Grace ne se souvenait pas d'avoir souvent passé des moments rien que pour elle et fait des choses pour elle seule. Alors, vivre dans un nouvel appartement avec Naoko avait vraiment été une expérience des plus étonnantes pour elle. Ce qui était un vague projet au départ s'était concrétisé presque plus vite qu'elle n'aurait pu le croire et elle était maintenant installée dans un nouvel appartement beaucoup moins dangereux en termes de voisinage et d'accès. Elle n'avait plus peur de se faire agresser chaque fois qu'elle rentrait de son travail et elle avait la compagnie de sa meilleure amie en prime.

Elle avait mis du temps avant de se rendre compte que c'était vraiment chez elle et que c'était un endroit qu’elle pouvait fièrement montrer à des personnes. Mais quand il avait fallu inviter quelqu'un, la première personne à qui elle avait pensé pour lancer une invitation était Iona. Lorsqu'elle s'était retrouvée au parc, la jeune fille avait promis à son amie qu'elles se reverraient et elle désirait maintenant respecter sa parole. Elle avait donc décidé de l'inviter chez elle, ce qui lui permettrait de lui faire découvrir son tout nouvel appartement et de passer un moment agréable en sa compagnie. Elle avait profité d'un moment où Naoko était occupée à la fac pour être seule, étant donné qu'elle ne savait pas encore comment cela allait se passer.

Elle avait préparé du thé et elle avait même essayé de cuisiner des cookies. Même quand elle s'occupait des familles dans lesquelles elles vivaient, elle n'était pas forcément extrêmement douée pour faire des pâtisseries. Mais elle avait une recette de cookies assez simple, fourrés aux pépites de chocolat, qu'elle avait déjà partagé avec d'autres personnes qui lui avaient dit que c'était bon. Elle se disait donc que c'était une valeur sûre pour inviter une amie. Tout était prêt et il ne restait plus qu'à attendre que Iona arrive. Elle était impatiente de lui faire découvrir l'appartement qu'elle avait aménagé elle-même.

L’arrivée de Iona se fit sans grande pompe ni feux d’artifice, mais cela résonna comme une fête au cœur de Grace. Après tout, elle avait un chez elle qu’elle avait pris le temps de choisir où elle vivait en compagnie de sa meilleure amie. Elle n’était plus dans un appartement sordide d’une rue non moins sordide où elle risquait de se faire couper la gorge à chaque fois qu’elle sortait de chez elle. Prendre un appartement avec Naoko avait été la toute première chose de sa vie qu’elle avait vraiment fait pour elle, en dehors du fait de vouloir travailler à la bibliothèque pour être avec son père.

« Iona ! Bienvenue à la maison, je suis si contente que tu aies pu venir. Ho merci ! »

Elle n’était pas venu les mains vides. On n’avait pas souvent fait de cadeaux à Grace et même le plus insignifiant des cadeaux aurait une valeur magique dans le cœur de la demoiselle. Elle la remercia chaleureusement et l’entraîna au salon pour déguster ce qu’elle avait préparé. Elle ne savait pas encore si elle savait recevoir. Autant avouer que c’était une grande première pour elle. Elle avait cependant fait de son mieux et elle installa son amie de son mieux. Les efforts étaient bel et bien présents et elle avait simplement contente de partager sa journée avec elle, sans chichis.

« Tu veux boire quelque chose ? Fais comme chez toi, surtout. »

Elle était impatiente d’avoir son avis sur les lieux et aussi d’avoir de ses nouvelles. C’allait être une belle journée. Elle se sentait comme une enfant de huit ans qui accueillait sa copine à la maison pour la première fois. La vie de Grace s’était-elle arrêtée à cet âge pour ne reprendre qu’actuellement ? Ce n’était pas complètement ahurissant de le penser. Mais ce qui était une bonne chose, c’était qu’elle découvrait enfin le plaisir de garder le contrôle de sa vie. Elle se demandait où ce chemin la conduirait, mais elle avait bon espoir de trouver quelque chose de beau dans le résultat qu’elle obtiendrait.

« Tu aimes ? Avec Naoko, on a tout redécoré pour que ça nous convienne. »

Depuis quelques temps, Grace faisait beaucoup de choses dont elle n'avait pas l'habitude. Inviter quelqu'un chez elle en faisait partie. Était-elle vraiment en train de changer au point d'agir comme une personne normale et non pas comme quelqu'un qui avait quelque chose à expier ? Elle devait reconnaître que c'était le genre de choses qu'un grand nombre de ses proches souhaitaient pour elle et c'était une décision qu’elle seule pouvait prendre. Se punir constamment était de son fait seul et elle savait très bien que personne ne lui aurait reproché de s'efforcer de vivre la vie la plus heureuse possible. Pourtant, elle ne se l'accordait pas.

« J'ai l'impression que ma vie est tellement différente, à présent. Je choisis un appartement avec ma meilleure amie. J'invite une autre amie chez moi. Ce sont des choses assez nouvelles pour moi. »

Comme elle lui demandait un jus de fruit, Grace se dirigea vers la table du salon où elle avait mis tout ce qu'elle avait préparé pour accueillir son ami. Il y avait évidemment des jus de fruits parmi tant d'autres choses et elle lui servit un jus multifruit qu’elle aimait tout particulièrement et qu'elle avait justement espéré lui faire découvrir. Elle lui tendit son verre avec un sourire et avec une aisance qu'elle ne se connaissait pas. Les décisions qu'elle avait prises l'avaient décidément fait grandir d'une manière qu'elle n'aurait pas soupçonné au départ.

