Mason ne se souvient que trop bien du jour où il vit son père pour la dernière fois.

Il allait sur ses six ans et s’apprêtait à entrer à l’école primaire. Il était inquiet à l’idée de changer d’école et sa sœur Tatum, qui allait entrer en cinquième année, faisait de son mieux pour le rassurer.

Maman avait passé la matinée au téléphone avec des personnes importantes, des gens du travail, sûrement, s’était dit Mason en voyant la façon dont sa mère était agitée. Car, quand papa n’était pas là, les seules personnes capables de mettre maman dans tous ses états étaient les gens du travail.

Cela faisait maintenant trois jours que papa n’était pas rentré et c’était son record de jours passés hors de la maison. Déjà qu’il n’était pas souvent à la maison, trop occupée à passer ses journées au bar d’à côté ou chez des amis.

Autre son nouveau record de père absent, Mason avait décelé quelque chose d’étrange chez son père, il souriait. Pas le genre de sourire qu’il avait de temps à autre quand maman le laissait tranquille, devant la télé avec une bière, mais le genre de sourire qu’il aurait aimé voir sur les lèvres de son père quand ce dernier le regardait. Ce sourire lui disait ce que ses nuits cauchemardesques aimaient lui montrer : papa avait trouvé quelqu’un qui le rendait heureux. Et ce quelqu’un n’était certainement pas maman ou Tatum, ni même un de ses vieux amis, mais une dame. Le type de jolie dame que Mason le voyait reluquer de temps à autre. Et Mason avait peur, peur que la jolie dame lui donne un enfant qu’il aime. Car s’il y a une chose que Mason souhaitait le plus au monde, c’était que son père l’aime. Et il avait beau tout faire, de ses plus beaux dessins à son altruisme inné, rien ne semblait le rapprocher de la figure paternelle qu’il chassait tant.

Ce soir-là, papa était rentré vers 18 heures, peu après le départ de maman à son job du soir. Il était directement monté dans sa chambre et était descendu avec une valise. Il s’apprêtait à franchir le seuil de la porte quand il remarqua Mason, assis dans le hall, l’observant avec le regard innocent d’un enfant qui ne demande que d’être aimé. Alors quand il s’approcha de lui, Mason se dit que c’était enfin le moment, qu’il allait être enlacé pour la première fois. Alors quand il vit son père se pencher au-dessus de lui pour attraper sa veste sur le portemanteau, quelque chose se brisa dans son petit cœur et Mason se promit de ne plus jamais aimer son père. Et comme une pensée d’enfant frivole, Mason oublia cette dite promesse. Puis les jours passèrent, un, deux, trois, quatre. Tiens ! Un nouveau record. Puis le record s’allongea sans jamais s’arrêter et cette promesse qu’il s’était faite lui revint naturellement. Il se souvint simplement qu’il ne devait plus aimer papa et il lui ferma son cœur pour de bon. Et plus les années passèrent, plus cette promesse s’agrandit, de « je n’aime plus papa » à « je ne deviendrais jamais comme lui ». Mais parfois, la raison dépasse le cœur et on en vient à faire des choix qui nous franchir des limites qu’on oublie s’être imposées. Et comme toute bonne histoire qui vient de débuter, Mason a des démons à affronter.