à découvrir et Cam' roula des yeux avant de se laisser retomber sur sa chaise qui tangua cette fois-ci en arrière.

« Putain de chaise ... »

Le sol devient le plafond, et le plafond le sol. Chaise de merde, vraiment. Elle peste mais est soulagée de constater qu'en dépit de sa chute, elle n'a rien de cassé. Elton, tu vas entendre parler du pays ... Quelle idée, sincèrement, d'inscrire ta meilleure amie à un cours d'improvisation alors qu'elle n'est pas forcément trop à l'aise avec son corps ; d'autant que le cours en question a failli lui coûter son dos ou sa tête ? Tandis qu'elle rumine, elle voit apparaître dans son champ de vision les visages de la petite influence mais aussi de la bibliothécaire qui venait de prendre la parole, à son tour, avant qu'elle ne subisse les caprices de sa chaise mal conçue.

« Tout va bien, oui. Merci. » Elle se redresse, les joues un peu en feu. Quelle honte, merde. Tomber comme ça devant tout le monde ? Et les animatrices qui sourient encore sans même se soucier d'elle, continuant leur présentation comme si de rien n'était ? Bande de mégères. « C'est surtout que cette maudite chaise a été mal coupée, oui. Elle a un pied plus petit que les autres ... »

Après, faut-il l'avouer, elle ne s'était pas non plus réinstallée correctement et s'était laissée choir de tout son poids contre le mobilier qu'elle savait pourtant branlant avant de se dresser sur ses deux jambes pour se présenter. Loin de vouloir admettre sa faute néanmoins, elle croisa les bras sous sa poitrine et fit la moue en plissant son front et ses sourcils. Dans son malheur, elle avait tout de même eu de la chance... Maintenant, cependant, elle allait se méfier de cette chaise et tenter de se stabiliser au mieux. Même si elles étaient dans une simili salle des fêtes à en croire l'estrade, il n'y avait visiblement pas assez de tabourets pour pallier à un défaut de chaise et ainsi lui permettre d'intervertir son siège avec un autre.

Outre sa chute, l'autre événement qui avait attiré l'attention fut la présentation de Grace. Elle était, eût-elle dit, bibliothécaire ici, à Edimbourg. Curieuse coïncidence ... Ou pas, d'ailleurs. Ce genre d'attractions devait attirer à elles surtout des personnes concernées par le milieu de l'art alors il n'était pas bien étrange de constater la proximité d'intérêts entre Camryn et Grace ; mais aussi dans une certaine mesure entre Effie et les deux autres femmes puisque d'une certaine façon, les réseaux sociaux étaient devenus un lieu d'expression tel qu'on pourrait l'assimiler à une forme d'art. Certains l'employaient d'ailleurs comme tel, dans la plus pure tradition du terme, afin d'y exposer des oeuvres peintes ou proposer des danses sur fond de Beyoncé ou Ariana Grande ; quand d'autres s'essayaient à des domaines artistiques plus contemporains et osés comme cet asiatique qui retirait des serviettes sur lesquelles étaient installées des tasses de thé disposées sur son sexe sans jamais le révéler ... Rien que penser le concept était ardu et particulier, se dit naturellement la petite blonde en roulant des yeux.

« Bien. Maintenant que tout le monde a fini de se présenter, nous allons commencer ! » La professeur se releva avec joie, sautillant presque sur place afin de se dresser sur ses jambes. Elle joignit les mains, incita tout le monde à la suivre et s'expliqua. « Comme peu d'entre vous ont déjà eu l'occasion de pratiquer le spectacle vivant, nous allons commencer par un exercice simple ayant pour but de vous familiariser avec l'espace tout en jouant avec votre corps. » Camryn se leva, sans entrain, les mains dans les poches de son jean, sondant du regard chacun des participants autour d'elle. « A partir de maintenant, vous êtes des spaghettis et vous allez devoir suivre le mouvement de ma main puisque je vais faire comme si je remuais dans une grande casserole mes pâtes pour éviter qu'elles ne collent. Si je tourne à gauche, vous devez suivre ma gauche ; pareil pour la droite. Petit à petit, vous allez devoir vous ramollir comme les spaghettis dans l'eau de cuisson et donc devenir de moins en moins rigides. Des questions ? »

