«-Lils ! Tu es rentrée ! »

La porte se ferme derrière moi. Ça fait quelques semaines que je ne passe plus par la porte avant de la maison. J’essaie d’éviter Holly un maximum mais, elle lâche pas l’affaire. Ça me rend un peu dingue, je crois. Elle se tient là, dans mon garage, une pile de mes vêtements fourrés en boule dans l’immense corbeille à ses pieds. Je déglutis difficilement. Sa voix me colle des frissons dans le dos. J’ai l’impression qu’elle se fout de ma gueule ou je sais pas. C’est comme si elle ne comprenait pas la gravité de toute la situation. Ce n’est pas parce que Sam l’a pardonnée que je suis dans le devoir d’en faire de même. Je lui inflige le traitement du silence depuis qu’on s’est croisé au réveillon de Noël et pourtant, elle continue de venir chercher mon attention ou celle de mes proches. Et elle se permet de m'appeler Lils, comme si on était copines. J’ouvre ma veste de moto, le visage fermé. Elle s’approche de moi, un grand sourire aux lèvres. C’est un peu bizarre de la voir. Je crois que je n'ai jamais autant détesté une émotion de ma vie. C’est encore plus fort qu’une émotion: c’est carrément un état, à ce stade. Ça me trouble qu’elle me ressemble autant. Je suis capable de comprendre ses expressions  très simplement. Un peu comme si je me voyais dans un miroir et ça me colle un sale truc dans le ventre. J’en dors pas la nuit. J’y pense constamment, en vérité. Je suis trop têtue pour essayer d’apprendre à la connaître mais, je suis aussi terrifiée de savoir à quel point je lui ressemble.

Tout chez elle me donne une impression de proximité. C’est un peu comme si une partie de moi-même était debout devant moi et que je ne l’avais jamais vu avant. Peut-être que moi aussi, je vais finir comme ça. Si je continue sur ce chemin avec Dean, c’est sûrement à ça que ressemblera mon avenir : je vais me rappeler à 50 ans que j’aurais pu avoir un truc génial avec quelqu’un mais que je n’ai pas su prendre le temps. C’est un peu ironique parce que je ne prends toujours pas le temps, malgré le fait que la relation est en train de me filer entre les doigts. J’ai pas envie d’être elle. J’ai essayé de me construire toute ma vie pour ne pas être elle mais, je fini par avoir l’impression de me regarder dans un miroir quand je la croise, 24 ans plus tard.  C’est une putain de blague, ça. Un truc un peu pervers de la part de l’univers. Quelque chose d’un peu terrifiant, aussi. Je ne sais pas comment contrer ce sentiment qui me prend les tripes et qui me souffle que je suis en train de foirer ma seule chance d’être amoureuse et heureuse, tout comme ma mère l’a foiré avant moi.  
Le seul point positif (mais pas vraiment), c’est que je n’arrive pas à être intime avec Dean alors, je ne risque pas de tomber enceinte et de lui déposer le gosse au pas de sa porte parce que je vais même pas avoir le temps de faire cette connerie-là avant de me faire jeter. En résumé : Je ne suis pas comme ma mère. Je suis pire.

«-Tu vas m’ignorer pour toujours ?» Elle demande en prenant la corbeille de linge dans ses mains et je hausse les épaules. Je retire mes chaussures d’un geste rapide du pied. «-Lils. C’est bon. T’es une adulte. Comporte-toi comme une adulte. Si tu as un problème avec moi, tu peux au moins m’en parler. » Je sens mes tripes faire un looping dans mon estomac. C’est pas agréable, comme sentiment. Mon coeur bat super fort mais pas comme quand je saute d’un avion ou que je conduis une F3 en pleine course, non. Je crois que j’ai un haut le cœur.  «-Mais, je te dois rien, Holly. Pas même une putain de réponse.» Je m’approche d’elle et lui arrache la corbeille de vêtements des mains. «-T’es pas la bienvenue ici. Casse-toi de mon garage. » Je jette la corbeille d’un geste rageur au sol et je pointe la porte du doigt. «-Et ne m’appelle pas Lils. Je suis pas ta fille et encore moins ta pote. Ne m’appelle pas du tout, d’ailleurs. Oublie que j’existe. Tu as su le faire pendant 24 ans, ça ne devrait pas être super dur. » Elle se met à chialer. Mais ça n’a pas l’air d’être de vrais pleurs. Juste des larmes de crocodiles pour que je lui cède une conversation. Je reste impassible. J’entends la porte s’ouvrir à la volée. C’est Sam qui dévale les escaliers comme un damné pour aller prendre Holly dans ses bras. Génial. Mon visage reste toujours aussi neutre quand il me souffle que je vais trop loin. Je grogne : «-Au pire, ne prenez pas la peine de venir ici. L’un et l’autre. Je vais sérieusement aller vivre autre part, ça va t'faire tout drôle, Sam. Et viens pas pleurer quand elle va se tirer, elle. » Il grimace et ça déclenche une immense dispute.

J’ai passé la journée à tourner en rond au club. Les seuls moments où j’arrive à me détendre sont ceux où je conduis. Je pense seulement à moi, à ma carrière et aux choses qui paraissent simples. Je crois que je suis un peu en train de perdre pied dans toutes ces histoires. 2023, ça a été l’année où tout a explosé et j’ai l’impression que je n’arrive plus du tout à être moi-même. Perdre Ashley, ça a été dur. Le retrouver, c’est tout aussi difficile. J’ai l’impression qu’un truc est cassé et que je ne plus jamais retrouver ce que j’avais avec lui. Finn est parti, les histoires de Parker sont de plus en plus mystérieuses, Lúca est en train de se construire et je crois que ça change un peu toute notre dynamique, même s’il a pas envie de l’entendre, il est à fond dans sa relation et je crois que parfois, je me sens de trop là dedans. Effie est trop occupée par sa vie compliquée pour être vraiment présente au quotidien. Harry est en train de passer des examens pour devenir pilote de ligne. Je crois qu’il va finir par partir, lui aussi. Skye n'est pas super bien dans sa peau depuis sa séparation et elle a du mal à gérer ses émotions, j’ai l’impression qu’elle est à un ongle de péter les plombs. Si c’est ça, être adulte, j’ai pas envie. Je crois que Ashley avait raison. Je voudrais que tout le monde reste satellisé autour de moi et que rien ne change jamais mais, c’est pas possible. Même ma relation avec Dean n’est pas celle que j’imaginais. Je pensais que rien ne changerait vraiment quand on se mettrait ensemble. On resterait les mêmes l’un avec l’autre. Mais, il a des attentes et moi, j’ai du retard. Sur tous les domaines et les aspects de notre relation.

