Bonjour Madame Zaman,
Mon nom est Ravi Suthar, artiste-peintre. C'est Monsieur Khan, une connaissance de votre frère, qui m'a référé à vous. On m'a dit que vous recherchiez des travaux d'artistes pour le nouveau décor de votre entreprise. Je lui ai montré quelques unes de mes toiles et il m'a suggéré de vous les envoyer, sous toute réserve. Vous les trouverez, ci-jointes, à mon courriel.
Bien à vous,
R. Suthar.
Ne me regarde pas comme ça, Sophie.
S'il-te-plait.
Je te jures que j'y suis réellement allé. Je te jures que je lui ai montré mes toiles, d'abord. Chapman ne les a même pas regardé. Son associé, lui, m'a fait quelques remarques positives, avant de jeter son dévolu sur les toiles de ma mère.
Ma mère avait... Je ne sais pas ce qu'elle avait. Une vision du monde unique à elle. Des parts de couleurs vibrantes et des parts de ténèbres grises pleines de calme. Il y a une sagesse, dans ses toiles. Comme si elles refermaient le secret du passé et du présent de ses origines. Un pouvoir ancestral, organique retenu par des lignes d'une infinie précision. La femme comme déesse sacrée, dans tous ses angles.
Parfait pour le salon dune cosméticienne. C'est Khan lui-même qui me l'a dit. Il a à peine baissé les yeux sur la signature, au bas des toiles. R. Suthar.
Il m'a dit que j'avais du talent.
J'ai essayé de l'imiter, ma mère. J'ai essayé de l'égaler. J'ai essayé de la transcender, j'ai essayé de m'en défaire, de la renier et de partir sur quelque chose de complètement différent. Mais tout revient à celle qui m'a fait naître et je n'arriverai jamais à sortir de son ombre.
Jamais.
J'hésite avant de peser sur Envoyer. Que suis-je en train de faire, Sophie? Je suis en train de voler l'oeuvre de ma mère.
Pour la vendre à ma demie-soeur. Quel homme suis-je devenu?
[...]
La boutique sur New Town semble bien prometteuse. Je tremble, sous mon manteau de laine. Il fait beaucoup plus frisquet à Edinburgh qu'à Londres. Je tremble... mais est-ce vraiment de froid. Je la vois arriver au loin. Je suis un peu d'avance à notre rendez-vous.
Sous mon bras, Un portfolio de cuir noir avec les photographies des toiles. Les miennes et celles de ma mère, mélangées comme si elles venaient du même pinceau.
Tu le sais, Sophie. Je ne crois pas en Dieu. Ni à ceux de mes parents. Enfin, pas vraiment. Mais toutes les fibres de mon être prient, alors qu'Aizah me fait signe au loin. Je lui fais signe en retour.
"Madame Zaman! Merci beaucoup d'avoir accepté de me voir! Ravi Suthar!"
Je souris en lui tendant la main. Mais jai peur, Sophie, j'ai peur.
Quelles toiles attirera son oeil?
@Aizah Zaman