« C'est surtout Naoko qui a initié les choses. Elle a beaucoup de goût et elle sait exactement ce qu'elle veut. Elle a fait tout ce qu'elle pouvait pour me pousser à choisir des choses qui me plaisaient aussi et à les ajouter à la décoration de l'appartement. J’ai fini par me laisser tenter. Tiens, goûte ça, c'est une découverte que j'ai faite chez un vendeur local du coin. C'est un mélange de fruits frais et c'est vraiment délicieux. »

Elle prit les assiettes dans lesquelles elle avait mis des gâteaux afin de lui en proposer. Elle songea que si sa décoration était plutôt sympa, elle manquait de photos, pour sa part. Elle n'avait pas beaucoup d'êtres suffisamment chers pour vouloir poser leur photo quelque part. Mais elle pourrait peut-être trouver dans un livre une représentation de son père qu'elle ferait encadrer elle pourrait ajouter une photo d’elle et Naoko ou de Iona et son fils il y avait aussi cet homme, Bear, à qui elle s'était attachée et de qui elle s'était suffisamment rapprochée et elle songea qu'avec tout ça ; il y aurait peut-être de quoi faire un arrangement photographique.

« Je me dis que ça manque peut-être d'un pêle-mêle avec quelques photos, tu m'en donnerais une de toi et de Logan ? »

Comme elle l'avait souvent fait, Iona décrivait avec presque trop d'exactitude ce que Grace ressentait. Elles étaient sœurs de situation, puisqu'elles en étaient toutes les deux passées par une vie d'enfant soumises à la responsabilité de la communauté et ne possédant ni sa propre famille ni ses propres attaches. Elles étaient toutes deux passées par une période où elles n'avaient rien et où elles vivaient seules. Avoir leur propre appartement était un aboutissement que ni l'une ni l'autre ne pouvait imaginer quand elles étaient enfants. Simplement faire son propre choix de vie semblait quelque chose d'inaccessible quand on n’avait rien.

« Mais oui, tout à fait. Au début, j'ai regardé tout autour de moi et j'avais l'impression d'avoir une toile vierge et de ne pas être capable de la peindre. Encore aujourd'hui, c'est Naoko qui a fait le plus gros. Mais je commence doucement à m'y mettre. Je finirai bien par savoir ce que j'ai le plus envie d'avoir dans ma propre maison. »

La question du bonheur, Grace ne se l'était jamais posé. Elle avait toujours considéré que ce n'était pas une option et qu'elle devait se contenter de vivre sans vraiment savoir ce que voulait dire de faire ses choix et d'être vraiment heureuse. Qu'il s'agisse de choisir ses relations, ses activités ou simplement rythmer son quotidien selon ses règles à elle, tout cela lui avait semblé quelque chose d'inaccessible jusqu'à la proposition de sa meilleure amie, mais également l'attitude de son père qui l’avait contrainte à penser à elle et à refuser la responsabilité d'une famille qui la considérait plus comme une employée de maison que comme un de ses membres. Ils avaient réussi à la convaincre de devenir un individu à part entière.

« Oui, je crois que oui. Je n'ai jamais vraiment su ce que cela voulait dire d'être heureuse, mais je trouve que ça y ressemble. »

Elle n'était pas étonnée que Iona apprécie le jus de fruit qu'elle venait de lui faire goûter. Grace en avait essayé plusieurs chez ce vendeur et elle les achetait maintenant les uns après les autres en tentant de définir si l'un d'eux avait sa préférence ou pas. Mais tous étaient délicieux et incroyablement bon marché pour la qualité que ça représentait. Le quartier qu'elles avaient choisi avait de nombreux avantage insoupçonnés. Grace ne s'attendait pas à ce que ce soit le cas à ce point.

« Je dois avoir sa carte quelque part, attends. Ces jus de fruit sont incroyablement bon marché pour leur qualité. J'en bois tous les matins, maintenant. Tu te rends compte ? Je bois du jus de fruits pour le plaisir », dit-elle en interrompant son geste pour se tourner vers son amie avec un sourire ébahi sur les lèvres.

Iona avait raison. C’était évident que Naoko avait bien fait de la pousser à y mettre un peu d'elle-même. Son appartement précédent était clairement dans le style du propriétaire, style qui était plutôt miteux d'ailleurs. Grace n'y avait jamais apporté aucun aménagement et elle n'avait même pas pu dire qu'elle s'y sentait chez elle. À peine s'y sentait elle à l'abri et c'était déjà quelque chose de précieux dans le quartier où elle vivait. Mais ici, elle allait enfin pouvoir se sentir vraiment chez elle. Elle arbora un grand sourire en entendant Iona accepter pour la photographie.

« Formidable. Je vais aussi essayer de trouver une ancienne image de mon père et l'ajouter aux photos. Je sais que ça ne dérangera pas Naoko que je le mette sur notre mur avec les photos de famille et des amis. Et tu sais, il est vraiment content que je prenne un autre chemin dans la vie. Comment va ton petit prince, au fait ? »