Il faut que je grandisse et que j’accepte que moi aussi, j’évolue. Je suis en train de rentrer très sérieusement dans le sport automobile et je ne vais pas tenir encore très longtemps sans faire de choix concernant mes activités. Il va falloir que je choisisse où je veux être et ce que ça m’apporte. J’ai presque validé mon diplôme d’ingénieur mais ce diplôme m’empêche lui aussi d’avancer. Je ne vais pas pouvoir continuer à être étudiante avec une carrière à plein temps comme celle que j’ai actuellement. Je devrais être au club tous les jours, ou au moins, me concentrer sur ma forme physique et sur mes apparitions semi médiatiques qui deviennent de plus en plus importantes et je pêche très sérieusement dans ce domaine. J’ai un million de choses auxquelles je dois penser et je n’avance dans aucun plan de ma vie. Tout est soit en train d'éclater, soit de reculer.

Je sors de ma session de conduite avec autant de préoccupation que lorsque je suis entrée au club. Je me sens tellement déphasée. J’ai l’impression de ne pas réussir à gérer toutes les émotions qui se mélangent à l’intérieur de moi. Et souvent, quand ça arrive, je me concentre encore plus sur ma carrière. Je laisse tout derrière moi. Le vrai monde. Celui qui me heurte. Logan s’approche de moi, un sourire gêné aux lèvres. Il glisse son bras autour de mes épaules pour me souffler à l’oreille: «-Hey. Ton copain est là. Il a l’air en colère. » Ça me frappe. On avait rendez-vous, ce soir. Je me passe la main sur le visage. Il resserre sa prise sur mes épaules et m’offre un regard plein de soutien : «-Tu veux que je lui parle ? Je peux lui dire que le chef de piste t’a retenu. » Je secoue la tête, un peu prise au dépourvu.  «-Non, les mensonges, c’est pas trop mon truc. » Et ça, même en sachant que je vais avoir le droit à une nouvelle scène de sa part. Je fais signe à Logan et je file dans le vestiaire pour me changer. Je souffle quand je passe la porte battante du parking. Il se tient contre sa voiture, les bras croisés sur sa poitrine. Il attend depuis… Merde. Une heure et demie. Ça craint. Je me mord nerveusement la lèvre quand je m’approche. Je sais qu’il va criser et que ça ne va pas être joli cette fois. On aurait dû être au restaurant il y a une heure au moins. Il avait réservé.

Avant même qu’il ouvre la bouche, j’interviens. «-Je suis désolée ! Avant de te fâcher, je…» Je souffle. Je sais que je ne devrais pas faire ça. Ce n'est pas mon truc les mensonges. C’est mal et je le sais. «-J’ai été retenue. Par le chef technique… J’ai… Euh… » Mon mensonge s’arrête là. J’ai pas d’arguments. «-...dut gérer un truc avec lui. » Je sens que j’ai mon visage de menteuse. J’ai l’air d’une gamine prise en faute. Je check ma montre. «-Il n'est pas encore trop tard, on peut faire autre chose. Genre un autre restaurant ou… J’en sais rien. » La vérité c’est que j’ai pas trop envie de passer la soirée avec Dean. Je connais déjà la suite de la soirée et j’ai la flemme. Il va bouder comme un gosse comme si tout ça, c’était uniquement dirigé contre lui et que je cherchais à lui faire de la peine. Il va me dire que je ne peux pas traiter les gens comme ça. Et je vais encore devoir m’excuser dix fois. Je ne sais pas si j’ai le courage de ça.

Je n’ai rien dit la première fois que c’est arrivé. Parce qu'après tout, tout le monde peut oublier un truc, je veux dire … ça arrive. Ce n’est pas grave de louper une soirée avec son copain ou sa copine, surtout quand on a des presque-métiers comme les nôtres. Alors je n’ai rien dit. La deuxième fois, j’ai été un peu vexé, mais je connais Liam. Je sais qu’elle n’a pas fait exprès pour me vexer ou me faire me sentir mal. Elle devait être à fond dans son truc et voilà. La troisième fois, j’ai tiqué. Et puis après, j’ai arrêté de compter. Parce que ça me faisait du mal d’y penser. Je sais que … Liam est ce qu’elle est mais … Je voyais plus souvent ma copine quand elle n’était pas copine, que maintenant. Je ne saurais pas vous expliquer, mais j’ai l’impression d’être devenu secondaire pour elle. Enfin, attention, je sais qu’on est tous secondaire. Quand on raisonne comme Liam, sa carrière et ses études passent avant tout le reste et je ne peux même pas lui en vouloir parce que … J’admire ça chez elle. Je l’ai toujours dit : j’admire sa ténacité et je sais qu’elle deviendra une grande pilote et ce, même si elle doit passer par un autre chemin que celui qu’elle s’était imaginé. Seulement … J’ai l’impression que tout a changé entre elle et moi. Et pas en bien. Je me demande souvent si on aurait pas mieux fait de rester amis, quand on constate ce qu’on est en train de devenir, elle et moi. J’ai l’impression qu’elle ne met aucune énergie dans cette relation et que je lui seul à essayer de faire en sorte qu’elle fonctionne. Maya n’arrête pas de me dire que c’est stupide, que jamais elle ne m’aurait traité de cette manière et même si je me fiche de la manière dont elle m’aurait traité, je suis d’accord sur le fait que je sois stupide. Peut-être que je devrais juste … attendre que les choses se passent. Attendre que les choses viennent d’elle. Je crois que j’ai peur de faire ça, parce que je sais pertinemment que rien ne viendra d’elle. Elle m’a répété tellement de fois qu’il lui arrivait d’oublier qu’elle était en couple … Je n’ai pas envie que Liam m’oublie. Mais je crois que malgré mes efforts, ça arrive quand même. Et je ne sais pas comment lui faire comprendre autrement qu’en étant en colère.