Elton, enfoiré, je vais te tuer. Camryn écarquille les yeux, sonde tout le monde et s'étonne de voir que, même si deux ou trois benêts rient et s'en amusent, les autres ne semblent pas si outrés que cela. Cet exercice, pensa t-elle, était gênant au possible ... Les filles allaient vraiment essayer de suivre les directives de l'autre folle et jouer les spaghettis bien dociles ? Elle allait très vite le savoir puisque leur enseignante commença un mouvement ample du bras droit en orientant sa rotation vers la gauche, attirant alors à elle la jeune Effie.

Camryn avait regardé la porte de sortie. Ce qui n'était pas bon signe. L'idée de jouer le rôle d'un spaghetti ne l'enthousiasmait pas du tout. Les autres, pourtant, se plièrent aux exigences des coordinatrices. Elle prit le temps de sonder chacun dans la salle et l'envie d'utiliser son don sur eux était grande. Elle sentait comme une petite puce s'agitait en elle et l'intimait d'aller à la rencontre de ces artistes en herbe afin de voir si les profs' ne se foutaient pas simplement d'eux mais aussi pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'une caméra cachée. Cette pensée d'ailleurs lui fit inspecter du regard chaque coin de la grande salle polyvalente où ils se trouvaient tous et toutes. Putain, rien. Elle aurait aimé que de la pénombre jaillisse un homme accroché à une caméra, effectuant un travelling autour d'eux en ricanant, révélant la supercherie à chacun qui exploserait alors de rire en révélant enfin à haute voix que nulle personne ici n'avait pas trouvé la proposition ridicule. Malheureusement pour elle, il ne se passa rien de tout cela.

Figée au milieu de la salle qui lui semblait plus vaste que jamais tout en comprimant chacun de ses acteurs les uns sur les autres, faisant qu'elle eut bientôt l'impression d'être comme asphyxiée par tous ces corps en phase de ramollissement autour d'elle qui ricanait un peu en voyant leurs voisins jouer à ce jeu idiot avec eux. L'exercice était régressif, ça c'est sûr, mais Camryn, qui n'était pas très à l'aise avec son corps, se voyait mal se ridiculiser de la sorte en présence de tous ces adultes. Dans le fond, elle restait une grande enfant, ou tout du moins une adolescente revêche et il lui était difficile de se livrer à pareille expérimentation. Encore que ... Si elle avait été entourée de jeunes enfants, elle se serait sans doute plus laisser aller au prétexte qu'ils n'étaient que des enfants et qu'aucun ne se serait vraiment moqué.

Non loin d'elle, il y avait ces deux jeunes femmes qui, plus tôt, étaient venus lui parler à l'occasion des présentations mais aussi et surtout suite à sa chute. Effie et Grace. Elle se souvenait, malgré sa petite tête, du prénom de chacune. La jeune rousse d'ailleurs s'était montrée particulièrement gentille tout à l'heure en lui proposant de prendre sa place, si jamais elle craignait encore de tomber. Ne voulant pas déranger, la blonde avait refusé avant même de constater qu'aucun siège n'était de toute façon disponible pour qu'elle puisse s'asseoir ailleurs.

« Mais c'est quoi cette connerie, sérieux ? » Pesta la blonde dans un soupir en faisant mine de gigoter un peu son bassin de gauche à droite lorsqu'elle sentit le regard d'une des enseignantes sur elle.

Les deux formatrices circulèrent alors à travers leur plat de pâte en pleine préparation, mimant encore les remous circulaires d'une grande cuillère afin de les inciter à suivre la rotation de leur main. Forcément, étant donné le petit manège qu'elles mirent en place, Effie finit par perdre ses repères spatiaux et heurta l'écossaise qui lâcha un simple "aoh !" en faisant deux pas en arrière, cognant donc la chaise qu'elle finit par envoyer valser plus loin d'un coup de pied. Elle n'allait pas la faire chier toute la soirée, cette foutue chaise.

