L'enfance de Jay est terriblement banale. Il grandit dans la banlieue d'Edimbourg, dans un quartier plutôt ouvrier où tout le monde se connait. Sa mère, Debra, est comptable dans une grande surface, son père, Mike, contre-maître dans une usine. Son école est au bout de la rue, ses copains dans les petites maisons voisines de la sienne, et pendant des années Jay ne voyage pas plus loin que le centre d'Edimbourg aux alentours de Noël pour rendre visite à ses grands-parents. Il fait une scolarité exemplaire dans les matières scientifiques, plutôt passable dans le reste, et à à peine onze ans on le destine déjà à une carrière de comptable comme sa mère, ou peut-être professeur de sciences.

A treize ans, il reçoit une bourse grâce à ses talents en mathématiques et intègre l'école privée pour garçons Merchiston. Les autres garçons n'ont pas grand chose à voir avec ses amis du quartier, mais Jay apprend vite et a un incroyable talent pour deviner ce que les gens veulent entendre. Il n'a aucun mal à se fondre dans la masse en prétendant être quelqu'un qu'il n'est pas, et à dire précisément ce qu'il faut pour séduire ses camarades et ses professeurs. Il fait partie de l'équipe de rugby et du club de tennis, ainsi que de l'équipe de mathlétiques avec qui il participe à des compétitions d'envergure nationale. Oublier ses anciens amis devient de plus en plus facile au fil des années jusqu'à ce qu'il ne prenne même plus la peine d'offrir un salut de la main à ceux avec qui il a grandi.
Sans être un élève brillant, Jeremiah se démarque du lot et sort de là avec un solide diplôme qui lui permet d'intégrer l'Université d'Edimbourg sans aucun problème.

La fac est un univers complètement différent de ce qu'il a connu jusqu'alors. A l'extérieur des murs de sa prestigieuse école privée, il doit encore se réinventer pour rentrer dans le moule des étudiants désabusés et décomplexés. Des complexes, lui en a tout un wagon, que Merchiston a gravé dans sa chair à grands coups d'heures de colle et de sermons moraux. C'est son année à Rome en Erasmus qui change sa vision du monde, et de lui-même. Il y fait la rencontre d'Alessandro, vit son premier amour, sa première fois, son premier chagrin en repartant à la fin de l'année, mais revient avec la conviction qu'il peut trouver des gens qui l'acceptent pour ce qu'il est. L'étudiant calme et réservé dévoile un nouveau visage plus extraverti, à l'aise dans les milieux de la nuit, séducteur et charmeur, un rien manipulateur. Il termine son master avec les honneurs et rejoint une prestigieuse entreprise à Edimbourg pour la plus grande fierté de ses parents.

[T.W : homophobie]
Leur fierté ne dure pas, ou en tout cas pas comme Jay l'aurait voulu. Bien sûr, ils sont fiers de dire à tout le monde que leur fils est le second du responsable financier d'une grande start-up, fiers de dire qu'il est le plus jeune à avoir obtenu ce poste, fiers de voir les voisins s'extasier sur sa belle voiture. Mais quand il leur annonce, à 26 ans, qu'il a rencontré un homme et voudrait le leur présenter, plus rien ne subsiste de cette fierté. Soudain, tout n'est que reproches, à base de "c'est comme ça que tu nous remercies d'avoir tout sacrifié pour que tu deviennes quelqu'un de respectable ?" et les disputes se multiplient jusqu'à ce que Jay coupe les ponts avec sa famille.

[T.W : décès d'un parent]
Les années qui suivent se ressemblent toutes : Jay grimpe les échelons dans sa boite et en part quand il ne peut plus se servir de personne, il enchaine les conquêtes d'un soir, voyage dans des endroits de rêve, ignore les appels de sa mère, joue les citoyens modèles au gala de charité des start-up d'Edimbourg, puis recommence à la nouvelle année. Le cycle se répète et seuls les figurants changent.
Jusqu'au jour où, prit d'une intuition, l'homme décroche le téléphone pour répondre à sa mère. "Papa est mort. Les funérailles ont lieu jeudi à l'église du quartier. 14H."

Depuis un an, Jay et sa mère renouent comme ils le peuvent une relation fragile. Un café, une balade ou une après-midi de shopping, voilà qui donne le sentiment d'avoir une sorte de vie de famille. Pour autant Jay n'est pas dupe, il sait que sa relation avec son chat, Princesse, est plus solide, et redoute la réaction de sa mère le jour où il lui présentera un véritable compagnon. Pour l'heure, Jay se concentre davantage sur son nouvel emploi de responsable financier à l'Université que sur ses amours inexistants, ravi de se noyer dans le travail et de prétendre que les ting agaçants de Tinder ne sont que des notifications comme les autres.