Il fait froid, je suis gelé. J’aurais probablement pu attendre dans ma voiture, mais j’ai les nerfs trop à vif pour rester immobile, à l’attendre. Elle a encore oublié qu’on devait se retrouver. J’avais réservé un resto qu’elle adore, et puis après, au ciné, il y a un film d’horreur qu’elle m’a dit avoir envie de voir. C’est foutu pour le restau, foutu pour le ciné. Je regarde l’heure une énième fois : ça fait une heure et demie que j’attends dans le froid comme un con. Je devrais sûrement m’en aller, et attendre son message. Mais si je fais ça, est-ce que Liam ne va pas juste m’oublier ? Penser que c’est ok de louper chaque fois nos dates comme ça ? On se voit tout juste une fois par semaine. Deux, quand on a de la chance. Et je déteste être constamment en colère après elle, mais elle ne fait aucun effort et … elle me reproche d’être en colère. Je crois que c’est ça qui me fait le plus mal, au final. Le SMS qui s’affiche sur mon écran me fait grincer des dents. C’est Maya : “Si elle t’a encore mit un lapin, on peut regarder Percy Jackson ensemble, je sais que tu adores les livres et la série est enfin sortie sur Disney+ !”. C’est vrai, j’adore Percy Jackson. Mais mes muscles se tendent, quand je vois que mon ex petite-amie à ce genre d’attentions et pas … ma propre copine. Je sais comment est Liam. Socialement, c’est pas ça. Elle ne semble pas avoir les mêmes codes que nous, pour des raisons que j’ignore. Mais ça fait partie de son charme et j’étais prêt. Ou … je croyais être prêt ? Aucune idée; Quand nous étions amis, tout semblait plus simple.

Finalement, j’aperçois enfin du mouvement au bout du parking. Je range mon téléphone et lève le nez vers la silhouette qui s’avance vers moi. J’ai envie de lui lancer une pique cinglante, quelque chose qui lui ferait comprendre qu’encore une fois, je suis blessé. Mais je n’en ai pas le temps, parce qu’avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle se lance dans une explication. Mon sourcil s’arque à mesure qu’elle s’enfonce dans un mensonge. Comment je sais que c’est un mensonge ? Est-ce que vous avez déjà vu Liam essayer de mentir ? Quand on joue à se donner des anecdotes vraies ou fausses, je gagne tout le temps contre elle. Elle ne veut d’ailleurs plus y jouer. J’inspire longuement, avant de soupirer, blessé, en colère, frustré et triste. Mes épaules s’affaissent : “Liam … Les restos vont fermer et j’ai pas envie d’un Mcdo. Et on vient de louper le début de la séance de ciné.”. Je crois que mon ton est plus sec que ce que j’aimerais. Je ne sais pas comment lui faire comprendre que je suis en colère, sans passer encore une fois pour celui qui en fait des tonnes, alors que je demande simplement un minimum. Elle propose qu’on aille autre part, mais franchement, je n’en ai pas envie. C’était notre seule soirée de disponible avant deux semaines. Je suis déçu. J’entre dans la voiture, les mains gelées par le froid mordant de la banlieue d’Edimbourg. Une fois installé, je lance : “Ah oui et t’embête pas à inventer des mensonges, dis juste que t’as encore oublié. Je commence à avoir l’habitude.”. J’ai un rire jaune qui s’échappe, tandis que je boucle ma ceinture. Mes doigts tapotent le volant nerveusement : “Tu veux que je te dépose chez toi ?”. Je ne la regarde pas et j’essaie de contenir l’explosion qui menace d’arriver. C’est mieux si je m’énerve seul. Je crois. Mais je crois que mes gestes transpirent l’état dans lequel je suis. Je me sens mis de côté, délaissé. Comme si, maintenant qu’on était ensemble, elle n’avait plus d’efforts à fournir. Je désigne l’arrière de ma C7 : “Y’a un bouquet pour toi. Je suis plus très sûr de la gueule qu’elles ont mais …”.

Je démarre en silence, vers la destination choisie un peu plus tôt. Et c’est tandis qu’on attend à un feu rouge, que je lâche : “Tu sais, si t’as pas envie qu’on se voit, ce serait vraiment plus rapide de simplement le dire. J’en ai marre de t’attendre comme un con sur ce foutu parking.”. J’ai le cœur qui se serre. Bon sang, mais pourquoi tout à l’air si difficile ? J’étais pourtant sûr d’être prêt. Je … Est-ce que je lui en demande trop ? Je sais pas. Je sais plus.

Je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à être la personne que Dean attend. Je n’arrive pas à le rendre heureux et plus les semaines passent, plus j’ai l’impression que c’est évident qu’il mérite mieux que la relation bancale que je lui offre. J’ai l’impression d’avoir constamment la tête sous l’eau. Je n’ai pas envie non plus de demander de l’aide parce que j’ai pas l’impression qu’il comprenne les réalités auxquelles je fais face. Et puis, je n’ai pas non plus envie de l’entendre me débiter des solutions qui ne me conviennent pas et qui, pourtant, seraient évidentes pour lui. Il n'a jamais fait face à des parents démissionnaires. Il sait pas ce que c’est d’être abandonné et puis baladé de belles-mères en belles-mères. Il sait pas ce que c’est de devoir apprendre à se gérer très tôt dans sa vie parce que personne ne fera les choses à sa place. Dean, il a été entouré de tout. Pas seulement d’argent, en vérité. Ça aide à éviter les soucis mais, c’est pas seulement ça. Il a des parents qui l’aiment et qui veulent faire en sorte qu’il réussisse tout ce qu’il entreprend en lui donnant tous les moyens nécessaires pour y parvenir.  Je sais qu’il se vexerait si je lui disais qu’il est pas apte à comprendre ce que je traverse mais, c’est le cas. Il n'est pas apte. Il a la naïveté nécessaire pour proposer de laisser une chance. Il imagine que tous les conflits peuvent avoir un dénouement positif. Il comprendrait probablement pas que moi, je ne veux pas d’un dénouement positif. Pas plus que je ne souhaite m’assouplir. Je crois qu’il n’essaie pas beaucoup de voir les choses de ma perspective. Et je sais que c’est une critique injuste parce que moi non plus, je n’essaie pas de voir les choses de sa perspective.