« Tu t'es pas fait mal, au moins ? »

L'une des formatrices, la bouche en coeur, s'approcha toute guillerette, sautillant à la manière d'une petite fée espiègle jusqu'aux trois femmes qu'elle surprit en plein arrêt :

« Mesdames. » Commença t-elle d'une petite voix qui agaça déjà la blonde qui ruminait dans son coin, à l'écart des deux autres, encore située dans la zone initiale où elles s'étaient assises en rond. « Vous vous en sortez alors ? Les pâtes sont bien molles ? »

Camryn ne l'était pas du tout, molle. Et elle comptait bien le lui prouver. Décidée à mettre à nu les intentions réelles de leur enseignante, elle se racla la gorge, s'approcha d'un pas et, après avoir attiré l'attention de leur interlocutrice, demanda d'une voix qui parut plus ferme que d'habitude :


Déroutée, l'enseignante resta un temps sans voix. Dans sa gorge, les sons carambolaient les uns contre les autres. Du fait du don de la blonde, il lui était impossible de transmettre une information erronée ou d'émettre une idée autre tant qu'elle n'aurait pas répondu avec sincérité à sa question. Alors, après avoir tenté de résister, elle finit par dire :

« Oui. C'est pour vous décomplexer et vous permettre ensuite de jouer sans retenue. Et puis c'est toujours amusant de regarder des novices expérimenter leur corps et l'espace ! »

Elle serra d'autant plus les dents en apprenant que cet exercice n'était pas une supercherie finalement. Elle aurait préféré. Cela lui aurait donné raison et elle aurait pu partir en claquant la porte avec une raison valable ...

Camie aurait préféré qu'on lui rit au nez. Lorsqu'elle avait posé cette question à leur formatrice, elle avait espéré secrètement qu'elle pouffe devant eux et leur révèle, les larmes aux yeux, qu'elles n'avaient aucun diplôme et leur faisait bêtement faire tout ce qui leur passait par la tête. Malheureusement pour elle, il y avait bien un idiot qui, un jour, descendant de son plateau de théâtre, avait pondu une théorie farfelue selon laquelle il était nécessaire pour les comédiens, afin de mieux jouer la comédie, d'interpréter les mouvements vains et les dandinements corporels d'un spaghetti afin de parfaire son jeu. Même si elle n'était pas une grande férue de théâtre, elle imaginait pourtant assez mal William Shakespeare élaborait les premières scènes de son Roi Lear en demandant à ses acteurs de tourbillonner dans ses différentes salles de spectacle. La reine Elisabeth aurait tôt fait de lui couper la tête. Camryn aussi se surprit à vouloir couper des têtes, à ce moment précis.

Malgré tout, alors qu'elle ruminait discrètement, déçue de cette sincérité inespérée chez l'enseignante, elle constata qu'elle s'était trouvée des alliées de choix. Visiblement, la bibliothécaire et la jeune influenceuse avait fini par rejoindre ses rangs et trouvaient, elles aussi, l'expérience assez cocasse. Ce fut la première, d'ailleurs, qui, cinglante, se permit sur un ton caustique de remettre en question leur crédibilité si un regard étranger venait se poser sur elles à ce moment précis. Si Elton ambitionnait de la voir s'épanouir et retrouvait l'amour, il était certain que cela ne se ferait sans doute pas aujourd'hui puisqu'elle incarnait - avec mollesse et un manque d'envie criant - une pâte en plein ramollissement pour sa première leçon d'improvisation ...