Je n’arrive pas à comprendre comment il peut ne pas voir que moi aussi, j’essaie de faire marcher ce qu’on a. Il est persuadé que je ne fais absolument aucun effort pour rendre notre relation plus fonctionnelle. Je crois qu’il m’en veut parce que je me protège. Et puis, j’ai pas l’impression qu’il souhaite aller à mon rythme. Toutes les promesses qu’il a faites avant qu’on se mette ensemble semblent être passées aux oubliettes. Je l’avais pourtant prévenu que je ne serais pas beaucoup disponible parfois. Il savait que physiquement, j’aurais du mal à me laisser aller. Il imaginait peut-être que j’étais de ces filles qui racontent qu’elles sont difficiles pour se donner de la substance. Le pire, tu sais, c’est que depuis que je suis avec Dean, j’aimerais bien être plus facile. J’aimerais bien que les choses soient aussi évidentes pour lui que pour moi et qu’on réussisse à vivre de nos sentiments mutuels sans détruire l’équilibre fragile de nos vies.

Ce soir, j’ai pas envie d’avoir une nouvelle dispute. J’ai pas non plus envie d’essayer de me défendre parce que je sais que quoi que je dise, j’aurais l’air coupable. J’ai l’impression que tout s’écroule sous mes pieds alors je mens en espérant sauver un peu les meubles. Je me sens stupide de ne pas avoir réussi à penser à autre chose qu’à ma dispute avec mon père et ma belle-mère. J’étais contente de passer enfin une soirée entière avec Dean. On avait prévu d’aller manger au super resto de tapas tenu par une famille portugaise super sympa. Et il y avait même un super film au cinéma. Je me faisais une joie d’échapper un peu à tout ce qui arrive à la maison. J’aurais voulu que cette soirée ne cause pas plus de stress mais, c’est pas possible. Je vois déjà au regard de mon petit ami que le mensonge ne passe pas du tout. Il a très vite compris que je trouvais une excuse pour ne pas lui dire encore une fois que j'avais oublié notre rendez-vous.  Mentir, ça ne me ressemble pas. Échouer, ça ne me ressemble pas non plus. Et pourtant, on en est là. Il a l’air en colère quand il me dit qu’on a raté la séance de cinéma. Il a l’air en colère quand il dit qu’il n’a pas envie de manger Mcdo. Je sens une boule se former dans ma gorge. J’ai envie de rentrer à la maison. J’en ai marre de ça.  Cette situation me met à défaut à chaque fois qu’on se voit.

Dean me donne l’impression d’être vraiment nulle. Il s’embête à organiser des tas de choses et je trouve toujours le moyen de ne pas savoir gérer mon propre emploi du temps. Avec les copains, c’est jamais un vrai problème parce qu’au final, ils savent tous que je suis concentré sur mes trucs. J’arrive deux heures en retard et c’est comme si j’avais toujours été là.  J’écoute à peine lorsqu’il me dit que je n’ai pas besoin de mentir et qu’il a l’habitude de faire face à mon abandon. Je frotte distraitement une tâche d’huile sur mon jean. Il rit et je ne capte pas vraiment pourquoi alors, je ris aussi, par mimétisme et dans l’espoir qu’il ne soit pas trop fâché. Ça le met encore plus en colère, je pense. Ses gestes sont agacés. Il démarre la voiture et je m’y installe en traînant les pieds.  Il me propose de me raccompagner chez moi. Je pensais qu’on passerait la nuit ensemble mais, c’est pas grave. Ça m’arrange qu’il ne veuille pas de moi ce soir. Je suis un peu épuisé. «-Je veux bien, oui. C’est dommage pour le Mcdo. »


Ma moto est encore au parking mais si je lui dis que j’ai pris ma moto, il va m’envoyer vraiment chier. «-T’es fâché ?» Je demande d’une petite voix lorsqu’il me dit qu’il a acheté des fleurs et qu’elles sont pour moi sur un ton aussi agressif. Je me tourne et je prends le bouquet sur mes genoux. Je ne sais pas trop si j’aime vraiment les fleurs. Mais ça lui a toujours fait plaisir de m’en offrir alors j’ai toujours essayé de donner le change les concernant. Je souris en le tournant vers lui. «-Il est encore Nickel, regarde ! » J’espère qu’il sera content de savoir qu’il me plait. J’hésite à me pencher pour l’embrasser. J’ai l’impression qu’il est trop énervé et c’est peut-être dangereux. J’ai pas les moyens de rembourser sa voiture s’il la plante dans un plot. Je me contente de tapoter sa main qui tient le levier de vitesse. «-Les fleurs sont jolies. Ça me fait plaisir. » Je me racle la gorge. Il me répond seulement par du silence et ça me pèse sur l’estomac. Je sais qu’il fulmine. Je ne sais juste pas lui dire les choses qu’il faut pour qu’il arrête d’être en colère. Est-ce que ma mère était comme ça, quand elle fréquentait mon père ? Est-ce qu’elle l’aimait, sans savoir comment le dire ou lui montrer ? Je croise mes mains sur le bouquet et je fini par me taire, moi aussi. Ce soir, il ne veut pas parler. Demain, il parlera sans doute. Ce sera passé. Il ne peut pas rester trop longtemps fâché à propos de ce genre de choses. Ce serait un peu stupide, en plus.

La voiture s’arrête à un feu rouge. Il prend enfin la parole. Il me reproche de ne pas vouloir le voir et je souffle. Ça se voit tant que ça que je n’avais pas trop envie, ce soir ? «-C’est pas que je voulais pas te voir… C’est juste que j’ai été prise dans le truc. Je suis désolée. J’ai pas été assez attentif. » Je cherche son regard. «-Je te promets que je vais me rattraper la prochaine fois. Je te jure.  »

Ça aussi, ça sonne comme un mensonge.

Chaque fois qu’elle loupe nos rendez-vous, il y a de vraies bonnes raisons derrière. Une partie de moi refuse de croire qu’elle s’amuse à oublier juste pour le plaisir, ou bien parce qu’elle ne m’aime pas. L’autre, en revanche, ne peut s’empêcher de penser que c’est uniquement parce qu’elle ne sait pas comment me dire que je suis de trop. C’est épuisant ce sentiment d’être toujours de trop dans la vie d’une personne qu’on aime autant. J’ai sans cesse l’impression que Liam ne m’aime pas, ou du moins, pas comme moi je l’aime. J’ai l’impression d’être une espèce de creep, qui la force à entrer dans un truc dont elle ne voulait pas, qu’elle a simplement fini par céder à force d’épuisement … Ça me rend malade. Je trouve ça même un peu injuste d’être si fort attaché à elle, quand moi je ne suis qu’une tâche en plus dans son agenda, qu’elle peut sauter et oublier si ça lui chante. Bien sûr que je ne m’attendais pas à ce que Liam devienne une petite-amie irréprochable : en fait, je n’attends même pas ça ! Je voudrais juste avoir une place auprès d’elle. Notre relation est cachée, nos rendez-vous sont sautés, que nous reste-t-il ? Je passe une bonne partie de la route silencieux, à ruminer toutes ces pensées qui m'incendient le cœur. Je ne crois pas qu’elle comprendrais si je lui en parlais. Parce que Liam a la fâcheuse tendance à minimiser tout ce que les autres ressentent, parce que pour elle, ça ne sert à rien de s’encombrer de choses futiles comme ça. Ma copine c’est le mème « T’es triste ? Arrête. ». Elle est persuadée que si on ignore les problèmes, on finira par passer au dessus. J’aimerais beaucoup que ça marche comme ça, mais la plupart des gens ont besoin de vivre leurs émotions pleinement, parfois même de rester buté un peu dessus, avant de passer à autre chose. Et ça, Liam n’arrive pas à le comprendre. Pour elle, ce n’est qu’un rendez-vous raté, il y en aura d’autres et ce n’est pas si grave. Pour moi, c’est un sentiment amer et un doute qui refuse de se défaire.

C’est au feu rouge que je relance les hostilités, tandis que je prends la route vers Pilton. On devait passer la soirée ensemble mais je crois que vu mon état, c’est mieux si on reste séparés ce soir. De toute façon, elle n’a vraiment pas l’air de vouloir rester avec moi. Alors je lui dis, qu’elle pourrait simplement me parler et me dire qu’elle ne veut pas me voir. Je crois que j’attends qu’elle me dise que ça n’a rien à voir avec moi. J’aimerais que Liam me rassure sur ses sentiments mais … C’est Liam. Je crois bien qu’elle-même n’est pas très sûre de ce qu’elle ressent à mon égard. Comment pourrait-elle me rassurer alors ? Sa réponse ne fait que gonfler ma colère et mes mains se serrent imperceptiblement sur le volant de ma voiture. J’en ai assez d’entendre ses excuses. J’en ai assez de ne jamais être une priorité pour elle. Je ne dis pas qu’il faut que je prenne le pas sur tout : Lils m’a dit plein de fois qu’elle mettait sa carrière avant tout et je suis même ravi qu’elle sache si bien de quoi doit être fait son avenir. C’est ce qui m’a plu chez elle, en premier lieu. Tout ce que je demande, c’est un peu de considération. Tout ce que je demande, c’est qu’elle se souvienne de nos dates. Je ne réponds rien, mais je sens qu’elle cherche mon regard. « Je vais me rattraper la prochaine fois. Je te jure. ». La prochaine fois. Oui mais la prochaine fois elle oubliera. Et la prochaine fois elle me dira encore qu’elle fera mieux la prochaine fois. J’en ai marre d’être la prochaine fois de Liam. J’aimerais parfois être son « ce soir ». Son « aujourd’hui ». Je tourne la tête vers elle, les yeux humides. Je ne suis pas dramatique, c’est simplement que je pleure souvent quand je suis en colère. Ce n’est pas de ma faute. “Liam … Est-ce que je t’en demande trop ?”, ma voix tremble de colère, pourtant j’essaie de maîtriser tout ça. “Je t’ai prévenue en avance, t’étais d’accord on … T’avais pas envie qu’on se voit ? C’est pas grave si c’est le cas. Mais je …”, non je mens. C’est grave si c’est le cas.

Parce que si elle n’a pas envie de me voir, pourquoi est-ce qu’elle s’inflige ça ? Pourquoi est-ce qu’elle m’inflige ça ? Je n’ai pas envie d’être constamment en colère, constamment en train de me poser des questions. Tout était plus simple quand je galérais. Peut-être que j’aurais juste dû rester un galérien. Peut-être qu’elle m’aimait mieux quand on n’était pas vraiment ensemble ? J’ai pas envie d’être une contrainte pour elle. Et clairement, c’est ce que je suis. Parce que si je n’étais pas là, elle n’aurait pas à se soucier du temps qu’elle passe au club. Elle n’aurait pas un stupide petit-ami à se coltiner ou à prendre en compte dans son emploi du temps. Je ne serais pas une fougue tâche à cocher sur sa to-do list : voir Dean . J’avale difficilement ma salive, je n’ai pas envie de lui faire part de tout ça parce que j’ai peur qu’elle pense que je veux la quitter. Ou pire, j’ai peur qu’elle veuille ensuite me quitter. Même si ce serait probablement mieux pour nous deux, je n’ai pas envie d’abandonner comme ça. Pas maintenant. On a encore tant de choses à faire ensemble ! Et puis … c’est cul-cul, mais je suis persuadé que Liam est la femme de ma vie. Mon père a ri quand je le lui ai dit. Mais c’est vrai. Oui, du haut de mes vingt-deux ans, je sens que c’est avec elle que je vieillirai ! Peut-être même qu’on se mariera. Un jour. Quand je ne serais plus une tâche hebdomadaire … : “Je suis simplement déçu parce que je pensais qu’on passerait un peu de temps ensemble. C’est tout.”. Le feu repasse au vert et je redémarre, le cœur lourd.

J’ai bien conscience que Dean mérite mon attention, au même titre que mes amis ou que ma carrière. En concept, je sais exactement comment être une petite amie géniale.  J’ai l'exemple des gens qui m’entourent et qui eux, sont heureux en couple. J’arrive à comprendre comment fonctionne une relation, comment fonctionnent les sentiments et l’engagement que c’est d’accepter une relation amoureuse.  J’ai aussi de bons exemples concernant ce que je ne devrais surtout pas faire si je veux un jour réussir à avoir une relation stable. Mon père et ma mère sont les parfait contre exemple.  Je sais ce que je suis supposée faire mais dès que je me retrouve dans le vrai monde, je ne suis plus capable de faire la part des choses entre ce que je dois faire pour maintenir une relation et les autres obligations de ma vie. Je réalise que je ne suis pas forcément la meilleure pour faire des concessions. Dean en fait plein, lui. Il s’arrange toujours pour être disponible quand moi, je le suis. Il sait entretenir notre histoire et ce serait mentir que de dire qu’il assure pas pour deux. Il est présent et compréhensif. Et je ne devrais pas me plaindre d’avoir un petit-ami comme celui-là.
Les excuses sont toujours les mêmes. J’ai beau avoir conscience de la situation, je n’arrive pas à remédier au problème et les excuses ne semblent plus vraiment crédibles à force de les répétées. Dean s’épuise à se mettre en colère et je sens bien qu’on est sur une sacrée pente glissante. Bientôt, il ne prendra même plus la peine de se déplacer et de m’attendre. Il partira du principe que je ne suis pas disponible et puis il organisera son emploi du temps en fonction de lui-même. J’aurais pas le temps de réaliser que c’est fini que ça le sera depuis un bon bout de temps. Il me dira que c’est ma faute et… on se dira adieu. Un peu comme avec Marco. Ou Paul. Ou tous les autres avant Dean. C’est la première fois de ma vie que je n’ai pas envie que ça se termine comme ça. C’est aussi la première fois que je me sens aussi impuissante face à une telle situation.