Grace, suite à la première question de Camryn, asséna à leur formatrice une nouvelle pique concernant son exercice. Sans doute faisait-elle référence, par cette idée de « pâtes en décomposition », à la chute accidentelle d'Effie, quelques minutes plus tôt. La blonde ne put réprimer un petit rire qui lui fit froncer le nez. Visiblement, l'enseignante ne s'en offusque toujours pas et, sur un ton amusé, rétorque que cela n'arrive pas souvent mais que s'il advenait qu'effectivement, certaines pâtes rompent, elles demeurent finalement toujours moins rigides qu'avant le début de l'exercice ce qui, pour elles, est une réussite. Camryn ne savait pas si elle faisait preuve d'humour noir ou si, ingénue, elle pensait réellement ce qu'elle disait. Tout pointait pourtant vers le sarcasme. Elle s'en serait bien assurée, à nouveau, en lui posant une deuxième question mais elle se retint finalement ; d'autant qu'elle ne tarda pas à rejoindre sa collègue afin de frapper collégialement leurs mains l'une contre l'autre afin d'interrompre la cuisson de leurs comédiens en herbe qui, comme soulagés par la fin de l'exercice, retrouvèrent leur droiture habituelle après avoir calmé les quelques vertiges qui agitaient certains. Camie, qui n'avait qu'assez peu suivi les consignes, se réjouit de voir qu'elle était l'une des seules à n'être ni épuisée, ni étourdie.

Il est, cette fois-ci, question de se mettre par groupe. Effie, la plus jeune du trio, ne manque pas de se saisir de la situation pour faire de ses deux acolytes ses partenaires de jeu. Et, sincèrement, Camryn est quelque part assez soulagée. Elle n'aurait pas su où se mettre si elle s'était retrouvée seule, sans groupe, ou si elle avait fini par rejoindre un groupe des plus gênants, composé du promoteur immobilier de tout à l'heure et de celui qui s'entretenait déjà avec lui pour initier les prémices d'un groupe ; un gros monsieur bedonnant au crâne bien dégarni mais encore dôté d'une couronne de cheveux poivre et sel qui lui avait semblé très entreprenant, tout à l'heure, avec une demoiselle. Alors, quand Effie l'attrapa, elle lui sourit gaiement.

« Moi ça me va ! Je préfère être kidnappée par toi que par d'autres, en fait ... » Elle ne désigna personne. Mais elle avait bien quelques visages en tête.

Effie, après tout, lui paraissait assez jeune et Cam' se sentait toujours mieux en présence d'enfants ou d'adolescents. Puisqu'elle était une jeune adulte, Effie, avec son visage de poupon, la mettait plus à l'aise que d'autres. De plus, Grace ne lui semblait pas désagréable non plus. Elle était, après tout, d'une branche professionnelle jumelle à la sienne et s'était illustrée, tout à l'heure, en jouant sur la même corde qu'elle en questionnant l'une de leurs formatrices. En vérité, elle était assez satisfaite de son groupe.

La consigne fusa aussitôt et suivit la composition précipitée de leur trio : il était désormais question de simuler des rencontres. La simulation n'en serait pas vraiment une, à vrai dire. Aucune d'entre elles ne se connaissait vraiment. Cependant, le fait qu'elles doivent jouer des rôles et se parer d'un masque fit grincer des dents la jeune blonde qui, aussitôt, fit une moue et soupira :

« Par contre, ne m'en voulez pas mais je vais pas être la meilleure partenaire ...» Qu'elle s'entende avec elles ou non, si Cam' avait décidé de ne pas s'investir, cela n'en changerait rien. Elle était venue ici en trainant des pieds et ne souhaitait pas donner raison à Elton en passant un moment agréable et en s'initiant véritablement à l'improvisation. « A cause d'un "ami", oui. » Rumina t-elle encore. Elle savait qu'il faisait ça pour l'aider à s'intégrer ; mais bordel, Elton, qui t'a demandé de m'aider ? Surtout que, paradoxalement, il en avait sans doute encore plus besoin qu'elle, enfermé comme il l'était désormais dans la geôle qu'était devenue sa maison ...

Les professeures se mirent à circuler entre les différents groupes, s'assurant d'une répartition correcte de leurs différents comédiens en devenir et, une fois leurs étudiants répartis, elles claquèrent à nouveau en chœur leurs mains pour les lancer.

« Je peux vous laisser commencer toutes les deux ? Je regarde, et je m'inspire ... »