Je n’arrive pas à changer. Et la vérité c’est aussi que voir Dean me met face à mon incompétence relationnelle. Il y a plein d’endroits où j’ai l’impression de n’arriver à rien. Je crois que ça me pèse parfois sur l’estomac. La dernière fois qu’on a eu un moment intime, c’était catastrophique. J’esquive inconsciemment le fait de me retrouver seule à seule avec lui. À chaque fois que je sais qu’on doit passer la nuit juste tous les deux, je pense au fait qu’il va certainement vouloir un peu plus que des câlins et je m’angoisse à l’idée de ne pas être capable de prendre du plaisir comme il le voudrait, qu’il me rejette parce qu’il a l’impression de baiser une morte et que ça finisse comme en août. Je réalise que j’ai tellement peur de l’échec que ça me paralyse complètement.  

Dean est nerveux. Il a le visage fermé et il a l’air de se concentrer sur la route plutôt que d’écouter ce que je suis en train de lui dire. Peut-être que c’est mieux comme ça. Je sors des banalités et je préfère qu’il ne m’écoute pas. Ce soir, ce n'est pas le jour. Ce n'est pas le moment. Je sens qu’on va se disputer et qu’il n’a pas fini de m’engueuler.  Pourtant, quand il se tourne, il a l’air d’être sur le point de pleurer. Il demande s’il m’en demande trop et je me demande s’il désire avoir la vraie réponse à cette question ? S’il est capable ou non d’entendre la réponse brute et honnête à ça ? Est-ce qu’il m’en demande trop ? Oui. Oui, il m’en demande trop. Parfois, j’ai l’impression qu’il ne réalise pas que je suis plus lente que lui pour tout ça. Que j’ai besoin d’une préparation psychologique plus longue que lui pour faire toutes les choses qu’il fait avec facilité. Il réalise pas que pour lui prendre la main, il me faut une heure de réfléxion avant. Il réalise pas que j’ai peur de croiser sa mère, que j’ai peur de croiser ses amis et qu’à chaque fois qu’on va quelque part, je stresse de ne pas réussir à faire bonne impression. Je remet toute ma vie en question, y comprit toutes les choses pour lesquelles je n’avais aucun attrait avant. Je me demande si je suis jolie, pour la première fois de ma vie. Je me force à me regarder dans le miroir. J’espère lui plaire, sans trop savoir comment faire. J’essaie d’apprendre à montrer mon amour sans trop en faire non plus. Je ne sais pas rester moi-même quand Dean est là. Et c’est pas anodin. Pas plus que ce n’est facile.

Sans compter toutes les préoccupations qui ne le concernent pas. Est-ce que j’avais envie qu’on se voit ? Hier, j’en avais envie. Ce soir, j’avais envie de me concentrer sur quelque chose de positif. «-Parfois, je sais qu’on va se voir et que tu vas être en colère pour un truc débile et ça va me mettre la pression. » J’avoue péniblement et à demi voix. Il trouve toujours des choses à me dire. Que je suis en retard. Que j’ai encore oublié qu’on avait prévu de faire un truc particulier. Que je ne m’investie pas assez. Et s’il ne me le dit pas, je le ressens dans toutes nos interactions. Il me souffle qu’il est déçu. Qu’il voulait qu’on passe du temps ensemble et je me ferme : «-Oui et là, je suis un peu en retard alors tu veux plus du tout me voir. On aurait pu passer la soirée à faire autre chose. Jouer aux jeux vidéos ou… regarder un film. On aurait pu manger Mcdo mais, tu me grondes et même si on se dit qu’on va chez toi, tu continueras à faire la gueule toute la nuit.» Je me passe la main dans les cheveux. Je crois que je suis fatiguée. «-J’ai l’impression que t’es constamment en  colère sur les tout petits trucs et que tu ne respectes pas du tout tes promesses. » Je me tourne vers lui, j’ai sans doute un air courroucé au visage. Le cœur qui bat jusque dans les tempes sur mon front : «- T’avais dis que tu savais à quoi t’attendre avec moi. Et tu avais dis que tu comprenais si on allait doucement et si je me concentrais sur ma carrière. Mais tu  es constamment en train de me prendre la tête pour un oui ou pour un non. Je voulais juste une soirée sans drama. Alors, ouais. Oui. J’ai oublié. J’ai zappé parce que crois-le ou pas, j’ai d’autres trucs en tête en ce moment. Et je crois que quand je m’en suis souvenu, j’ai eu carrément envie de t’esquiver. J’ai vraiment pas besoin de ça, Dean.  »

Je me torture sans cesse l’esprit pour essayer de comprendre comment elle fonctionne. Mais je dois l’avouer : je suis buté sur ma colère et je n’arrive pas toujours à me mettre à sa place. Pourtant, j’étais persuadé être prêt pour elle, j’étais persuadé réussir à faire en sorte que Liam se sente bien pour la première fois dans une relation amoureuse. Qu’elle se sente assez en sécurité, assez aimée pour que ça fonctionne correctement. Je n’y arrive pas et cette mise en échec me frustre. Je sais que le bonheur de Lils ne dépend pas de moi ou de notre relation. Elle est responsable de son bonheur, simplement, j’aimerais au moins que nous deux, ce soit assez évident pour qu’elle se dise qu’elle est heureuse. Genre pleinement heureuse. Sans pour autant me laisser de côté, comme elle le fait en ce moment. Le pire, c’est que je crois que je sais que ce n’est pas vraiment conscient. Et puis voilà, on est là dans cette voiture, j’ai du mal à lui dire clairement la manière dont tout ça m’atteint et elle a du mal à faire face à ma colère. Il faut que je me rende à l’évidence : si on continue comme ça tous les deux, on va droit au mur. Mais je n’ai pas envie d’aller droit au mur, je veux réussir ça. Alors je lui demande si j’en demande trop, pas bien sûr de pouvoir entendre ce qu’elle a à me dire. Sa réponse me fait froncer les sourcils, mais ce n’est pas à cause de la colère. C’est de l’incompréhension. Je n’ai pas l’impression de me mettre en colère pour « des trucs débiles ». Quand je me mets en colère, c’est parce qu’elle m’a encore oublié. Parce qu’elle oublie qu’on doit se voir, parce qu’elle me ghoste durant des jours alors que j’aurais pu l’aider ou juste la rassurer. Quand je m’énerve, c’est parce que je me suis senti lésé, d’une manière ou d’une autre. C’est vrai que ma patience est effritée et que j’ai moins de facilité à accepter ses fausses excuses, mais …
J’hoche simplement la tête, attendant de voir si elle a d’autres choses à me dire. Même si ce n’est pas plaisant à entendre, il faut qu’on ait cette discussion avant que tout nous file entre les doigts. C’est exactement l’image que j’ai de ma relation avec Liam : c’est comme des poignées de sable brûlant, que je tiendrais à pleines mains. Quoi que je fasse, le sable me file entre les doigts.

Et puis c’est à son tour d’exploser. Elle me reproche de ne pas tenir mes promesses, de ne pas juste passer à autre chose. Je secoue imperceptiblement la tête, tandis que ses mots me tordent le ventre de douleur. Je crois qu’on est pas sur la même longueur d’ondes et c’est vrai, elle m’avait prévenu. Je crois qu’au fond, j’espérais quand même être autre chose qu’une tâche supplémentaire dans son agenda. Je prends quelques secondes, le temps d’encaisser ses mots et de choisir les miens, avant de lui répondre. J’essaie d’avoir le ton le plus calme possible, parce que s’agacer dans ce genre de situation, ça ne ferait qu’empirer les choses. Quand mes parents se disputent, maman reste toujours étonnamment calme, tandis que papa, lui, hurle. Je crois que j’ai hérité du côté nerveux de Thomas. “Je suis désolé de te pousser trop vite, Lils.”, ma voix tremble toujours sous l’émotion. Je crois que ça ne partira jamais tout ça. Je me gratte le menton, le regard rivé sur la route, l’air songeur. “Tu as raison, je ne me rends pas compte de la vitesse à laquelle je vais et je … Je prends pas en compte ta vitesse à toi.”, j’hoche la tête. Je n’ai vraiment pas l’impression d’aller si vite ou de lui demander la lune. Je n’attends même pas à ce qu’on se tienne la main, je voudrais juste … pouvoir profiter du peu de soirées qui nous sont accordées. “C’est pas que je ne veux pas te voir du tout. C’est que … Oui, je suis en colère. Et ce serait stupide de rester ensemble alors que je vais faire la tête toute la soirée. Mais Liam il y a un point sur lequel je ne suis pas d’accord avec toi.”, mon regard se tourne vers elle. J’inspire un peu, avant de dire : “Je ne m’énerve pas pour rien du tout. Je suis triste que pour toi ce ne soit rien du tout, mais … Vraiment, j’en ai assez d’être juste une tâche supplémentaire.”. Je crois que la discussion ne nous mènera nulle part ce soir.

Moi je suis campé sur mes positions et je l’ai poussée à se renfermer en m’énervant. Alors on ne tirera rien de positif ni d’elle, ni de moi. J’ai tout de même l’idée de lui dire : “Et si … C’était toi qui décidait quand on se voit, hm ? Je m’organiserai pour être libre quand tu l’es, d’accord ? Je …”. Je ne sais pas. Je ne sais pas ce que je peux faire pour qu’elle ait moins l’impression que je cherche à la presser. Je soupire, en me passant une main sur le visage : “Je suis désolé. Je t’assure que j’ai pas l’impression d’aller si vite … Je ne me suis pas rendu compte.”. Qu’est-ce que je suis censé faire pour qu’elle ne se sente pas brusquée ? Je suis à court d’idée. On arrive dans sa rue et je me gare à la place habituelle, les doigts qui tapotent mon volant. On va se quitter comme ça, moi complètement vexé et elle brusquée. Et ça arrive trop souvent ces temps-ci. Ça me file entre les doigts et j’ai aucune idée de comment rattraper ça. “Liam ? Si … T’as des conseils à me donner pour que ça aille à ton rythme … Je les prends. Je t’aime.”, je souffle en la regardant. Parce que ça, c’est le seul truc qui reste et dont je suis sûr : je l’aime, comme un dingue.

J’ai l’impression qu’on est pas sur la même longueur d’onde ou je sais pas.  A chaque fois que je me dis que ça va mieux, il trouve une façon de se mettre en colère contre moi. Et ouais… Peut-être que je suis injuste lorsque je dis qu’il s’énerve pour rien. Peut-être qu’il a de bonnes raisons et que je ne les comprends pas. Mais je crois que je suis fatiguée, moi. Je passe mon temps à m’assurer que ses sentiments ne sont pas heurtés, à lui demander s’il est fâché, si j’ai fait quelque chose de mal. J’ai l’impression de passer ma vie à m’excuser d’être qui je suis et que tout ce que je fais n’est pas assez bien. Je me sens seule dans cette relation. J’ai l’impression que Dean veut que je sois avec lui mais qu’il ne veut pas vraiment être avec moi. Pas avec celle que je suis pour de vrai. Il aimerait être avec la Liam qu’il a imaginé. Celle sur laquelle il fantasme depuis des mois. Je l’avais prévenu, pourtant. Je lui avais dis que j’étais pas celle qu’il imaginait. J’avais prévenu. J’ai tout fait pour qu’il comprenne que toutes ces choses ne sont pas évidentes pour moi. J’ai essayé de m’ajuster à ses demandes et à ses attentes.
Je pensais qu’il verrait les efforts que je fais pour le rendre heureux et la pression que je me met pour combler ses sentiments. Je crois qu’il réalise pas qu’à chaque fois qu’on s’embrasse, qu’à chaque fois que je lui prend la main, qu’à chaque fois que je dois le regarder, il y a toute une préparation, tout un univers de doutes et de questionnements qui s’étends à l’intérieur de moi-même. Il ne capte pas les petits gestes que je fais. Ceux qui ont l’air de rien et qui pourtant, sont énormes pour moi. Mon doudou que je laisse chez lui, pour lui prouver que je suis là et que je reviendrai toujours. Les sms que j’envoie, juste pour lui dire des bêtises ou pour lui parler de ce que j’ai fais pendant la journée. Les vêtements que je porte quand on doit se voir et mes cheveux qui sont brossés à chaque fois qu’on doit se rencontrer. Les toutes petites choses qui me prennent du temps et de l’énergie mais qui passent peut-être inaperçues parce qu’elles sont évidentes et simples pour lui. Le temps que je passe devant le miroir alors que je déteste ça… Rien n’est facile. Rien n’est évident. Et j’ai envie d’y arriver mais j’ai l’impression qu’il m’en demande trop et je me sens parfois très seule dans cette relation.

C’est drôle parce que je n'ai jamais été solitaire. C’est un nouveau sentiment, ça. La solitude. J’ai l’impression que tout change autour de moi et que ça m’isole de tout le reste du monde. Je m’accroche à mes amitiés mais j’ai l’impression qu’elles m'échappent, aussi. Il y a six mois, j’étais tout le temps avec mes amis. Je cherchais à cultiver de nouvelles relations et à rencontrer de nouvelles personnes.  Mais, tout s’échappe. Tout se perd. Les relations qui étaient des piliers pour moi sont en train de s'effondrer ou de s’effacer. Mon père, Ash, Lùca, Park. Tout ça, c’est plus comme avant. Et je crois que j’accuse encore le coup des fêtes. Ma mère qui vient vivre chez nous comme si de rien n’était et puis Ash qui est revenu mais qui n’est plus vraiment lui-même. Lùca qui se construit mais qui change beaucoup aussi. Je me sens tellement seule. Et je ne sais pas vraiment comment en parler parce qu’à chaque fois que je le ramène sur la table, on me répète qu’on sera toujours là pour moi. Et ce n'est pas ce que je veux dire mais je crois que ça, personne ne le réalise vraiment. Je crois que personne si ce n’est Ash capte que je vais pas très bien. C’est pour ça qu’il me propose autant qu’on passe du temps ensemble. Je crois qu’il sent que j’ai besoin de retrouver quelque chose de stable. Il est moins dans la confrontation. Et même si parfois, je cherche à ce qu’il réagisse à certains aspects de sa vie, je capte bien qu’il essaie de changer de sujet pour que nous deux, ça reste nous deux comme avant.


Il se défend. Il me dit qu’il ne s’énerve pas pour rien et qu’il a toujours de bonnes raisons et ça ne me rassure pas des masses parce que ça veut dire qu’il n’a vraiment pas conscience qu’il est agacé tout le temps. Je souffle. J’aime pas quand je me met en colère comme ça, ça me donne mal au ventre et j’ai envie de manger une immense pizza. On aurait pu aller manger une pizza. A la place, on est là, à se dire des trucs qui n'ont aucun sens de mon point de vue. J’aime pas avoir à décortiquer notre relation. Il parle de tâche dans mon agenda et ça me vexe un peu. Il le répète souvent, ces derniers temps. Je n’aime pas beaucoup la façon dont il parle de moi. Il me fait passer pour une connasse insensible. C’est super injuste.  Je crois que je me renferme un peu sur moi-même. J’ai pas envie de discuter de ça. J’ai plus envie d’essayer d’expliquer que je vais pas très bien, que j’ai plein de choses en tête et qu’au lieu de me soulager, il m’alourdit de questionnements relous pour des trucs qui ne sont pas si importants. Il ne veut pas que je le traite comme une tâche mais il me force à le faire en se comportant comme il se comporte et je crois qu’il a pas comprit que c’était ça, le problème. J’ai envie d’avoir un copain avec qui je me sens bien et qui m’aide à être en confiance. J’aimerais qu’il m’accompagne mais à la place, il me dit simplement que c’est pas grave quand je rate. Il ne me donne aucune indication sur comment m’améliorer et je stresse de plus en plus de me retrouver en tête à tête avec lui parce que j’ai peur que chaque rapprochement soit une nouvelle catastrophe qui nous éloignerait un  peu plus. Je me sens seule dans cette relation. Et vraiment incomprise. Et l’image que Dean me renvoie de moi-même est vraiment déplaisante. Je ne me sens ni belle, ni gentille, ni attirante. Ça me force à me comparer aux autres. J’aime pas ça.

Je sens bien que lui, il s’est un peu apaisé. Il s’excuse. Ou plutôt, il me fait des semi excuses en me disant que lui, il a pas l’impression de me foutre la pression et que de son côté, il a l’impression d’aller assez lentement comme ça. Ça me fait déglutir bruyamment. «-Peut-être que c’est moi, oui. J’en sais rien. Je m’y connais pas assez pour le savoir. » C’est vrai. J’y connais rien et si ça se trouve, c’est pas une question de rythme mais d’accompagnement. Un peu comme un jeu de rythme dont on ne connaîtrait pas vraiment les touches. Il me demande même si j’ai des conseils à lui donner pour qu’il s’améliore. On est enfin arrivé chez moi. J’ai mal au ventre et je ne me sens pas très bien. Je devrais prendre le temps de lui dire tout ce que j’ai sur le cœur mais je crois vraiment qu’aujourd’hui, ce n'est pas le jour pour tout ça. Je suis brusquée et fatiguée. Et j’en ai assez de cette situation. Alors même si j’aurais des tas de choses à dire, je secoue simplement la tête. «-Non. Non, Dee. Désolé, j’ai pas de conseils… Je te l’ai dis… Moi, j’y connais rien. Et puis, tu as raison. C’est moi qui ait oublié. C’est ma faute. J’aurais dû être là pour toi. » Je fais un petit sourire tendu et je hoche la tête. «-Moi aussi. Beaucoup. » Je prends le bouquet de fleurs qu’il m’a offert et je sors de la voiture en lui souhaitant une bonne nuit.
Il est vingt deux heures et quelque et j’ai pas du tout envie de rentrer chez moi. Je reste paralysée un long moment devant mon garage avec cette impression que cette maison n’est plus vraiment la mienne depuis qu’elle est venue y vivre. J’ai le cœur qui se serre. Je réalise vraiment que je suis toute seule cette fois. J’avais pas vraiment capté à quel point j’étais seule avant ce soir.